• Les implications éducatives de l'oeuvre de Jean Piaget

    Lien URL avec le chapitre précédent

    Piaget a accordé une place prépondérante à l'éducation

    * par son intérêt personnel :

    • Il participe aux travaux des organismes d'éducation dès le début de sa vie de chercheur.
    • Il fut Directeur du Bureau International de l'Education en 1929.
    • Il devint Directeur de l'Institut universitaire des Sciences de l'Education à Genève en 1933.

    * par ses réflexions en qualité de psycho-généticien sur la validité de l'action actuelle de l'enseignant :

    • liaison indispensable entre le développement psycho-génétique de l'enfant et le contenu de l'enseignement ;
    • les structures cognitives serviront de points de repères ;
    • adéquation de l'enseignement au développement psychologique de l'enfant.

    * par sa prise de position face aux projets de réforme :

    • Tout projet de réforme doit intéresser l'enseignant au premier chef.
    • Il convient de donner dès lors une formation plus solide aux maîtres :

     - par la connaissance de la psychologie de l'apprentissage ;

     - par une formation valable en matière de pédagogie expérimentale ;

     - par une connaissance plus approfondie de la culture générale.

    L'essentiel des opinions, des idées et des points de vue de Piaget relatifs à la pédagogie se trouve résumé dans trois articles parus dans l'Encyclopédie française de 1939 à 1965.

    ces essais représentent des synthèses originales et rafraîchissantes dans lesquelles Piaget tente de mettre à la disposition de la pédagogie son savoir de psychologue et d'épistémologue, sans oublier les informations dont il dispose en tant que fonctionnaire international.

    Bien que Piaget ne fut pas un pédagogue, la pédagogie piagétienne repose sur deux préoccupations :

    • la transmission du savoir et des techniques culturelles acquis
    • la connaissance des algorithmes généraux pour la résolution de problèmes et pour l'acquisition de nouvelles connaissances (apprendre à apprendre).

    La transmission de connaissances accentue essentiellement le pôle accommodatoire du comportement,tandis que la connaissance d'algorithmes généraux conduit facilement à une hypertrophie des mécanismes d'assimilation.

    Il faut donc viser en premier lieu à un certain équilibre entre ces deux mécanismes.

    Piaget s'est posé la question de savoir comment l'enfant élargit le champ de son activité, le domaine de ses connaissances.

    L'enfant n'apprend pas passivement en entendant parler ! Toute connaissance provient d'une assimilation active des objets. Les capacités intellectuelles de l'enfant ne peuvent se développer que par l'interaction continue entre, d'une part, la structure intellectuelle de l'enfant et son action sur le milieu et, d'autre part, les difficultés, les succès, les informations qu'il en reçoit en retour.

    L'enfant a besoin d'agir. Toute limitation de l'enseignement à la pratique des travaux manuels, à l'aide stricte des moyens audio-visuels lèse l'enfant.

    Piaget reconnait les rôles de la maturation du système nerveux et des informations extérieures, mais il accorde une importance toute particulière à l'action de l'enfant sur son milieu.

    Entre l'enfant et   les informations disponibles, le rôle principal revient à un troisième facteur : les informations tirées de l'action. Il convient donc de favoriser au maximum l'activité autonome de l'enfant.

    C'est certainement en connaissance de cause, grâce aux nombreuses recherches sur la genèse de la connaissance opératoire chez l'enfant, que Piaget défend résolument une pédagogie active.

    Piaget a montré que l'enfant acquiert les structures logiques de la pensée surtout par l'effet de sa propre action sur le milieu. C'est pourquoi la pédagogie se doit de favoriser cette construction progressive. La tâche essentielle de la pédagogie consistera donc à créer des situations où l'enfant soit amené à opérer par lui-même quel que soit le domaine : mathématique, sciences naturelles, physique, français.

    Les découvertes de la psychologie scientifique renvoient à l'esprit des méthodes actives élaborées par la pratique empirique et la réflexion de pédagogues géniaux (Dewey, Decroly, ...) mais en en retenant le principe ou l'esprit.

    Pour Piaget, le principe fondamental des méthodes actives ne saurait que s'inspirer de l'histoire des sciences : comprendre, c'est inventer ou reconstruire par réinvention.

    En conséquence, la pédagogie ne peut être qu'active et non-directive, c'est-à-dire qu'il y a lieu de laisser agir l'enfant par lui-même sans lui imposer ou même lui proposer des cadres de solutions toutes faites.

    L'enfant doit exercer ses mécanismes mentaux par l'action pour que son développement se poursuive conformément à son évolution structurale. pendant la période pré-logique, les manipulations sont indispensables pour assouplir son intuition. Des expérimentations personnelles et constantes sont indispensables également pour permettre à l'enfant de passer du stade des données concrètes au raisonnement logico-mathématique.

    Il importera donc de se conformer aux structures mentales de l'enfant pour s'assurer toujours de sa motivation (Interaction entre le psychisme et l'objet d'étude).

    Le maître devra ménager la nouveauté des objets à étudier : une trop grande nouveauté risque en effet de bloquer l'enfant qui se sentira frustré.

    Les méthodes dites "actives" sont seules à épanouir la personnalité intellectuelle. Elles supposent nécessairement l'intervention d'un milieu collectif à la fois formateur de personnalité morale et source d'échanges intellectuels organisés.

    C'est dans la coopération entre l'organisme et son milieu que Piaget voit un instrument privilégié de la connaissance : sa théorie est interactionniste.

    L'éducation active ne doit pas être strictement individualiste.

    Le développement mental s'effectue dans la société. Il est donc nécessaire de combiner les activités individuelles et les travaux de groupe.

    Le contact social transforme l'égocentrisme en réciprocité coopérante. Le moi prend alors son autonomie. Le groupe se structure intellectuellement et affectivement. En fonction du donné génétique, l'enfant agit sur le milieu.

    La structure intellectuelle assimile des transformations nouvelles ; les obstacles, les succès agissent en retour sur l'activité du cerveau, provoquant une modification adaptative. L'interaction continue qui s'établit ainsi n'exclut pas une maturation interne.

    Le développement intellectuel de l'enfant peut se schématiser par une spirale. 

    en attente d'une illustration correcte !

    A partir de la naissance (point central), chaque action sur l'environnement (trait plein) est intégrée en une modification intellectuelle (trait pointillé) qui, à son tour, entraîne une action élargie.

    Au cours de cette évolution, certains moments sont aisément reconnaissables car ils s'accompagnent d'un mode d'action caractéristique sur le réel. ce sont les stades ou niveaux de développement.

    Dans ses essais, l'enfant se heurte à des difficultés que ses moyens intellectuels ne lui permettent pas de résoudre d'emblée. il en résulte un "déséquilibre" qui donne lieu à une "compensation active". En réaction aux perturbations extérieures, cette compensation permet une adaptation en fonction des résultats que l'enfant constate.Elle aboutit ainsi à un réglage des actions qui peuvent atteindre une efficacité plus grande. Dans cette conception, c'est la situation de "déséquilibre" qui force l'enfant à progresser.

    La stratégie de l'apprentissage consiste à le mettre de la façon la plus efficace possible devant ses contradictions. L'activité de l'intelligence suppose la collaboration entre élèves, la communication directe entre eux, de continuelles stimulations réciproques, le contrôle mutuel et l'exercice de l'esprit critique.

    En conséquence, l'école active suppose une communauté de travail, avec alternance du travail individuel et du travail en groupes parce que la vie collective s'est révélée indispensable à l'épanouissement de la personnalité sous ses aspects même les plus intellectuels.

    La pédagogie de Piaget est autant un art qu'une science. Piaget insiste sur la nécessité d'une rigueur méthodologique, d'une vérification expérimentale des hypothèses, de programmes fondés sur des données objectives évitant les "inflations sémantiques" et les planifications ne répondant à aucune base expérimentale.

    Piaget met donc l'accent sur la scientisation nécessaire du didactisme s'appuyant sur le fonctionnement des mécanismes cognitifs.

    Si la psychologie génétique contribue ainsi à consolider les fondements d'un certain style pédagogique, l'épistémologie, en tant que théorie de l'accroissement de la connaissance, permettrait de fonder une science des programmes scolaires. Elle permet, en effet, de connaitre comment l'enfant construit ses connaissances et de savoir quelles sont les situations dans lesquelles il peut agir ou opérer, et à partir desquelles il augmente ses connaissances par abstractions simples et réfléchissantes, les meilleures situations à un moment donné du développement de l'enfant.

    L'épistémologie génétique pourrait devenir la base normative des programmes et des curricula scolaires.

     

     Lien URL vers le chapitre suivant

     


    votre commentaire
  • La quatrième période : la période opératoire formelle

    Lien URL avec le chapitre précédent

    1. Le passage aux opérations formelles

    Le développement de l'intelligence a parcouru deux étapes principales : l'installation de la fonction sémiotique et la période des opérations concrètes.

    En intériorisant les schèmes sensorimoteurs, la fonction sémiotique a permis l'élaboration des images mentales. Elle a ouvert le champ au langage verbal et a condensé des actions successives en représentations simultanées.

    Grâce à la coordination des anticipations et des rétroactions, la période des opérations concrètes a introduit la réversibilité dans la pensée enfantine. De plus, des notions comme l'espace et le temps sont progressivement maîtrisées.

    L'intelligence étant conçue comme une forme d'adaptation, deux paliers principaux d'équilibre se sont donc constitués :

    • l'intelligence sensorimotrice
    • l'intelligence opératoire concrète.

    Les opérations de la période précédente étaient concrètes en ce sens qu'elles  ne pouvaient s'appliquer qu'à des objets actuels ou immédiatement représentés.

    Ordonner, classer ou compter des objets sont des actions exercées sur des objets. ces actions s'accompagnent, chez les jeunes enfants, presque toujours d'une manipulation d'objets physiques.

    A un niveau plus élevé, l'enfant peut ordonner, classer ou compter ces mêmes objets physiques en se contentant de les regarder, sans les manipuler.

    Plus tard, l'enfant devient capable d'imaginer ces objets. L'action porte alors sur des signifiants que sont les signes graphiques ou les images mentales.

    Avec l’apparition des opérations formelles, le rapport au monde change complètement.

    Au cours de cette nouvelle étape de son développement, l'enfant parvient à se libérer de plus en plus des limitations imposées par le réel qui lui avait pourtant justement permis, par les actions exercées sur les objets et ensembles d'objets, de construire un système opératoire complexe et flexible.

    La pensée du préadolescent se détache de plus en plus des contraintes du réel, des liaisons spatio-temporelles, pour devenir formelle et extemporanée. Le réel n'est plus qu'un secteur réalisé du possible et le réel actuel est situé parmi toutes les réalités que ses transformations pourraient engendrer.

    Les opérations intellectuelles du préadolescent dépassent le niveau pragmatique centré sur le réel pour insérer la connaissance dans le possible et pour relier directement le possible au nécessaire sans la médiation indispensable du support concret.

    Piaget considère cette évolution comme une dernière "décentration". Vers l'âge de 12 ans, le raisonnement du jeune adolescent commence à s'appliquer à des données symbolisées ou formalisées : énoncés verbaux, hypothèses, signes logiques ou mathématiques, représentations intériorisées (images mentales).

    Les structures opératoires se développent, deviennent plus mobiles, plus extensibles, rééquilibrables de multiples façons.

    Le jeune adolescent réalise maintenant que les classes sont non seulement des groupes d'objets concrets mais peuvent être conçues et/ou imaginées comme des abstractions ou des entités formelles.

    C'est alors que s'acquièrent la combinatoire, la logique des propositions, le "groupe des deux réversibilités" (coordination des réversibilités par inversion et par réciprocité).

    La pensée hypothético-déductive, l'esprit expérimental accélèrent la conquête du réel : notions de proportions, de vitesse, de probabilité, de causalité, etc.

    2. Les opérations formelles

    Cette dernière grande période du développement de l'intelligence s'étend en principe de 11 - 12 ans à 14 - 15 ans.

    En fait, des différences interindividuelles considérables existent là aussi, et l'on ne trouve pas chez tous les adultes les acquisitions caractérisant cette période.

    L'intelligence accède à un niveau tel qu'elle se situe au plan des relations entre le possible et le réel mais dans une inversion de sens tout à fait remarquable : le réel se subordonne au possible.

    L'adolescent devient capable de raisonner de façon formellement correcte sur des hypothèses, c'est-à-dire sur des propositions dont il ne sait encore si elles sont vraies ou fausses. ceci suppose une différenciation entre forme et contenu, caractéristique de cette étape du développement.

    Il devient possible à l'adolescent d'examiner les conséquences découlant nécessairement de ses hypothèses : la pensée formelle est aussi une pensée hypothético-déductive.

    3. Caractéristiques de la pensée formelle

    En étudiant les structures d'ensemble de la pensée formelle, Piaget se situe à deux points de vue : celui de l'équilibre d'une part, celui des structures d'autre part.

    A. Piaget affirme que ce qui caractérise le plus nettement la pensée formelle du  point de vue de l'équilibre, c'est le rôle qu'elle fait jouer au possible par rapport au réel.

    Une telle inversion de sens entre le possible et le réel a donc bien pour conséquence une inversion corrélative dans le rapport au monde ou au réel. Elle effectue dès le départ la synthèse du possible et du nécessaire, en déduisant les conclusions des prémisses dont la vérité n'est admise d'abord que par hypothèse et relève ainsi du possible avant de rejoindre le réel.

    En d'autres termes, le champ de l'équilibre est infiniment plus étendu qu'aux deux grands stades précédents et les instruments de coordination sont devenus plus souples.

    Piaget a décrit de multiples manifestations de ces progrès de la pensée du jeune adolescent. Il a proposé de les expliquer par des intégrations et des reconstructions plus larges et plus mobiles de structures antérieurement acquises.

    Si la subordination du réel au possible constitue le caractère essentiel de la pensée formelle, trois autres caractères en permettent l'explication.

    La pensée formelle porte sur des énoncés verbaux. Elle peut raisonner sur des propositions. Pour comprendre l'évolution qui se produit à ce stade, citons un exemple de raisonnement : "Pierre est plus petit que Paul et en même temps plus grand que Philippe. lequel des trois est le plus grand ?" un tel problème de sériation de trois éléments, présenté sous la forme de propositions verbales uniquement, caractérise le stade des opérations formelles, à partir de 11 ans environ.

    La substitution des énoncés verbaux aux objets correspond à l'intervention d'une logique nouvelle, la logique des propositions. Cette logique propositionnelle, régie par une combinatoire, permet un nombre infiniment plus grand d'opérations.

    La pensée formelle agit à un niveau supérieur à celui des opérations concrètes. les opérations formelles sont donc des opérations à la seconde puissance.

    Dire que la pensée opératoire formelle subordonne le possible au réel suppose une définition exacte du mot "possible". Du point de vue physique, un état d'équilibre est caractérisé par la compensation entre toutes les modifications virtuelles compatibles avec les liaisons du système en jeu (ex. une balance dans une situation d'équilibre). Le possible joue un rôle dans la physique expérimentale. C'est pourquoi Piaget estime que la notion du possible doit en jouer u en psychologie.

    La subordination du réel au possible signifie donc en premier lieu que le sujet ne se contente pas d'enregistrer simplement les relations qui s'imposent à lui mais qu'au contraire il les insère dans l'ensemble de celles qui sont possibles.

    Du point de vue logique, le possible apparaît comme le corrélatif du nécessaire. En effet, toute affirmation portée sur le réel est vraie ou fausse ; elle n'est pas nécessaire. Au contraire, une déduction opérée à partir d'une hypothèse est, du point de vue formel, nécessairement vraie si elle est correcte. Est donc possible tout ce qui n'est pas contradictoire.

    Du point de vue de l'adolescent, le possible concerne les opérations et les relations conçues comme possibles par lui et qu'il sait pouvoir effectuer sans qu'il soit nécessaire qu'il les effectue réellement. on parle alors du "matériellement possible".

    Du point de vue de l'observateur, i l y a par contre un ensemble d'opérations que l'adolescent pourrait effectuer, dont il ne prend pas conscience ou dont il ne pense pas à se servir. on parle alors du "structuralement possible".

    B. Après avoir appréhendé les formes d'équilibre caractérisant les opérations formelles, Piaget effectue une comparaison des structures correspondantes.

    Rappelons que ce qui caractérise une forme d'équilibre, c'est la réversibilité ou possibilité permanente de retour au point de départ. Ce retour est possible :

    • en annulant l'opération effectuée (inversion ou négation) ;
    • en annulant une différence (réciprocité).

    Aux structures de classes correspond la réversibilité par inversion ; aux structures de relations correspond la réversibilité par réciprocité.

    Au niveau formel, les emboîtements et enchaînements simples ou multiples (classifications additives ou classifications multiplicatives) s'intègrent dans un ensemble vaste où l'adolescent, considérant l'ensemble des parties, relie les éléments n à n dans une combinatoire.

    4. Le développement des structures opératoires

    Libérées de leur contenu, les classifications et les sériations vont se généraliser et aboutir à l'acquisition de ce que Piaget appelle la combinatoire. Cette acquisition donne au jeune adolescent la possibilité de construire et d'utiliser selon une méthode systématique toutes les manières différentes de grouper les objets d'une collection.

    Grouper signifiant constituer des classes, la combinatoire résulte donc d'une généralisation des opérations de classification acquises au stade précédent.

    La combinatoire s'applique aussi aux propositions, énoncés d'un jugement susceptibles d'être vrais ou faux. On assiste alors à l'apparition d'opérations portant sur des propositions. C'est la logique des propositions.

    La combinatoire comporte 16 combinaisons obtenues par la combinaison initiale de 2 propositions a et b en logique bivalente. Ces 16 combinaisons constituent des opérations nouvelles toutes distinctes ou opérations propositionnelles consistant à combiner les propositions du seul point de vue de leur vérité ou de leur fausseté. Si l'on regroupe ces opérations 2 à 2, on remarque qu'elles s'opposent. Chaque opération a une complémentaire ou inverse qui la nie. 

    5. Les opérations combinatoires

    Piaget pense que les opérations combinatoires constituent un schème opératoire général, c'est-à-dire une manière de procéder en présence de problèmes dont la solution exige un tableau systématique de combinaisons.

    Il semble que les opérations combinatoires constituent la condition de l'élaboration des opérateurs propositionnels (les 16 opérations)et qu'elles peuvent être généralisées à toute situation où elles servent à l'élaboration de ces opérateurs.

    A force d'opérer concrètement sur des données de plus en plus complexes dont il ne peut venir à bout par les méthodes dont il use, l'adolescent construit insensiblement cette nouvelle structure opératoire qui permet l'intégration de ce qui est dans ce qui pourrait être, par le jeu de toutes les combinaisons possibles.

    L'adolescent peut envisager les 16 associations possibles et en arriver à une généralisation de la classification. la permutation, généralisation des sériations, se construit un peu plus tard. la combinatoire est le prolongement de la logique des opérations concrètes en même temps que sa généralisation. C'est une classification de classifications ! Elle comporte aussi un système de réversibilité qui combine inversion et réciprocité, les deux réversibilités observées au niveau concret.

    Ce système de double réversibilité constitue un groupe de quaternité ou groupe de Klein, groupe commutatif à quatre transformations incluant la réversibilité par inversion (N) et la réversibilité par réciprocité (R) en une totalité composable :

    • une opération directe, identique ou transformation nulle (I)
    • son inverse ou négation (N)
    • l'opération directe et l'inverse de l'autre système qui constitue la réciproque du premier (R)
    • la négation ou inverse de cette réciproque ou corrélative (C)

    C'est bien entendu sans connaître aucune formule de logique que l'adolescent manipule les propositions selon ces quatre possibilités-hypothèses !

    A partir de ce stade, chaque opération a une inverse et une réciproque. C'est seulement alors que l'adolescent parvient à résoudre des problèmes faisant intervenir deux systèmes de références, des problèmes logico-mathématiques, des problèmes de proportions.

    Lorsque l'adolescent aura compris que chaque opération est à la fois l'inverse d'une autre et la réciproque d'une troisième, les transformations pourront se grouper en un système équilibré :

    N C = C       C R = N       C N = R       N R C = I

    C'est à partir de ce double système de références que se construit le schème de la proportionnalité numérique ou métrique.

    Les 16 combinaisons binaires en logique bivalente

    La combinatoire, en logique bivalente, comporte 16 combinaisons que l'on obtient par la combinaison initiale de 2 propositions, par exemple a et b. 

    Pourquoi 16 combinaisons ?

    Chacune de ces deux propositions peut être vraie ou fausse, indépendamment l'une de l'autre.  

    • a et b peuvent être vraies :             1 1
    • a peut être vraie et b fausse :         1 0
    • a peut être fausse et b vraie :         0 1
    • a comme b peuvent être fausses :  0 0

    Si l'on prend 0, 1 à 1,  2 à 2,  3 à 3 ou les quatre à la fois, on obtient 24 = 16 combinaisons qui constituent des opérations nouvelles, toutes distinctes ou opérations propositionnelles. Elles consistent à combiner les propositions du point de vue de leur vérité ou de leur fausseté.

    Piaget a montré qu'on peut regrouper ces opérations deux à deux, en sorte qu'elles s'opposent de façon complémentaire. Chaque opération a donc une opération inverse qui la nie.

    Illustrons ce propos en choisissant comme propositions  initiales    a = je me promène   ;   b = il pleut.

    a     b

    1     1    je me promène             et il pleut                  1    1    0    0    0    1    1    1

    1     0    je me promène             et il ne pleut pas      1    0    1    0    0    1    0    0

    0     1    je ne me promène pas et il pleut                  1    0    0    1    0    0    1    0

    0     0    je ne me promène pas et il ne pleut pas      1    0    0    0    1    0    0    1

                                                                                      1    2    3    4    5    6    7    8

    a     b

    1     1    je me promène             et il pleut                  0    0    1    1    1    0    0    0

    1     0    je me promène             et il ne pleut pas      0    1    0    1    1    0    1    1

    0     1    je ne me promène pas et il pleut                  0    1    1    0    1    1    0    1

    0     0    je ne me promène pas et il ne pleut pas      0    1    1    1    0    1    1    0

                                                                                      16  15  14  13  12  11  10   9

    1   c'est l'affirmation complète                                                      16    c'est la négation absolue

    2   c'est la conjonction (a et b sont vraies)                                   15    c'est l'incompatibilité

    3   c'est la non-implication (b inhibe a)                                         14    c'est l'implication (a implique b)

    4   c'est la non-implication réciproque                                          13    c'est l'implication réciproque (b implique a)

    Selon certains auteurs, cette fonction porte le nom d'inhibition ou contre-implication (a inhibe b)

    5   c'est la négation conjointe                                                       12    c'est la disjonction ( OU )

    6   c'est l'affirmation de a                                                              11    c'est la négation de a  ( NON )

    7   c'est l'affirmation de b                                                              10    c'est la négation de b  ( NON )

    8   c'est l'équivalence                                                                      9    c'est l'exclusion réciproque ou dilemme 

    6. Les proportions

    Selon Piaget, le schème des proportions fait la transition entre les schèmes issus du réseau (combinatoire propositionnelle) et ceux qui relèvent de la structure de groupe. Il se présente sous les aspects logique et mathématique.

    Piaget pense que la notion de proportion logique est inhérente à la structure d'ensemble qui domine les acquisitions du niveauformel. C'est pourquoi il y a lieu d'admettre que la notion de proportion s'explique, tant dans sa forme logique que dans sa forme mathématique, par sa connexion avec ces structures.

    Pour Piaget, l'acquisition du schème opératoire des proportions numériques ou métriques suppose des anticipations qualitatives sous forme de compensations par équivalences et de proportions logiques. 

    7. Les opérations spatiales et les compensations multiplicatives

    L'adolescent devient apte à construire une métrique euclidienne des surfaces et des volumes. La surface n'est plus une portion d'espace enfermée par une ligne. Elle se conserve même si la longueur de ses frontières varie. C'est seulement à ce stade que sa métrique peut être conçue comme un produit à le deuxième puissance. Il en va de même pour le volume qui est mesuré par un produit de troisième ordre. Le progrès conceptuel se traduit par la possibilité de coordonner le système de références et de coordonnées.

    On rencontre la notion de compensation multiplicative au niveau de la conservation du volume. Elle se rattache à la notion de proportion. Lorsque le volume spatial change de forme, l'adolescent doit comprendre que ce qu'il perd ou gagne selon l'une des dimensions est compensé par ce qu'il perd ou gagne selon les deux autres.

    Cette découverte est contemporaine de celle des proportions et s'effectue sans calcul métrique.

    Le sujet découvre simultanément les notions de proportions, d'équilibre, de corrélations, de compensations multiplicatives sans soupçonner qu'elles présentent un fonds opératoire commun et en ignorant la nature de groupe (groupe I N R C) dont elles dérivent. 

    8.  Les pouvoirs de l'adolescent

    Ayant décrit la pensée opératoire formelle selon le point de vue de l'équilibre et le point de vue des structures, Piaget a mis en évidence l'existence de la double réversibilité dans une structure d'ensemble de groupe, le groupe I N R C, et de la combinatoire propositionnelle, la logique bivalente, en montrant que la pensée formelle subordonne le réel au possible.

    Nous avons vu que le possible devait être compris selon deux perspectives : le structuralement possible et le matériellement possible.

    Raisonnant donc sur des hypothèses, l'adolescent découvre son nouveau pouvoir ; il se met à élaborer des théories religieuses, philosophiques, esthétiques, morales... comme s'il était impatient d'user de ce nouveau pouvoir et comme s'il croyait que les idées suffisent à elles seules pour penser le réel.

    Découvrant le pouvoir déductif que lui donnent ses nouvelles structures, l'adolescent est pris au piège de ce pouvoir croyant que le réel se plie aux décisions de la seule raison.

    L'adolescent est apte à la combinatoire composable et réversible. Il a conscience des grands nombres. Il intègre les transformations réelles dans l'ensemble des transformations virtuelles (possibles ou fictives). Il construit un système de probabilités.

    C'est à cause de ce pouvoir étonnant qu'a l'esprit de se prendre au jeu de ses propres possibilités que l'on parle d'âge métaphysique pour caractériser la pensée adolescente.

    Cette nouvelle structure mentale qui se forme absorbe à tel point le jeune adolescent qu'il a tendance à tout assimiler à travers elle.Cela concourt à donner une nouvelle forme d'égocentrisme, de nature métaphysique, qui attribue à la pensée une sorte de toute puissance.

    Quelle que soit la tentation à l'idéalisme à laquelle cède la pensé adolescente, il lui reste à faire l'expérience de la confrontation avec le réel sans quoi il n'y a pas seulement de connaissance possible, mais pas de vie du tout.

    Ainsi le sens et la destination de la pensée apparaissent comme la forme supérieure qu'a prise l'adaptation.

    Les notions dont l'enfant disposait, les méthodes dont il pouvait déjà faire usage au cours de la période précédente pour expliquer la réalité sont profondément modifiées et élargies par l'accès à la pensée formelle.

    Parmi ces notions que Piaget appelle schèmes opératoires formels, plusieurs se rattachent au maniement des proportions, qui procède du groupe INRC. Cette possibilité de manier les proportions permet l'achèvement de notions telles que la comparaison de vitesses et de probabilités.

    L'usage de plusieurs systèmes de référence est également une acquisition découlant directement du groupe I N R C.

    La notion de causalité est profondément restructurée par la possibilité d'utiliser les combinatoires et la logique des propositions.

    C'est aussi à cette époque qu'on assiste à la formation spontanée d'un esprit expérimental qui constitue un outil universel d'explication du réel.

    La pensée de l'adolescent est essentiellement caractérisée par le fait que le succès immédiat ou unique d'une action passe au second plan. L'adolescent ne semble pas tellement préoccupé de réussir ici ou là. Il semble bien plus préoccupé de gagner l'intelligence générale (au sens de la compréhension) de l'ensemble des propriétés qui caractérisent un phénomène, de l'ensemble des façons dont on peut classifier un ensemble d'objets, de tous les facteurs qui participent à un phénomène physique.

    L'utilisation généralement implicite de la logique des propositions (conjonction "et", disjonction "ou", implication "si ... alors") dans le raisonnement appliqué à la résolution de problèmes et, au plan plus général, l'apparition des schèmes opératoires de la logique formelle (combinatoire, permutations, inversion et réciprocité, corrélations et proportions) caractérisent donc cette période.

    Bärbel Inhelder, collaboratrice de Piaget, a mené une série d'expériences qui ont mis clairement en évidence le changement de comportement qui se manifeste chez l'adolescent et qui se caractérise d'une part par l'extraordinaire rigueur du raisonnement à partir de prémisses (hypothétiques ou conventionnellement acceptées comme vraies) et par les conduites scientifiques qui dépassent kle résultat concret par l'analyse des facteurs en jeu (isolement et mise en relation des facteurs pertinents) et qui conduisent à la formulation de lois et à des tentatives d'explication.

    La vie affective et la vie intellectuelle évoluent de pair. L'adolescent se construit une échelle de valeurs en hiérarchisant ses idéaux entre valeurs permanentes et moyens de les atteindre. Il tente de s'adapter au maximum en socialisant sa réflexion, en la confortant par des conduites verbales ou autres avec celle d'autrui. Le dépassement du formalisme, pour atteindre l'objectivité adaptée de l'adulte, est une manifestation de l'équilibration progressive.

    On comprend aisément que cette perspective piagétienne de la maturité équilibrée fasse de la personnalité une construction organisée assez tardive.

    Au cours de l'adolescence, l'intelligence formelle se développe selon cinq directions essentielles :

    • l'imagination de plusieurs explications alternatives pour un même phénomène (imaginer les causes d'un accident) ;
    • l'invention de propositions contraires aux faits, de déductions, de suppositions, d'hypothèses ;
    • l'utilisation de symboles qui ne représentent rien dans l'expérience personnelle de l'individu mais qui ont une définition abstraite, comme les métaphores ;
    • la manipulation de symboles de symboles : c'est l'époque où débute l'apprentissage de l'algèbre ;
    • la vérification expérimentale et l'induction.

     

     Lien URL vers le chapitre suivant

     


    votre commentaire
  • La troisième période ou période de l'intelligence opératoire concrète

     Lien URL avec le chapitre précédent

    6. Qu'est-ce qu'une opération ?

    Pour Piaget, une opération est une action intériorisée, une transformation d'un état A à un état B.

    L'apparition d'opérations nécessairement et strictement réversibles s'observe d'abord au niveau concret. les opérations concrètes sont abstraites des coordinations les plus générales d'actions comme réunir, dissocier, ordonner, qui peuvent se dérouler dans les deux sens. Les opérations sont donc réversibles de façon rigoureuse et nécessaire.

    De cette réversibilité découle le second caractère fondamental des opérations : être toujours structurées en systèmes d'ensemble.

    Ainsi réunir n'est une opération que si cette action est considérée solidairement avec celle de dissocier (réunion et dissociation de deux boulettes d'argile, de deux séries de perles, etc.)

    La réversibilité rigoureuse et nécessaire de chacune de ces deux opérations n'apparaît qu'au sein de la structure qu'elles forment ensemble. il en résulte qu'on ne peut évoquer d'opérations élémentaires sans évoquer les systèmes opératoires qui leur confèrent leurs propriétés. C'est l'aspect structuraliste de la théorie de Piaget.

    Réaliser des opérations élémentaires concrètes, comme les sériations et les classifications, c'est être capable de créer des transformations réversibles sur des objets et en rendre compte verbalement.

    L'étape des opérations concrètes est caractérisée par une série de structures en voie d'achèvement.

    Les opérations permettent à l'enfant d'avoir accès aux structures logico-mathématiques et à leurs groupements.

    Sur le plan logique, elles se ramènent toutes à des "groupements" : classifications, sériations, correspondances terme à terme, correspondances simples ou sériales, opérations multiplicatives.

    Sur le plan arithmétique : groupes additifs et multiplicatifs des nombres entiers et fractionnaires.

    L'enfant peut raisonner (concrètement) sur des classes, ds relations sériations), des nombres. Il structure conjointement la réalité : notions d'espace, de temps, de hasard, de causalité.

    7. Les niveaux du stade opératoire concret

    7.1. Vers l'âge de 7 - 8 ans, on observe chez l'enfant une série de progrès qui s'étendent à un grand nombre de conduites. C'est le premier niveau de la période des opérations concrètes.

    • L'enfant devient capable de classer des objets selon des critères explicités, de sérier les objets d'un ensemble par rapport à une relation clairement définie ; il comprend l'indépendance du nombre des éléments d'un ensemble par rapport à la disposition spatiale de ces éléments.
    • L'enfant peut aussi faire correspondre à chaque élément d'un ensemble un élément d'un autre ensemble. mathématiquement, il s'agit d'une application bijective (ou bijection).
    • L'enfant comprend que l'égalité du nombre d'éléments de chaque ensemble est indépendant de leur arrangement spatial, etc. Il commence également à comprendre que les actions exercées sur les objets (déformations, déplacements) n'en modifient pas toutes les propriétés, mais que certaines demeurent invariantes.
    • Toutes ces articulations opératoires du réel n'apparaissent pas simultanément. Des structures opératoires identiques s'appliquant à des situations ou des "contenus" différents sont soumises à des décalages assez importants. Piaget les appelle des décalages horizontaux. Piaget distingue entre décalages horizontaux (application d'une même structure opératoire à des contenus différents à des périodes différentes mais à l'intérieur du même stade) et décalages verticaux (reconstruction d'une structure à un stade donné au moyen d'autres opérations à un stade ultérieur). L'enfant qui s'est construit au niveau sensorimoteur un système articulé de déplacements dans l'espace (avec des retours et détours) au niveau de l'action directe, reconstruira  plus tard en passant des étapes analogues de formation ce système au niveau de la représentation.
    • L'époque où l'enfant parvient à maîtriser une situation particulière ne dépend pas seulement de son développement opératoire, mais aussi des particularités de la situation ou de l'objet auxquelles le sujet est confronté.

    7.2. Au deuxième niveau de la période des opérations concrètes, où le sujet atteint "l'équilibre général des opérations concrètes", on observe également la mise en place définitive des opérations "infralogiques".

    C'est par ce terme que Piaget dénomme les opérations

    • portant sur l'espace, le temps, la vitesse...
    • constitutives des notions relatives à l'espace, au temps, à la vitesse...

    Il s'agit des opérations en relation avec la physique du réel.

    Le terme "infra" signifie que ces opérations sont formatrices de la notion d'objet comme tel et des différentes procédures servant à le connaître :

    • analyse des voisinages ;
    • comparaison des parties entre elles et au tout ;
    • mesure.

    C'est donc au deuxième niveau des opérations concrètes que s'achèvent les opérations relatives à l'espace (mesure, coordination des perspectives possibles, notions d'horizontalité, de verticalité...), la vitesse, le temps et le mouvement (sériation d'évènements temporels, emboîtement des intervalles entre évènements, métrique temporelle) (voir ci-dessous au § 16 et suivants).

    D'autre part, on constate un premier achèvement des opérations concernant le hasard et les phénomènes aléatoires.

    La période des opérations concrètes, préparée depuis 18 mois - 2 ans,  s'étend donc de 6 - 8 ans à 11 - 12 ans environ. Les conservations en sont l'indice (voir ci-dessous au § 9).

    8. Les opérations concrètes

    Les premières opérations que l'on peut observer chez l'enfant portent d'abord directement sur des objets présents ou immédiatement représentés. C'est ainsi que Piaget appelle "opérations concrètes" celles qui portent sur des objets manipulables (manipulations effectives ou immédiatement imaginables), par opposition aux opérations portant sur des hypothèses ou des énoncés simplement verbaux (logique des propositions). Elles n'apparaissent que vers 7 ans.

    Une longue période s'écoule donc entre le moment où l'enfant commence à intérioriser ses schèmes d'action et à disposer du langage (vers 2 ans) et le moment où sa pensée devient opératoire.

    Cette période est essentiellement occupée par une restructuration, au niveau opératoire, celui des actions intériorisées, d'acquisitions réalisées antérieurement au niveau sensorimoteur, celui des actions effectives : la décentration grâce à laquelle l'enfant est parvenu à agir en considérant son corps comme un objet parmi d'autres, la construction de l'objet permanent qui conduit l'enfant à chercher un objet disparu, le groupe pratique des déplacements. On retrouve donc ici l'idée d'un progrès se réalisant par une suite de reconstructions de plus en plus larges et mobiles, qui pouvait déjà s'illustrer, au niveau sensorimoteur, dans le passage des réflexes aux schèmes d'action.

    La période allant de 2 - 3 ans jusqu'à 7 - 8 ans peut donc être considérée comme une période d'organisation et de préparation des opérations concrètes (cf. § 2). Celles-ci se développent ensuite et ne s'achèvent que vers 11 - 12 ans, époque vers laquelle une nouvelle reconstruction interviendra. Les expériences qui mettent le plus clairement en évidence la présence ou l'absence d'opérations chez un enfant portent sur les conservations.

    Les épreuves de conservation ne sont que des expériences permettant une mise en évidence commode des structures opératoires. la construction et la mise en oeuvre de ces structures se manifestent dans toutes les conduites de l'enfant de cet âge.

    Ces structures lui donnent accès aux concepts logico-mathématiques tels que ceux de classes, de relations, de nombres. De plus, elles organisent, en s'organisant, les différents secteurs de son expérience (notions d'espace, de temps, de hasard, de causalité physique).

    Ces deux catégories d'acquisitions sont complémentaires : l'organisation de l'intelligence et l'organisation de la réalité s'effectuent solidairement et l'une par l'autre. cette complémentarité résulte de celle qui réunit l'assimilation à l'accommodation.

    9. Les conservations ou invariants

    Si toute opération est une transformation d'un état A à un état B, elle suppose au moins une propriété invariante dans le cours de la transformation : quelque chose qui se conserve.

    Les conservations ne sont pas innées : elles s'acquièrent. ce fut déjà le cas pour le schème de l'objet permanent au niveau sensorimoteur.

    Au niveau des opérations concrètes se constitue donc un ensemble de schèmes ou notions de conservation, encadrés et soutenus par une structuration logico-mathématique due aux activités de l'enfant.

    Les notions de conservation ne sont pas toutes élaborées en même temps : il y a en effet des décalages horizontaux entre certaines conservations.

    On distingue : les conservations physiques, les conservations spatiales et les conservations numériques.

    10. Les conservations physiques de substance, poids, volume

    Les plus classiques de ces expériences ont déjà été évoquées.

    Pour la conservation de la substance, on demande au sujet de réaliser deux boules de pâte à modeler dont il pense qu'elles contiennent "la même chose de pâte". On déforme ensuite l'une d'elles (saucisses, galettes, morceaux) et on demande à l'enfant s'il y a toujours "la même chose de pâte" puis on fait justifier la réponse.

    L'expérience de la boulette d'argile cherche à mettre en évidence la conservation de la quantité de substance, quelles que soient les modifications de forme données à la matière. Toute transformation de la forme laisse donc invariante la quantité de matière ou de substance. L'opération réversible se révèlera à cette propriété.

    On passe ensuite à la conservation du poids (avec usage d'une balance à deux plateaux), puis à la conservation du volume (immersion dans un bocal).

    Pour chacune de ces notions, on observe trois niveaux de réponse : 

    • aucune conservation ;
    • réactions intermédiaires (conservation affirmée ou non selon les circonstances) ;
    • conservation affirmée comme évidente dans tous les cas.

    Ces expériences ont été utilisées comme épreuves de diagnostic (test) d'"opérativité". On dit d'un enfant qu'il est "non conservant", "intermédiaire" ou "conservant". Des décalages existent entre les acquisitions de ces trois notions qui paraissent se faire toujours dans l'ordre : substance (vers 8 ans) ; poids (vers 9 - 10 ans) ; volume (vers 11 - 12 ans). D'un milieu culturel à un autre, les âges peuvent changer, mais l'ordre est constant.

    C'est vers 7 - 8 ans que les enfants affirment que la quantité de matière reste identique malgré les déformations en se fondant sur les transformations. Mais pour arriver à ce stade, ils ont dû passer par 3 étapes de la réversibilité :

    • l'identité : "C'est la même chose. On n'a rien enlevé ni ajouté" ;
    • la compensation : "C'est plus long, mais c'est plus mince" ;
    • l'inversion : "Si on reforme la boule, on aura la même chose qu'avant. On aura les deux  mêmes boules, donc c'est la même chose de pâte".

    Les mêmes étapes sont donc observées en ce qui concerne la conservation du poids

    • non-conservation ;
    • conservation on assurée ;
    • conservation affirmée comme une évidence.

    Ce dernier stade est généralement atteint vers 8 - 9 ans.

    La conservation du volume est de loin la plus tardive. en effet, elle n'est acquise qu'entre 10 et 12 ans. Piaget estime que cette conservation relève davantage des opérations formelles parce qu'elle comporte la notion de proportions qui n'est acquise qu'au niveau formel.

    Par conséquent, l'enfant "conserve" d'abord la substance sans conserver le poids ni le volume. Ensuite il conserve la substance et le poids sans le volume. Enfin, il conserve la substance, le poids, le volume avec des décalages de deux années environ entre chaque conservation.

    Avec la constitution des invariants, les opérations se coordonnent en une structure d'ensemble. Pour Piaget, c'est une évidence car si l'enfant fait intervenir la réversibilité, c'est qu'un système est déjà organisé et qui comprend nécessairement :

    • l'opération directe, c'est-à-dire la transformation
    • l'opération inverse, c'est-à-dire le retour au départ
    • l'opération identique, c'est-à-dire la transformation nulle.

    Les épreuves de conservation ne sont que des expériences permettant une mise en évidence commode des structures opératoires. Elles témoignent donc du caractère opératoire de la pensée de l'enfant : les opérations se caractérisent par le fait qu'elles sont rigoureusement et nécessairement réversibles, toujours organisées en structures (cf. § 13).

    L'acquisition des conservations ou invariants constitue une nouvelle forme de décentration. la pensée de l'enfant n'est plus centrée sur les actions qu'il accomplit, ni sur les apparences figuratives du réel.

    La prise en considération de ces transformations, de ces coordinations des actions entraîne une libération à l'égard de l'agi et du perçu.

    11. les conservations spatiales

    Les conservations physiques ne sont pas les seules à se constituer dans le courant de la période opératoire concrète.

    En ce qui concerne l'espace, un certain nombre d'invariants corrélatifs d'opérations logiques s'élaborent.

    Les expériences effectuées à l'aide de baguettes déplacées puis à l'aide de baguette sectionnées mettent en évidence que la conservation opératoire des longueurs est généralement effective vers 7 ans. Mais elle suppose d'abord que la notion de distance soit acquise, mais aussi le recours à un système de références. En d'autres termes, la conservation des longueurs suppose la constitution de l'espace comme cadre contenant les objets où se conservent les distances.

    C'est également vers 7 ans que la conservation des surfaces est généralement affirmée comme nécessaire.

    Vers 7 et jusqu'à 8 - 9 ans, les enfants mettent en relation les trois dimensions : d'abord en mettant en relation deux dimensions, ensuite en ajustant la troisième peu à peu mais sans mesure ni compensations fondées sur un système d'unités. A ce stade, la forme différente des volumes construits n'occupe pas la même quantité de volume d'espace.

    Vers 8 - 9 ans, on assiste à un début de mesure par décomposition et recomposition au moyen de cubes-unités sans qu'intervienne de multiplication mathématique mettant longueur et surfaces en relations numériques avec le volume comme tel.

    Enfin, à partir de 11 - 12 ans, les enfants découvrent la relation mathématique entre les surfaces et le volume. Ils découvrent également la conservation du volume en tant que volume occupé par l'ensemble de l'objet.

    Si la conservation du volume spatial n'est acquise qu'après 11 - 12 ans, c'est parce que la constance des verticales et des horizontales ne l'est qu'à 9 ans dans la mesure où celles-ci constituent un système d'ensemble de coordonnées.

    12. Les conservations numériques :

    La mise en évidence des conservations numériques repose sur la mise en correspondance terme à terme.

    On distingue deux types de correspondance terme à terme : l'une spontanée ; l'autre provoquée.

    On rencontre la correspondance spontanée lorsqu'on demande à l'enfant d’évaluer une quantité d'objets donnés au moyen d'objets de même nature qu'il leur fait correspondre.

    La correspondance provoquée consiste à mettre en correspondance des objets hétérogènes : des œufs et des coquetiers, par exemple. On peut distinguer trois stades dans le comportement des enfants :

    • 1er stade : la comparaison est qualitative et globale, sans correspondance terme à terme ni équivalence durable.
    • 2ème stade : la correspondance terme à terme s'effectue mais elle est intuitive et sans équivalence durable.
    • 3ème stade : la correspondance est opératoire, qualitative ou numérique et les équivalences des ensembles obtenus sont durables.

    Les conservations numériques ne signifient pas que l'enfant possède la notion de nombre ! Elles expriment le fait qu'il s'agit de conservation de correspondance ou d'équivalence de deux ensembles quant à leur quantité globale.

    13. Les structures de groupement caractéristiques des opérations

    Piaget appelle "groupement" un système d'opérations qui s'impliquent les unes les autres.

    Comprendre ce qu'est une addition implique que l'on comprend également ce qu'est une soustraction, de même une multiplication et une division. Ce système est tel qu'il comporte cinq conditions simultanées : la transitivité, l'inversion, l'opération identique, l'associativité et la tautologie ou l'itération.

    • Deux actions successives peuvent se coordonner en une seule : c'est la transitivité propre aux inclusions qui correspond au plan psychologique, à la coordination des opérations. Ex. : réunir deux relations en une troisième qui les contient.
    • L'opération transitive peut être inversée : c'est la réversibilité de l'opération. Ex. : séparer, rassembler, serrer, disperser.
    • Le produit de l'opération et de son inverse est l'opération identique. L'opération identique, par composition d'une opération avec son inverse, c'est psychologiquement l'absence d'une opération. Ex. : réunir puis dissocier c'est comme si rien n'avait changé.
    • L'associativité ne s'applique qu'aux quantités numériques. Ex. : (3 + 1 ) + 4 = 3 + (1 + 4). On peut additionner n'importe quel nombre à n'importe quel autre. par contre, on ne peut réunir n'importe quelle classe à n'importe quelle autre.
    • La tautologie et l'itération : il s'agit de l'application d'une même opération à un ensemble ou à un objet, deux fois de suite. Dans les structures logiques (ex. la classe), la répétition de la même opération n'ajoute rien. C'est la tautologie. Ex. : tous les carrés rouges + tous les carrés rouges nous donne le même ensemble de carrés rouges. Dans les structures mathématiques (ex. le nombre), la répétition de la même opération modifie le résultat. C'est l'itération. Ex. : le nombre + 1 + 1 = le nombre + 2.

    Parmi les groupements qui se constituent au cours de la période des opérations concrètes, le groupement multiplicatif des classes et des sériations constitue une sorte de synthèse qui prépare les opérations formelles ultérieures.

    S'il apparaît vers 7 ans, ce n'est que vers 8 - 9 ans qu'il est à peu près achevé parce qu'il repose alors entièrement sur des mécanismes opératoires.

    Les groupements opératoires aboutissent ainsi aux structures suivantes :

    • emboîtement des classes (Ex.: classer des quantités équivalentes) ;
    • sériation des relations asymétriques (Ex.: ordonner des grandeurs différentes) ;
    • correspondance des groupements multiplicatifs (Ex.: faire correspondre une suite de cannes et une suite de sacs) ;
    • apparition du système des nombres (équivalence et différence) ;
    • groupements spatiaux et temporels, compositions diverses qui, avant de se conceptualiser, font l'objet de déductions hypothético-déductives.

    Grâce à la pensée opératoire, l'enfant sait désormais où est l'école par rapport à sa maison et inversement. De plus, il devient mentalement capable de structurer l'espace entre les deux : il peut détailler ce qu'il rencontre (édifices publics, maisons, magasins ...)

    Les notions de temps et de durée se précisent également. vers 8 ans, les notions "avant" et "après" se coordonent avec "plus ou moins longtemps".

    Les groupements sont toujours relatifs à un contenu physique précis.

    14. Le développement des opérations logico-mathématiques

    Les activités logico-mathématiques dont Piaget a décrit la genèse dans les conduites enfantines concernent, en premier lieu, les classifications, les ordonnancements et les dénombrements. 

    Vers l'âge de 2 - 3 ans et jusque vers 4 - 5 ans, les enfants deviennent capables de premières formes de "classifications" lorsqu'ils sont confrontés avec un matériel plus ou moins hétérogène. les conduites que l'on peut observer consistent à rassembler les objets selon des critères de "convenance" de type fonctionnel.  Ex.: l'enfant préfère poser un arbre à côté d'une maison au lieu de le poser avec d'autres arbres ou poser un triangle sur un carré parce que cela fait une maison.

    L'articulation finale de ce rassemblement d'objets devient souvent ce que Piaget appelle une collection figurale, c'est-à-dire une structure empirique. L'enfant compose un tableau où la consigne de "mettre ensemble ce qui va ensemble" est interprétée en fonction d'un système de critères multiples et hétérogènes qui se mêlent assez librement.

    Dans la classification, le sujet réunit des objets selon leurs ressemblances, leur "égalité" à un ou plusieurs points de vue. il établit des systèmes de classes emboîtés ou hiérarchisés en considérant les ressemblances de plus en plus générales entre objets. Ex.: la classe des chevaux est contenue dans la classe des mammifères qui est dans la classe des vertébrés ; la classe des vertébrés est incluse dans la classe des animaux qui est contenue dans celle des êtres vivants...

    Par ailleurs, le sujet commence à aligner des objets, selon leurs ressemblances, mais souvent sans critère unique ou invariable et en changeant de temps en temps de stratégie, etc. Ces ébauches dans la direction de la définition en compréhension de classes d'équivalence trouvent leur parallèle dans les progrès d'une définition par extension : sans être encore capable de fabriquer des classes homogènes auxquelles tous les objets appartiennent, l'enfant commence à entasser les objets qui vont ensemble pour les regrouper.

    Entre 4 et 7 ans, l'enfant développe des conduites classificatoires qui se rapprochent de plus en plus des systèmes à critères "objectifs": il articule un ensemble d'objets en petites collections juxtaposées, disjointes, mais pour l'instant sans articuler les critères.

    Vers 8 ans, l'enfant est apte à construire les classifications hiérarchiques. il est capable de dire de plusieurs façons si A est inclus dans B. Mais il est toujours bon de s'assurer de la relation effective entre A et B car on constate que la forme logique est encore dépendante du contenu. Le propre de l'inclusion sera de constituer un emboîtement en extension en plus d'une différenciation en compréhension.

    Par ailleurs, avec un certain décalage, l'enfant devient progressivement capable d'établir des systèmes multiplicatifs de classes en considérant simultanément des qualités indépendantes des objets.

    Il devient capable de représenter concrètement et d'exprimer de plusieurs façons des classes d'objets

    • à la fois carrés et rouges
    • rouges mais pas carrés
    • carrés mais pas rouges
    • ni rouges ni carrés

    Les classifications emboîtées ou hiérarchisées posent le problème particulier du réglage du "tous" et du "quelques". mais ces problèmes sont cependant maîtrisés par l'enfant vers 9 - 10 ans en moyenne. Vers 6 ans et demi environ, certains parviennent à construire une matrice à double entrée. la prise de conscience de l'intersection ne se fait que beaucoup plus tard. La mise en correspondance terme à terme est la structure multiplicative la plus élémentaire procédant de la sériation. ce n'est que lorsqu'il atteint le niveau opératoire que l'enfant peut construire une double ou triple sériation.

    Si l'enfant d'âge scolaire groupe les objets selon leurs équivalences (classifications), il peut aussi grouper selon leurs différences ordonnées (relations asymétriques ou sériations).

    En se centrant plutôt sur les différences entre objets que sur leurs ressemblances, le sujet établit des relations. dans certains cas, il pourra ordonner un ensemble d'objets selon une relation considérée :

    • sérier des baguettes, des bâtonnets dans l'ordre croissant ou décroisant ;
    • ordonner des objets du moins vert au plus vert ;

    ou selon plusieurs relations : 

    • ordonner des feuilles en ordre croissant et simultanément des moins vertes aux plus vertes.

    L'enfant peut à présent dénombrer, compter, ranger, arranger des objets.

    A partir de 7 ans, l'enfant comprend la double transitivité "montante" et "descendante" à savoir que tout élément X d'une série compris entre A et N est à la fois plus grand que ceux qui le précèdent et plus petit que ceux qui le suivent (réversibilité de l'ordre).

    L'enfant devient capable d'effectuer spontanément des sériations simples et multiplicatives vers l'âge de 7 - 8 ans. ce niveau d'achèvement est cependant précédé par des conduites plus primitives, consistant, pour les plus jeunes sujets jusqu'à 4 - 5 ans, à établir des couples d'un petit et d'un grand élément, mais sans tentative de sériation, puis à l'établissement de séries partielles : petites séries sans coordination entre elles. Après une phase intermédiaire, l'enfant réussit une sériation correcte grâce à des tâtonnements successifs, le niveau de réussite spontanée est finalement atteint.

    A un niveau légèrement différent, les fonctions, les géométries et les opérations qui en relèvent apparaissent bien comme des opérations de type logico-mathématique. Mais elles procèdent tout autant de la physique de l'objet lui-même pour ce qui est de la géométrie et de la causalité des phénomènes physiques pour ce qui est des fonctions.

    Lorsqu'on dispose de deux ensembles contenant le même nombre d'éléments, il paraît évident que cette équivalence numérique soit indépendante des arrangements spatiaux des objets. Par ailleurs, il semble assez simple d'établir une telle correspondance "biunivoque" entre deux ensembles puisqu’il suffit de faire correspondre à chaque élément du premier ensemble un élément du second. or on constate que ni l'établissement d'une telle égalité numérique, ni son indépendance de la disposition spatiale ne sont évidentes avant l'âge de 5 - 7 ans.

    Les plus jeunes enfants ne différencient pas l'espace occupé par les éléments d'un ensemble et leur nombre. Ils ne réussissent pas à établir la correspondance numérique par des actions appropriées.

    Les enfants d'un niveau intermédiaire parviennent pourtant à établir la correspondance numérique de départ, mais dès que l'on modifie la disposition spatiale des objets, cette égalité disparaît et l'enfant n'est même plus certain de pouvoir rétablir l'égalité en réarrangeant les objets comme ils étaient avant ! Ce n'est qu'au stade final que la correspondance entre chaque terme et l'équivalence numérique deviennent durables et indépendantes de la perception directe, condition nécessaire à cette nouvelle notion d'invariance qui s'établit.

    A propos des correspondances biunivoques, l'application bijective devient possible au stade intermédiaire déjà, mais, une fois établie, elle n'est pas résistante aux modifications de l'arrangement spatial.

    L'enfant sait donc établir une application ou une fonction mais celles-ci ne sont pas encore intégrées à une structure d'ensemble. De ce fait, elles ne sont ni invariantes ni réversibles. C'est pourquoi les enfants n'admettent pas l'équivalence numérique lors des déplacements des objets et ne sont pas capables de prévoir le rétablissement de l'équivalence de départ.

    L'enfant devient aussi capable de composer des transformations successives mais sans pouvoir les coordonner en structure d'ensemble. 

    Conclusion :

    Les opérations de classification, de sériation et les correspondances biunivoques se construisent parallèlement et aboutissent toutes à un premier niveau d'équilibre vers l'âge de 7 - 8 ans.

    15. Le développement de la notion de nombre 

    Les premières manifestations du nombre s'observent de la façon la plus évidente dans les correspondances biunivoques.

    Le nombre, selon Piaget, est une synthèse à partir des inclusions de classes et des relations d'ordre.

    Le propre d'un ensemble numérique ou dénombrable est de faire abstraction des qualités des termes individuels de sorte qu'ils deviennent tous équivalents.

    Confronté à une collection quelconque d'objets, le sujet finit donc par faire abstraction de toutes les propriétés particulières des objets, sauf leur existence.

    C'est lorsque les constructions logiques, classifications, sériations... se sont mises en place que simultanément se construisent les quantités extensives ou métriques.

    Avant 7 ans, l'enfant ne parvient pas à une notion opératoire du nombre. S'il apprend verbalement la suite des nombres, il n'accède pas à la conservation des ensembles numériques. Il ne suffit pas de savoir compter verbalement pour que l'on puisse parler de nombre. Compter 1, 2, 3, 4 billes chez un petit enfant ne sert qu'à individualiser ces éléments. La notion de nombre implique toute une organisation originale d'opérations. 

    Exemple : le nombre 3 implique une série d'inclusions : 1 est inclus dans 2 ; 2 est inclus dans 3.

    Il suppose aussi une série d'unités. C'est la synthèse de ces deux structures, inclusion des ensembles par réunion des unités qui fait du nombre une structure nouvelle à laquelle on peut appliquer des opérations qui sont réversibles.

    C'est parce qu'il représente une structuration nouvelle relativement complexe des groupements logiques impliquant la conservation et la réversibilité que le nombre ne peut apparaître avant la mise en place des structures opératoires.

    Le nombre entier apparaît donc comme une synthèse opératoire des articulations par ordination ou par inclusions successives et les dépassant par ses propriétés beaucoup plus générales.

    Les expériences relatives à la correspondance biunivoque montrent bien que le nombre n'apparaît pas dès que les opérations de classification et de sériation sont bien en place. Selon Piaget, ces opérations évoluent synchroniquement et en interdépendance étroite. Il semble, en effet, qu'à partir des structures initiales il puisse y avoir abstraction réfléchissante des liaisons d'emboîtement et d'ordre à des fins multiples avec échanges collatéraux variables entre les trois structures fondamentales de classes, relations et nombres.

    Ce n'est donc qu'après 7 ans que l'enfant parvient à l'idée opératoire du nombre, en s'appuyant sur les deux structures opératoires qui se constituent en même temps : les structures logiques de classification et de sériation. Ces deux structures conduisent à la constitution de la série des nombres entiers.

    Si le nombre est une synthèse de la sériation et de l'inclusion d'objets d'emblée discontinue pour aboutir à la suite des nombres, cela suppose le découpage arbitraire du contenu (unité)et l'itération de l'unité jusqu'à épuisement.

    Cette période est donc marquée par la construction partielle de l'espace euclidien à partir de l'espace topologique de la période précédente. Il a fallu pour cela que l'espace soit structuré, assoupli, c'est-à-dire que le sujet distingue des objets immobiles d'un espace occupé par des objets mobiles. 

    16. La construction et la représentation de l'espace

    Avant d'évoquer la représentation de l'espace, il convient de signaler que l'enfant construit, au niveau de l'action pratique et directe, un espace dont l'organisation est achevée à la fin du stade sensorimoteur. Il dispose donc, à partir de ce niveau, d'une connaissance pratique qui lui permet de faire des détours, de composer des déplacements possibles. Sa capacité de représentation se limite pourtant aux déplacements eux-mêmes et non à une représentation de l'espace en tant que tel. Les recherches de Piaget montrent que les enfants de 4 - 5 ans ne peuvent pas encore se représenter un espace connu ( leur école, le quartier, le trajet parcouru...) bien qu'ils soient parfaitement capables de s'y déplacer, de composer et varier les déplacements. En considérant la représentation spatiale on constate que les premières propriétés que l'enfant conserve et respecte sont d'ordre topologique.

    Si l'espace topologique (rapports de voisinage, de séparation) ignore la distinction entre contenant et contenu, l'espace euclidien les différencie, c'est ce qui marque les progrès de l'enfant.

    L'espace euclidien suppose deux opérations qualitatives aboutissant à l'élaboration des distances et des déplacements. La droite euclidienne implique la conservation des longueurs qui est acquise avec les constructions des mécanismes opératoires. A ce stade, les surfaces et les volumes se conservent également de façon qualitative.

    C'est lorsque la notion de mesure est acquise, c'est-à-dire que les opérations qualitatives de partition des intervalles entre les points immobiles et de déplacement sont synthétisés que la droite euclidienne s'intègre à la métrique euclidienne de l'espace.

    Les enfants deviennent peu à peu capables de reconstituer des ordres spatiaux simples. mais ils ne disposent pas encore de la réversibilité opératoire qui les rend incapables, pour le moment, de reconstruire de telles suites en ordre inverse, ou encore d'imaginer ce qui se passe avec elles lorsqu'on les cache des mains et leur fait subir une rotation d'un demi-tour ou d'un tour entier. L'ensemble de ces conduites ne s'achève, par conséquent, qu'au niveau des opérations concrètes.

    La mesure des surfaces et des volumes n'est donc, à la fin des opérations concrètes que la mesure de longueurs à 2 ou 3 dimensions.

    L'enfant va pouvoir construire des systèmes de coordonnées (critère fondamental de l'espace euclidien). Il est maintenant capable de relier des objets (contenus mobiles) en référence avec des contenants (système de coordonnées immobiles) qui permet leur repérage. l'enfant utilise naturellement les verticales et les horizontales de l'espace mais il est incapable de relier entre eux deux systèmes de références et de coordonnées autrement que par tâtonnements.

    Les enfants de la deuxième période des opérations concrètes peuvent coordonner plusieurs points de vue possibles de différents observateurs inspectant un même objet, ou tenir compte des déformations (apparentes) d'un objet qui subit un changement de position. L'enfant construit un espace projectif.

    L'enfant devient capable de se représenter les sections d'un corps solide ou le "développement" des surfaces d'un corps. ces résultats, parallèles au développement du dessin enfantin, ne renseignent pas seulement sur le développement de l'espace. A un niveau plus général, ils indiquent que l'enfant se décentre de son point de vue propre et personnel (égocentrisme intellectuel), pour coordonner différents points de vue possibles.

    Durant la même période s'achève le développement des opérations de mesure par la constitution d'une métrique consistant à définir arbitrairement une unité de mesure, puis à la reporter ou à l'itérer par un mouvement approprié sur l'objet à mesurer.

    La coordination des points de vue sur le plan de la représentation et la structuration métrique sur le plan des opérations s'achèvent par l'établissement d'un espace euclidien et par la généralisation de la mesure aux systèmes de coordonnées naturelles (horizontale et verticale), arbitraires et de référence (coordonnées naturelles dans le paysage, route, ruisseaux, ...) ainsi que par la représentation des groupes de déplacements, la mesure appliquée aux volumes...

    Dans la mesure où ces développements s'appuient sur des considérations essentiellement qualitatives, ils s'achèvent déjà au deuxième niveau des opérations concrètes, tandis qu'il faut attendre le stade des opérations formelles pour les quantifications généralisées, les notions relatives au "continu" et au "point".

    17. Le développement de la notion de temps

    Les principales opérations temporelles consistent soit à sérier les évènements selon leur ordre de succession, soit à découper des intervalles de temps et à les emboîter les uns dans les autres, soit à mesurer, c'est-à-dire choisir une unité de temps, une durée et à la reporter sur les autres. La mesure du temps comme celle de l'espace synthétise la partition et le déplacement.

    La construction des notions et des opérations relatives aux phénomènes qui se déroulent dans le temps se présente grosso modo comme parallèle à la construction de l'espace.

    Après une première période d'indifférenciation, où l'enfant est non seulement incapable de sérier des évènements successifs qui se sont déroulés dans le temps, mais surtout ne comprend pas, dans l'essentiel, de quel problème il s'agit, il devient peu à peu capable de sérier des évènements ou les différentes phases d'un processus représenté par des images des états successifs, et de dissocier la durée de l'espace parcouru et de la vitesse des mobiles.

    Il serait pourtant abusif de prétendre que l'enfant n'a aucune notion du temps au niveau préparatoire : à la fin du stade sensorimoteur, l'enfant devient tout à fait capable d'ordonner ses actions successives dans le temps pour arriver à un but particulier.

    Les multiples notions relatives à l'ordination des évènements, la comparaison d'intervalles temporels, la simultanéité, la succession et la synchronicité des évènements, ne sont cependant pas encore reliés en une structure d'ensemble, ce qui empêche évidemment l'enfant de les coordonner ou de les composer de façon appropriée. ce n'est qu'au cours d'un troisième niveau de développement, à peu près contemporain de la deuxième période des opérations concrètes, que l'enfant devient réellement capable de coordonner et de composer les évènements temporels. 

    Ainsi, l'enfant série deux ensembles de dessins en tenant simultanément compte des ordres croissant et décroissant.

    De même, l'enfant  devient capable de comprendre qu'on peut dissocier la durée de l'espace, de la vitesse ou du travail accompli, et qu'on peut établir des relations entre ces variables qui permettent la constitution d'un système compensatoire et composable (longue durée + petite vitesse correspond qualitativement à grande vitesse + durée brève par rapport à l'espace parcouru).

    L'enfant devient également conscient que le déroulement du temps est strictement indépendant de l'activité propre déployée pendant une certaine durée, ce qui indique que l'enfant dissocie la durée "psychologique" du temps "physique".

    L'enfant est capable de construire un ordre de succession temporelle entre évènements (ou entre états caractérisés par des évènements respectivement simultanés), d'emboîter les durées les unes dans les autres en fonction de cet ordre, de concevoir des simultanéités à titre de succession ou de durées nulles et d'égaliser des durées synchrones en fonction de la simultanéité des évènements entre lesquels elles se déroulent.

    La difficulté particulière que pose l'établissement d'une métrique du temps repose sur le fait que l'enfant ne dispose pas d'invariants temporels et qu'il est, par conséquent, incapable de se construire une unité arbitraire sans référer à autre chose. Il se servira donc de la vitesse (considérée comme uniforme) comme invariant, et dans le cas de mesures de temps non synchrones l'unité de temps devient alors l'espace parcouru à une certaine vitesse.

    La mesure du temps s’explique aisément en correspondance exacte avec la constitution du nombre. L'itération de l'unité de durée résulte de la fusion opératoire du groupement de l'emboîtement des durées avec celui de la sériation des successions.

    L'enfant n'élabore pas seulement une métrique du temps mais du même coup, il subordonne les phénomènes temporels à sa pensée opératoire réversible. 

    18. La notion de vitesse

    Ce n'est que vers 7 - 8 ans que l'enfant est apte à reproduire par gestes sur une bande de papier, le mouvement de dépassement en tenant compte du trajet et en conservant la vitesse. Apprécier un dépassement repose sur une opération de plus ou moins grande vitesse. La reproduction des mouvements de rattrapement et de semi-rattrapement ne peut se faire que vers 9, 10 11 ans.

    Quant aux anticipations, elles suivent toujours la reproduction. Elles ne sont réussies que par 75 % des enfants vers 10 - 11 ans. ce n'est que plus tard que se constitue une véritable métrique de la vitesse. A cette période, elle demeure un produit qualitatif, c'est-à-dire que le même espace parcouru en un temps moins long équivaut à une plus grande vitesse. mais l'enfant est incapable de calculer ce qui se passe, si le temps est plus long pour un parcours plus long, car il est inapte à utiliser les proportions.

    19. La notion de hasard

    Avec la mise en place des structures opératoires, l'enfant devient capable de différencier ce qui est déductible de ce qui ne l'est pas. La notion de hasard va donc se construire par opposition aux opérations.

    Au cours de cette période, l'enfant est apte à trier ce qui est fortuit de ce qui ne l'est pas mais il demeure incapable de composition relative à l'ensemble du champ de dispersion ; il est incapable d'anticipation.

    20. Conclusions

    En examinant la période opératoire concrète, il apparaît que la période pré-opératoire est plutôt définie négativement, par l'absence de conservations, de réversibilité ; par l'absence de classification, de sériations... et positivement par l'exaltation de la pensée symbolique, du jeu et de la fantaisie.

    La période de l'intelligence symbolique ou pré-opératoire est apparue comme une période de préparation tout en étant une période d'épanouissement des structures déjà acquises. la dominante ds conduites est leur aspect négatif par rapport aux conduites achevées ou en voie d'achèvement.

    L'intelligence sensorimotrice, quant à elle, ne cesse pas de se développer. Appelée "intelligence pratique"ou "intelligence des situations" selon les auteurs, elle poursuit une ligne de développement que l'on a tendance à négliger depuis les travaux de Piaget.

    Bien des acquisitions sont à mettre au compte de l'intelligence pratique notamment en ce qui concerne la résolution des problèmes.

    La dialectique de l'action et de l'intelligence présente des voies et des formes complexes de développement et d'interaction qu'il ne faut pas négliger si l'on veut cerner le réel psychologique de près.

    Entre 7 - 8 ans et 11 - 12 ans, les progrès de l'enfant sont considérables dans tous les domaines. Il a perdu une bonne part de son égocentrisme. Affectivement, il commence à avoir de la volonté.

    La reconstruction des structures du niveau sensorimoteur au plan de la représentation a demandé une période de temps infiniment plus longue, en même temps qu'elles apparaissent infiniment plus complexe.

    L'image mentale est assouplie. L'enfant est capable d'évoquer des objets au repos mais aussi en mouvements. Il est même capable d'anticipation. L'image est nécessaire pour la représentation des états, mais elle est insuffisante pour la compréhension des transformations.

    L'intelligence opératoire concrète consiste donc à classer, sérier, dénombrer les objets et leurs propriétés dans le contexte d'une relation directe de l'enfant à l'objet concret et sans la possibilité de raisonner sur de simples hypothèses.

    C'est dès l'âge de 7 ans que les opérations infra-logiques et logico-mathématiques, ainsi que les aspects figuratifs et opératifs de la pensée, peuvent être dissociés.

    Les actions de l'enfant sont devenues des opérations, actions exécutables en pensée et réversibles. 

    Mentalement, il assimile en des synthèses cohérentes, les relations entre les objets au-delà de leur simple aspect figuratif.

    Capable de conservation et de réversibilité, sa pensée prend le pas sur ses perceptions. L'enfant est devenu apte à opérer sur des données concrètes mais il ne peut spéculer verbalement sur des données totalement intériorisées. cela tient à l'incomplétude des structures logiques. L'enfant tâtonne, n'est pas encore en mesure de dépasser la contradiction du réel. Ce n'est que par une restructuration de sa pensée qu'il parviendra à ce dépassement. 

    Synthèse du stade de l'intelligence opératoire concrète - De 7 à 11 - 12 ans

    Mise en place des structures des opérations concrètes qui vont permettre à l'enfant de penser de façon plus mobile la réalité concrète.

    Dès l'âge de 7 ans apparaissent :

    • les opérations infra-logiques (qui concernent les conservations physiques et la constitution de l’espace),
    • les opérations logico-mathématiques (qui portent sur les ressemblances - classes et relations symétriques - , sur les différences - relations symétriques - ou les deux à la fois - entre objets, nombres)
    • les aspects figuratifs de la pensée (perception, image mentale, imitation)  et
    • les aspects opératifs de la pensée (transformations ; tout ce qui modifie l'objet ; de l'action aux opérations) peuvent être dissociées.

    Les opérations se coordonnent en une structure d'ensemble. Puisque l'enfant fait intervenir la réversibilité, c'est qu'un système est déjà organisé :

    • opération directe (la transformation)
    • opération inverse (son retour)
    • opération identique (transformation nulle).

    * Grâce à la réversibilité acquise, la pensée devient plus mobile. Les opérations de classification et de sériation s'élaborent.

    * Les invariants se constituent avec des décalages horizontaux :

    • vers 7 ans : conservation des longueurs

    Prérequis à la conservation opératoire des longueurs : 

    - la notion de distance doit être acquise ;

    - le recours à un système de référence.

    Elle suppose la constitution de l'espace comme cadre contenant les objets où se conservent les distances.

    • vers 7 ans : conservation des surfaces.
    • vers 7 - 8 ans : conservation de la substance.
    • vers 8 - 9 ans : conservation du poids.
    • Entre 10 et 12 ans : conservation du volume.

    La conservation des volumes spatiaux :

    • De 7 à 8 - 9 ans : mise en relation de 2 dimensions en ajustant ensuite la troisième, sans mesure.
    • Vers 8 - 9 ans : début de mesure par décomposition et recomposition au moyen de cubes-unités.
    • Vers 11 - 12 ans : découverte de la relation mathématique entre les surfaces et le volume.

    Les conservations numériques :

    • Vers 4 - 5 ans : notion d'équivalence purement optique, figurale ! Correspondance linéaire !
    • Vers 5 - 6 ans : correspondance terme à terme, intuitive, fondée sur une équivalence de la longueur.
    • Vers 7 ans : l'enfant accède à une conservation de type opératoire. Elle repose sur la constitution d'un invariant : l'équivalence.

     

     Lien URL vers le chapitre suivant

     


    votre commentaire
  • La deuxième période : la période pré-opératoire

     De l'intelligence symbolique ou pré-opératoire

    Lien URL avec le chapitre précédent

    1. La genèse des opérations concrètes

     La période de l'intelligence sensorimotrice se termine par un stade de transition entre l'intelligence sensorimotrice, sans langage, sans représentation, sans concepts, et l'intelligence représentative.

    Cette forme d'intelligence, qui ne peut s'organiser que directement sur les objets, domine encore mais l'image mentale apparaît dans la conduite différée, dans la recherche de l'objet après ses déplacements invisibles, dans l'invention de moyens nouveaux pour atteindre un but par combinaison mentale.

    Ce message à l'intelligence représentative, qui débute vers l'âge de 2 ans en moyenne, s'effectue par des transformations lentes et successives.

    Ce que l'enfant a acquis se conserve et continue à se développer mais se réélabore également sur le plan représentatif en repassant par les mêmes étapes.

    L'enfant reconstruit l'objet, l'espace, le temps, les catégories logiques de classes et de relations au plan de la représentation.

    Cette longue reconstruction s'étant de l'âge de 2 ans à l'âge de 11 - 12 ans environ.

    Cette réélaboration représentative s'opère en 2 étapes :

    • de 2 à 7 ans environ domine la représentation symbolique. L'enfant voit mentalement ce qu'il évoque. Son esprit est le siège d'images, représentants imagés des objets vus, des situations vécues. L'égocentrisme intellectuel est la forme dominante que prend la pensée de l'enfant au cours de cette étape.
    • de 7 à 11 - 12 ans, lorsque la réversibilité est acquise, les opérations de classification et de sériation s'élaborent. La conservation de la substance, du poids et du volume se constituent. C'est ainsi que l'enfant peut penser de façon plus mobile la réalité concrète. L'intelligence n'opère en effet que sur le concret, sans la possibilité d'envisager des hypothèses.

    2. La période pré-opératoire

    Vers l'âge de 2 ans, l'enfant entre donc dans une phase d'intelligence pré-opératoire que Piaget a subdivisée en un stade pré-conceptuel, de 2 à 4 ans environ, et un stade intuitif, de 4 à 7 ans environ.

    La période pré-opératoire débute avec l'apparition de la représentation symbolique qui consiste à élaborer en pensée des images à partir des objets vus, des mouvements du monde réel, des situations vécues, mais pas immédiatement présents aux sens.

    Cette période s'achève par la pensée intuitive don t les caractéristiques essentielles sont la concentration de l'enfant sur l'apparence des choses et l'absence de raisonnement logique.

    3. La représentation symbolique

    Avant le stade pré-opératoire, l'enfant ne pense pas encore de façon vraiment symbolique : il réagit à des stimuli concrets et actuels.

    L'enfant n'atteint le stade de la représentation symbolique que lorsqu'il pense à tel objet ou telle situation sans l'avoir vu ou entendu, lorsqu'il s'imagine un objet sans le voir.

    Dès l'instant où elle utilise des symboles pour représenter des objets, des lieux, des personnes, des situations, la pensée de l'enfant peut évoquer un objet absent, une situation actuelle se produisant ailleurs.

    Le développement symbolique trouve son origine dans l'imitation. La capacité évocatrice, c'est la fonction symbolique ou sémiotique. Quant aux moyens, ce sont le langage, l'imitation différée, l'image mentale, le dessin, le jeu symbolique.

    C'est par imitation différée que s'effectue le passage de l'intelligence sensorimotrice à l'intelligence représentative. L'imitation s'intériorise, les images s'élaborent et deviennent les substituts intériorisés des objets donnés à la perception. Le signifiant est alors dissocié du signifié et la pensée représentative s'élabore.

    Le représentation symbolique se différencie donc de l'intelligence sensorimotrice en étant plus profonde et plus souple ; elle n'est pas liée aux buts concrets de l'action ; elle permet à l'enfant d'étendre ses considérations au sujet de diverses propriétés (taille, quantité) au-delà de lui-même et des objets observés ou manipulés régulièrement.

    La représentation symbolique est finalement codifiée et socialisée en ce sens que l'enfant parvient à traduire ses pensées dans des formes communicables à d'autres personnes.

    Ainsi, l'imitation tout à fait intériorisée prend la forme d'une image mentale, d'une représentation symbolique qui fournit à la pensée un champ d'application illimité.

    4. La pensée intuitive

    Entre 2 et 5 ans environ, l'enfant acquiert le langage et construit un système d'images. Système de signes, le langage ne permet à l'enfant d'évoquer que des réalités particulières. Le mot n'a pas encore la valeur d'un concept. Il évoque une réalité particulière ou son correspondant imagé. L'enfant est enfermé dans la particularité ; il ne sait pas penser la généralité. L'égocentrisme intellectuel culmine au cours de cette première étape.

    La pensée de l'enfant est égocentrique dans la mesure où elle peut considérer que quelque chose ait une existence propre, indépendante de la vie même de l'enfant.

    La pensée essentiellement imagée se fonde sur un système de relations entre la chose et son correspondant imagé que le langage ne peut encore exprimer. Cette pensée peut s'observer dans le jeu symbolique où l'enfant transforme le réel au gré de ses besoins et désirs du moment.

    Cette pensée dominée par le symbolisme particulier, personnel et incommunicable, n'est donc pas une pensée socialisée.

    Adualisme (confusion entre le moi et le non-moi, entre le subjectif et l'objectif), magie, animisme (les corps seraient vivants, conscients), finalisme (tout objet a nécessairement une fonction ou une utilité) et artificialisme (tout est fabriqué ou se fabrique) sont autant de démarches qui déterminent le contenu de la pensée enfantine.

    Une évolution s'opère peu à peu entre 4 et 7 ans : l'enfant accède à plus de généralité. l'intuition, sorte d'action effectuée en pensée et vue mentalement, devient une pensée imagée plus raffinée car elle porte à présent sur des configurations d'ensemble plus larges et non plus sur de simples collections syncrétiques symbolisées par des exemplaires-types.

    Arrivé à une sorte de point de rupture avec la réversibilité logique, un renversement va s'opérer. Cette fois, l'image va être subordonnée aux opérations. C'est le renversement qui s'effectue par la mise en place des structures des opérations concrètes. 

    5. Le passage de l'intuition à l'opération

    L'enfant qui dénombre dix perles et découvre qu'elles sont toujours dix, même si on en change l'ordre, expérimente en réalité sur ses propres actions d'ordonner et de dénombrer, et non pas sur les perles qui lui servent d'instruments.

    Lorsqu'un examinateur lui présente deux boulettes identiques de pâte à modeler et qu'il en écrase l'une des deux, l'enfant de 5 à 6 ans nie que la quantité de pâte reste la même. Vers 7 - 8 ans, au contraire, l'enfant affirme que la substance est conservée et explique que l'étendue compense l'épaisseur.

    Lorsqu'on demande à l'enfant d'expliquer ce qui s'est passé, il répond soit qu'on n'a rien enlevé ni ajouté (= identité), soit qu'on peut redonner à la forme obtenue sa forme initiale (= réversibilité).

    On constate donc :

    • que la pensée se détache de la perception momentanée ;
    • qu'elle corrige l'intuition perceptive ;
    • qu'elle établit des relations objectives qui permettent aux notions de conservation et d'invariance d'apparaître.

    Le passage de l'intuition à l'opération comporte trois moments solidaires :

    A. L'abstraction réfléchissante

    Premier moment de ce passage, l'abstraction réfléchissante tire son information de l'action de l'enfant sur les objets.

    L'abstraction simple consiste à extraire, à partir des objets eux-mêmes, des propriétés de plus en plus générales.

    L'abstraction réfléchissante porte sur les actions que l'enfant exerce sur les objets afin de dégager certaines coordinations entre des actions comme réunir, sérier, ordonner.

    Lorsqu'un enfant effectue une sériation de hauteurs différentes, on dira qu'il y a abstraction simple lorsqu'il ne considère que les différences e hauteurs ; on dira qu'il y a abstraction réfléchissante lorsqu'il ordonne les hauteurs dans un ordre croissant ou décroissant pour composer une série qui comprend toutes les hauteurs-objets.

    L'élaboration mentale coordonne les actions en un système d'ensemble opérationnel.

    B. La coordination structurante

    Le deuxième moment du passage de l'intuition à l'opération résulte des coordinations précédentes.

    La coordination structurante vise effectivement à embrasser la totalité du système de relations et arrive à sa fermeture, de sorte que toutes les relations sont connues, prévisibles et reliées entre elles à l'intérieur d'un système logique clos.

    Ainsi, l'enfant qui insère un bâtonnet dans une série déjà constituée, prévoit, en fonction de la hauteur du premier et du dernier bâtonnet de la série, si le bâtonnet à intercaler doit être placé à l'intérieur de la série, devant le premier élément de la série ou après le dernier élément de la série. 

    C. L'assimilation autorégulatrice

    Le troisième moment intervient quand l'assimilation généralisatrice et intégrative se fait autorégulatrice.

    L'enfant devient capable d'anticiper "en pensée" le résultat des diverses organisations des éléments de la situation. S'il pense se tromper, il peut "revenir en arrière" - c'est la rétroaction - et imaginer, suite à une nouvelle organisation des éléments de réponse correcte.

    A partir des actions exécutées sur la plasticine, l'enfant parvient à tenir compte que des modifications (galette, saucisson, boule) pour les mettre en correspondance et élaborer un système où les actions se compensent et s'équilibrent. C'est la réversibilité.

    Synthèse

    Le stade de l'intelligence symbolique ou pré-opératoire - De 2 à 7 ans

    Il s'agit d'une période préparatoire : toutes les expériences présentent des conduites dont la dominante est leur aspect négatif par rapport aux conduites achevées ou en voie d'achèvement.

    • Absence de conservations.
    • Absence de réversibilité.

    C'est aussi une période d'épanouissement des structures déjà acquises.

    • Exaltation de la pensée symbolique, du jeu et de la fantaisie.

    De 2 à 7 ans : la pensée de l'enfant est dominée par la représentation imagée, de caractère symbolique.

    • La perception a joué un rôle prépondérant dans les deux premières années. Son rôle se maintient mais est pris en relais par la fonction symbolique ou sémiotique, capacité d'évoquer des objets ou situations non perçues actuellement, en se servant de signes ou de symboles (langage, imitation différée, image mentale, dessin, jeu symbolique).

    C'est par l'imitation différée que s'effectue le passage de l'intelligence sensorimotrice à l'intelligence représentative.

    La fonction symbolique permet l'élaboration de la représentation, de la pensée.

    L'enfant voit mentalement ce qu'il évoque : son esprit est le siège d'images, de tableaux particuliers qui sont les représentants imagés des objets vus et des situations vécues.

    L'égocentrisme intellectuel est la forme dominante que prend la pensée de l'enfant au cours de cette période.

    • Élargissement du champ d'activité.
    • L'enfant accède au langage (de 2 à 5 ans) et à la pensée imagée. La pensée non socialisée est dominée par le symbolisme. Elle est incommunicable.
    • Artificialisme.
    • Animisme.
    • Finalisme.
    • Réalisme intellectuel.

    De 5 à 7 ans : période intuitive.

    • L'enfant accède à plus de généralité. Sa pensée porte sur des configurations représentatives à ensembles plus larges.

    L'intuition est une sorte d'action effectuée en pensée et vue mentalement.

    L'intuition est une pensée imagée. Elle utilise le symbolisme représentatif.

     

    Lien URL pour accéder au chapitre suivant

     


    votre commentaire
  • La période de l'intelligence sensorimotrice

    Lien avec le chapitre précédent : Lien URL

    1. Avant le langage

    La première période est celle de l'intelligence sensorimotrice qui s'organise dans le cours des 18 premiers mois, c'est-à-dire de la naissance à l'apparition du langage.

    Privé de langage et de fonction symbolique, le nourrisson ne peut utiliser des représentations de personnes ou d'objets absents. l'enfant ne se distingue pas du monde qui l'entoure. Cet état initial d'indifférenciation constitue ce que Piaget a appelé l'égocentrisme.

    L'évolution est marquée par  une décentration générale qui conduit l'enfant à se situer lui-même comme un objet parmi les autres objets permanents dont il construit la réalité tout au long de cette période.

    2. Les six premiers stades

    Jean Piaget a procédé à une étude minutieuse de cette période qu'il a subdivisé en six stades à partir de nombreuses observations :

    1) Le stade des comportements - réflexes. C'est celui de l'exercice des réflexes, de 0 à 1 mois.

    2) Le stade de l'acquisition des premières habitudes, des premiers comportements adaptés : renforcement par répétition d'un ensemble sensorimoteur ayant fourni des résultats nouveaux. ce sont les réactions circulaires relatives au corps propre (ex. sucer son pouce). Ce stade s'étend de + ou - 1 mois à + ou - 4 mois.

    3) Le stade des premières coordinations sensorimotrices. On assiste à la coordination de la vision et de la préhension, aux débuts de la différenciation entre les buts et les moyens, de + ou - 4 mois à + ou - 8 mois.

    4) Le stade des premiers actes intentionnels. On assiste à la coordination des schèmes secondaires. L'enfant utilise des moyens connus pour atteindre un objectif nouveau. Ce stade s'étend de + ou - 8 mois à + ou - 12 mois.

    5) Le stade de la différenciation des schèmes d'action par réaction circulaire "tertiaire" : on assiste à une variation de conditions par exploration et tâtonnement dirigés. Ce stade s'étend de + ou - 12 mois à + ou - 18 mois.

    6) Le stade de transition avec l'intelligence représentative voit le début de l'intériorisation des schèmes et de leurs combinaisons mentales soudaines, la découverte de la solution de certains problèmes par arrêt de l'action et la compréhension brusque. Ce stade s'étend de + ou - 18 mois à + ou - 24 mois.

    Ces six stades constituent une préfiguration des stades de la pensée représentative ultérieure.

    Les âges doivent être considérés comme des moyennes approximatives. en effet, ces âges varient d'un individu à l'autre dans un même milieu ; leur moyenne varie également d'un milieu à l'autre.

    3. Des réflexes aux conduites d'adaptation

    A la naissance, l'enfant  est dans un état de confusion totale. Il ne possède que des réflexes héréditaires, comportements innés, sensoriels et moteurs, qui correspondent à des tendances instinctives.

    Dès sa prise de contact avec le monde, il développe des conduites d'adaptation. Ses réflexes se transforment en habitudes puis, peu à peu, des structurations s'opèrent par son activité propre.

    On observe des recouvrements d'espaces sensoriels qui se coordonnent (la coordination de la préhension et de la vision est la plus significative).

    L'activité devenue intentionnelle en arrive à découvrir des moyens nouveaux pour finir par en inventer par combinaison mentale.

    Toute l'activité de l'enfant, dans la description piagétienne, est conçue et décrite comme une activité de mise en relation avec le monde.

    Ce faisant, le sujet se construit comme sujet en tant qu'il construit l'objet. Les processus d'accommodation l'amènent à établir avec le monde des rapports d'objectivité. Ainsi, en structurant l'objet, l'enfant se structure lui-même comme sujet. Plus le monde devient cohérent, plus lui-même devient cohérent. la relation sujet - objet est donc constitutive et du sujet et de l'objet. Et c'est par ce processus dialectique que l'égocentrisme initial, fait essentiellement d'indistinction, se transforme en relations objectives.

    Les trois premiers stades sont des stades d'élaboration où le sujet s'ignorant comme tel assimile le réel à lui-même. le troisième stade assure la transition où s'opère la dissociation.

    Avec le quatrième stade, on voit basculer l'enfant vers la décentration objective qui s'achève avec le sixième stade par la représentation.

    Cette fois, l'enfant se situe dans une nouvelle période de transition où il commence à réélaborer ses rapports au monde sur ce plan nouveau de la représentation et où il repasse par les mêmes étapes que précédemment.

    L'instrument d'ancrage et de constitution de soi-même et du monde est, au niveau sensorimoteur, la perception par laquelle l'enfant établit ses systèmes de relations directement avec le monde extérieur. cette relation au monde sera ensuite médiatisée par la fonction symbolique ou sémiotique au plan représentatif.

    4. Construction des schèmes d'action

    C'est au cours de la période sensorimotrice que se construisent les schèmes d'action.

    Un schème est l'organisation, la structure d'une action ; une structure qui est transférable, généralisable d'une situation à une autre, semblable ou analogue. Ainsi apparaissent des schèmes tels que ceux de l'objet à sucer, de l'objet à saisir, à soulever...

    Les schèmes s'identifient à partir des activités spontanées et globales que l'on observe chez tout organisme vivant.

    Pour Piaget, certains réflexes constituent une ébauche de différenciation et d'organisation de ces activités.

    Ces quelques indications illustrent, à ce niveau initial du développement intellectuel, la continuité qui s'établit entre les procédures biologiques et les procédures cognitives d'adaptation.

    Le passage du réflexe au schème d'action se fait par intégration au premier d'éléments sensorimoteurs nouveaux et jusque-là indépendants. C'est le premier exemple que l'on peut donner du processus d'assimilation.

    En s'appliquant à des objets nouveaux, le schème tend en effet à s'enrichir de nouvelles structures d'action, rendues nécessaires par les différences existant entre ces objets nouveaux et ceux qui avaient servi antérieurement à l'édification du schème. le sujet n'est d'ailleurs sensible aux stimuli nouveaux que dans la mesure où il dispose de schème susceptibles de les assimiler.

    5. Extension et compréhension d'un schème

    Du point de vue structural, la logique sensorimotrice repose donc sur le schème qui en constitue l'unité.

    Instrument de compréhension sans pensée, sans représentation, on peut le considérer comme l'équivalent fonctionnel de ce que sera plus tard le concept sur le plan de la pensée représentative. Il n'est donc qu'un concept pratique. Comme tel, il peut être pris en extension et en compréhension comme le concept.

    L'extension d'un schème, c'est l'ensemble des situations auxquelles il s'applique : le schème de prendre peut être appliqué indifféremment au biberon, au hochet, à la ficelle, au drap...

    La compréhension d'un schème, c'est l'ensemble des propriétés communes aux situations semblables : le schème de prendre s'appliquera à tout objet saisissable.

    6. Assimilation, accommodation, adaptation, équilibre

    L'enfant entre en contact, dans le cours de ses actions, avec des objets auxquels ne parviennent pas à s'appliquer les schèmes dont il dispose. Pour répondre aux résistances qu'il rencontre, il est conduit à modifier ces schèmes, à les diversifier plus finement. Ce processus constitue, pour Piaget, l'accommodation.

    L'assimilation consiste à incorporer un objet ou une situation à un schème.

    L'accommodation consiste, par contre, à modifier le schème en fonction des propriétés de l'objet qui empêchent le jeu de l'assimilation.

    Toute activité spontanée consiste à assimiler d'abord, à accommoder ensuite.

    L'adaptation se réalise lorsque l'assimilation et l'accommodation s'équilibrent. 

    7. Emboîtement de schèmes

    Les schèmes ainsi constitués ne restent pas indépendants les uns des autres. leur organisation est imposée par les nécessités des actions qui s'exercent sur les mêmes objets à des fins différentes, qui se succèdent dans le temps... Cette organisation nécessaire des modalités et des moments de l'action constitue une logique de l'action, structure des opérations futures de la pensée.

    On observe ainsi des mises en relation, entre moyens et buts par exemple, des emboîtements de schèmes, les plus généraux se constituant par assimilation des structures communes aux plus spécifiques.

    L'activité du sujet, au cours de la période sensorimotrice, suscite l'enrichissement des schèmes qui assimilent les structures d'actions nouvelles et s'accommodent au milieu en fonction des difficultés rencontrées dans leur mise en oeuvre.

    Elle a ainsi pour effet l'édification et l'organisation de schèmes d'action qui constituent l'ébauche et la matière d'oeuvre d'acquisition, c'est-à-dire des restructurations, des reconstructions ultérieures.

    Mais, en se structurant ainsi comme sujet, l'enfant structure le monde qui l'entoure. La complémentarité de l'assimilation et de l'accommodation explique que la naissance de l'intelligence comporte de façon complémentaire la construction du réel.

    8. Construction du réel

    L'enfant structure conjointement le réel qui l'entoure : construction de l'objet permanent ; ébauche de la causalité.

    Sur le plan pratique, on assiste à une organisation des mouvements et des déplacements qui, d'abord centrés sur le corps propre, se décentrent peu à peu et aboutissent à un espace dans lequel l'enfant se situe lui-même comme un élément parmi les autres ainsi qu'à un système d'objets permanents comprenant aussi son corps.

    On peut interpréter les conduites de l'enfant selon les critères de la classification et de la sériation.

    L'utilisation des différents moyens nécessaires à atteindre un but sont, en effet, des classifications en actes. Si le but est d'atteindre un objet, les moyens à disposition sont quelques classes de conduites telles le support, la ficelle, le bâton...

    Réciproquement, un même moyen peut s'appliquer à des buts différents et variés.

    Les conduites de l'enfant révèlent donc des classifications des buts et moyens, mais pratiques, en actes, sans langage, sans pensée.

    Lorsque l'enfant range des boîtes selon un ordre décroissant ou croissant, il effectue une opération de sériation.

    Tous les empilements et emboîtements obéissent à ces opérations. On peut enfin découvrir des débuts de quantification purement pratiques dans des actions de balancement par exemple, lorsque ceux-ci s'effectuent plus ou moins vite.

    La conduite du dénombrement est aussi remarquable en actes. Lorsque le bambin suit avec son doigt ou avec un objet l'ordre des barreaux de son lit ou lorsqu'il passe sa main sur les séparations d'un radiateur, il agit par itération. On peut y voir la préfiguration de l'action de dénombrer et on peut dire que le nombre s'engendre par itération.

    9. Des actions aux structures

    Toutes les actions de l'enfant s'effectuent selon une logique qui leur est propre. Elles peuvent donc être traduites dans les termes de la logique des opérations intrapropositionnelles (classes et relations).

    Mais Piaget pense qu'il y a plus et que les actions sensorimotrices s'organisent en structures d'ensemble qui obéissent au groupe des déplacements concernant l'espace.

    C'est en effet pendant la période sensorimotrice que les déplacements dans l'espace acquièrent, sur le plan pratique, les propriétés de ce que les géomètres appellent le "groupe des déplacements" : un déplacement AB et un déplacement BC se coordonnent en un déplacement AC (composition) ; le déplacement AB peut être inversé en BA par la conduite de retour (réversibilité) ; la composition de AB et de BA donne un déplacement nul (identité) ; dans la suite ABCD, on a AB + BD : AC + CD, ce qui signifie que l'on peut aller de A en D par des chemins différents (c'est la conduite du détour, représentant la propriété d'associativité).

    Mais la structure de groupe n'est vraiment possible qu'à certaines conditions. il faut notamment que l'objet permanent soit constitué. Cela signifie que la structure de groupe est une propriété acquise. En d'autres termes, la construction de la permanence de l'objet est solidaire de la construction du groupe pratique des déplacements.

    En considérant la réélaboration de la logique, ces structures de groupe se retrouveront à deux niveaux hiérarchiquement différents : le niveau des opérations concrètes et le niveau des opérations formelles.

    La présence du groupe rend toute opération réversible; mais comme les opérations sensorimotrices ne sont pas en réalité des opérations au sens strict, Piaget préfère dire que les actions de ce niveau sont renversables. la renversabilité est l'expression sensorimotrice de la réversibilité vraie.

    10. Ébauche de la causalité

    C'est encore à cette période que s'ébauche la notion de causalité.

    La causalité que l'enfant développe n'a d'autre but que de modifier le réel pour l'accorder à son activité.

    La causalité consiste en une organisation de l'univers due à l'ensemble des relations établies par l'action puis par la représentation entre les objets, ainsi que entre les objets et le sujet.

    La causalité suppose donc à tous les niveaux une interaction entre le moi et les choses. L'égocentrisme radical des débuts conduit d'abord le sujet à attribuer tous les évènements extérieurs à l'activité propre.

    La constitution d'un univers permanent permet ensuite au moi de se situer parmi les choses et de comprendre l'ensemble des séquences dont il est le spectateur ou dans lesquelles il est engagé comme cause ou comme effet.

    11. Ébauche de la notion de temps

    Les quatre catégories de l'objet, de l'espace, de la causalité et du temps sont solidaires. Leur élaboration s'effectue en même temps et en interaction.

    Au commencement, le temps est simple durée sentie au cours de l'action propre. L'action se confond avec les impressions d'attente et d'effort mais sans distinction entre l'avant et l'après.

    Grâce à la préhension des objets visuels, le temps commence à s'appliquer à la suite des phénomènes dans la mesure où cette suite est l'effet de l'intervention de l'enfant lui-même.

    Le temps s'applique ensuite progressivement aux évènements indépendants du sujet et constitue des séries objectives.

    Enfin, le temps cesse d'être simplement le schème nécessaire de toute action reliant le sujet à l'objet pour devenir le milieu général englobant le sujet au même titre que l'objet.

    12. Des schèmes sensorimoteurs aux opérations

    Au-delà de la deuxième année, le développement intellectuel va conduire l'enfant à édifier des opérations d'abord concrètes puis formelles, et ce à partir des schèmes sensorimoteurs. Ce passage s'ébauche au cours du dernier stade de la période sensorimotrice.

    Au lieu d'être inconscients et immédiatement agis, les schèmes d'action commencent à s'intérioriser. C'est mentalement que les différentes actions possibles sont envisagées avec leurs variantes possibles et leurs conséquences.

    Comme les actions réelles, ces actions intériorisées sont organisées en structures mais restent de l'ordre du possible et sont, à ce titre, entièrement réversibles, ce qui n'est jamais exactement vrai pour une action réelle.

    Piaget définit les opérations comme des "actions intériorisées ou intériorisables, réversibles et coordonnées en structures totales". Ces opérations se préparent et s'organisent entre 18 mois et 7 - 8 ans par un passage de l'agi à l'intériorisé, du réel au possible, d'une réversibilité empirique approximative à une réversibilité nécessaire et rigoureuse.

    Un progrès considérable et décisif dans la généralisabilité des conduites adaptatives se réalise ainsi.

    La possibilité de faire intervenir dans l'adaptation, sous forme de représentations, des informations relatives à des objets absents, à des actions non accomplies, constitue une acquisition capitale, condition nécessaire au fonctionnement de l'intelligence.

    13. L'apparition des conduites symboliques

    Jean Piaget a observé des évolutions divergentes entre certaines perceptions et les notions correspondantes. c'est le cas notamment pour la perception de la perspective. Le développement de l'intelligence après la période sensorimotrice ne peut s'expliquer par les progrès de la perception mais par l'apparition, que l'on observe précisément à la fin de cette période, vers 18 mois / 2 ans, de la fonction sémiotique et en particulier du langage.

    Piaget et son école ont fortement souligné l'importance de l'apparition, chez l'enfant, de l'usage de symboles dans les conduites.

    • L'imitation différée est l'une de ces conduites.

    Un garçon de 17 mois, ayant vu un de ses pairs se fâcher, crier et taper du pied, imite la scène en riant, deux heures plus tard. Les "signifiants" sont ici les gestes symboliques de l'enfant.

    • Le jeu symbolique ou jeu de fiction est une autre manifestation de la même fonction : l'enfant joue à "faire semblant" de dormir ; fait dormir son ours...
    • Le dessin est une forme de la fonction symbolique qui est intermédiaire entre le jeu symbolique et l'image mentale.

    14. La fonction symbolique

    Dans ces conduites, Piaget a donc aperçu l'existence d'une "fonction sémiotique" ou symbolique qui concerne l'usage des signes et des symboles.

    Cette expression est réservée à l'apparition de ces conduites symboliques et langagières de l'enfant.

    La fonction sémiotique est celle qui permet aux hommes et aux animaux d'utiliser des signes (au sens large) pour la communication et la représentation.

    Parmi les conceptions plus restreintes de cette fonction sémiotique, la conception de Jean Piaget porte sur la définition du signe. Quel est donc son point de vue ?

    Au terme de la période sensorimotrice apparaît une fonction fondamentale pour l'évolution des conduites ultérieures et qui consiste à pouvoir représenter quelque chose (un "signifié" quelconque : objet, évènement, schème conceptuel...) au moyen d'un "signifiant" différencié et ne servant qu'à cette représentation : langage, image mentale, geste symbolique, imitation différée, dessin, jeu symbolique.

    L'importance de la fonction sémiotique, pour Piaget, tient à la place qu'elle occupe dans le développement de l'intelligence et au rôle qu'elle joue dans la théorie de ce développement.

    La théorie piagétienne du développement intellectuel fournit une raison d'être à la fonction sémiotique telle qu'il la définit et confère une unité,aux différentes conduites qui, dans cette perspective, sont considérées comme ses manifestations. Il faut, en effet, qu'apparaisse entre la période sensorimotrice et celle des opérations, la possibilité pour l'enfant d'intérioriser ses actions, d'évoquer des objets non perçus.

    C'est parce qu'elles sont intériorisées que les actions deviennent parfaitement et nécessairement réversibles et qu'elles deviennent des opérations.

    La fonction sémiotique piagétienne ne suffit pas à assurer le passage de l'intelligence sensorimotrice aux opérations concrètes puisque celles-ci n'apparaîtront que vers 7 ans.Mais cette fonction est au moins une condition nécessaire à ce passage.

    Les six stades en synthèse

    Premier stade : De la naissance à 1 mois - Comportements réflexes

    Différenciation de l'activité globale : exercice des réflexes (succion ; préhension ; phonation ; ...)

    Généralisation du réflexe.

    Schème d'assimilation réflexe.

    Adaptation du sujet.

    Assimilation et accommodation sont confondues.

    Assimilation reproductrice, récognitive, généralisatrice.

    Deuxième stade : De + ou - 1 mois à + ou - 4 mois   -   Premiers comportements adaptés - Premières habitudes acquises

    Extension des activités réflexes.

    Réaction circulaire primaire : reproduction de conduites fonctionnelles par intérêt.

    Intégration d'éléments extérieurs.

    Construction de structures nouvelles : habitudes.

    Généralisation et assimilation réciproque des schèmes (coordination oculo-manuelle).

    Assimilation et accommodation se dissocient.

    Troisième stade : De + ou - 4 mois à + ou - 8 mois  -  Premiers apprentissages

    Application des schèmes à des objets extérieurs au corps.

    Assimilation et accommodation se différencient plus nettement.

    Début d’intentionnalité : distance croissante entre stimulus et réponse.

    Adaptations sensorimotrices intentionnelles.

    Quatrième stadeDe + ou - 8 mois à + ou - 12 mois  -  Coordination des schèmes connus

    Premiers actes intentionnels.

    Coordination des schèmes secondaires.

    Application de moyens connus à d'autres buts, à d'autres situations nouvelles.

    Ajustement des conduites aux objets extérieurs.

    Adaptation.

    Organisation intelligente des conduites sur le plan pratique : différenciation des moyens et du but.

    Cinquième stade : De + ou - 12 mois à + ou - 18 mois  -  Recherche et découverte de moyens nouveaux

    Exploration et tâtonnements.

    Expérimentation active.

    Accommodations et coordination des schèmes.

    Adaptation aux situations nouvelles.

    Mise en place de l'intelligence pratique :

    • conduite du support, de la ficelle, du bâton.
    • effort pour saisir les nouveautés en elles-mêmes.

    Sixième stadeDe + ou - 18 mois à + ou - 24 mois  -  Invention de moyens nouveaux

    Utilisation symbolique sans tâtonnement des schèmes antérieurs.

    Invention par combinaison mentale.

    Assimilation spontanée ; accommodation brusque.

    Intériorisation / représentation.

    Formation de schèmes nouveaux.

     

    Lien URL vers le chapitre suivant

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique