• Titre VII - L'éducation au 18ème siècle

    Chapitre I : Le contexte idéologique et l'importance du 18ème siècle

    I. L'importance du siècle

    1. Nous avons vu que le 16ème et le 17ème siècles méritaient une place importante dans l'histoire de la pédagogie par la renaissance des lettres et la réforme des études. Le 18ème siècle se distingue pour les idées nouvelles qu'il répandit dans le monde et pour les modifications qu'il apporta aux écoles existantes : une orientation nouvelle et des transformations à tous les niveaux.

    2. En dehors de quelques exceptions, il faut souligner que les théoriciens et praticiens français dans le domaine de l'éducation furent des ecclésiastiques. Ceux-ci n'ont jamais séparé radicalement l'éducation religieuse de l'éducation générale.

    3. Un fait particulièrement significatif caractérise le 18ème siècle dans le domaine de la pédagogie, c'est l'intérêt que portèrent les philosophes aux problèmes que posent l'éducation et l'instruction des enfants. Ils proposèrent des solutions découlant directement de leurs conceptions personnelles de la société et du régime politique qui doit la régir.

    4. En fait, sur le plan pédagogique, les philosophes du 18ème siècle étaient en retard sur les tendances anglo-saxonnes. Ils se prononcèrent pour une prédominance des sciences, formatrices de l'esprit, et en conséquence, ils estimaient que la pédagogie devait être une pédagogie de l'observation et de l'expérience, et, puisque la science est une, toutes les disciplines scientifiques devaient s'y intégrer dans un plan méthodique d'éducation. L'attitude encyclopédique reposait sur ce postulat.

    II. Le contexte idéologique

    1. Cette croyance en l'unité de la science et ce désir de donner la prépondérance aux arts mécaniques, applications de la science, trouvèrent leur expression symbolique dans l'Encyclopédie, dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et Métiers, dont l'influence fut décisive sur l'orientation générale de l'éducation.

    2. Cet énorme travail qui parut de 1751 à 1771, est l'oeuvre de Diderot et de ses collaborateurs : d'Alembert, responsable de la partie mathématique, Turgot, spécialiste des articles d'économie politique, Paul Henri Thiry, baron d'Holbach, philosophe matérialiste et athée, auteur du "Système de la nature". Voltaire, Montesquieu et Rousseau écrivirent également quelques articles qui y figurent insérés. On y trouve des articles de pédagogie, notamment celui écrit par Joachim Faiguet de Villeneuve (1703 - 1781), pédagogue préoccupé de progrès et soucieux de dégager les principes d'une méthode des études.

    3. Condillac, Helvétius, Grimm et Condorcet, philosophes également, ne collaborèrent pas directement à l'Encyclopédie mais influencèrent Diderot de leurs théories et soutinrent ses efforts.

    Le mouvement encyclopédique coïncidait avec la lutte menée par des esprits libres contre la domination des Jésuites en matière d'instruction. Dans un "Essai d'éducation nationale", Louis-René de Caradeuc de La Chalotais (1701 - 1785) se prononça catégoriquement pour une école organisée par l'Etat et dirigée par des laïques.

    Les encyclopédistes soumirent les idées religieuses aux critiques du rationalisme. Ils décrivirent d'une manière positive les phénomènes de la nature et leurs lois. De plus, comme ils étaient pour un gouvernement ami des libertés humaines, on peut affirmer qu'ils ont contribué à ruiner le prestige du pouvoir monarchique absolu. Les idées de la Révolution de 1789 trouvent ici leurs origines.

    III. Les divers courants dans l'éducation

    1. L'éducation moderne dans sa conception est née de la conjonction d'un certain nombre d'évènements économiques, sociaux, politiques et moraux. Plusieurs courants se sont unis pour tenter de détruire la servilité et la sclérose de la tradition. La transformation de l'école fut dès lors rapide.

    2. A partir de 1725, deux courants se dessinent. Le premier est essentiellement pratique et prolonge les traditions du siècle précédent.

    Rollin, avec son "Traité des Etudes", représentait ce courant dans l'enseignement secondaire tandis que Jean-Baptiste de La Salle en était le représentant dans l'enseignement primaire. Le courant couvre presque tout le siècle car il prend fin avec la Révolution de 1789.

    3. Cependant les esprits semblaient dominés par un second courant, un courant théorique engendré par de nombreux ouvrages philosophiques. Des écrivains exercèrent une influence considérable sur l'opinion publique en formulant des critiques contre l'organisation et les tendances de l'enseignement. Parmi ces écrivains, les uns se sont préoccupés directement de l'éducation, des programmes et des méthodes, mettant en relief les défauts de l'instruction donnée dans les écoles, exagérant l'insuffisance des études et rejetant toute règle qui semblait une tradition : ce sont Voltaire, Diderot, d'Alembert, le baron d'Holbach, Rousseau et Helvétius. D'autres ont contribué par leurs écrits à modifier les idées politiques et sociales. Ils préparèrent ainsi indirectement l'évolution de l'école elle-même. Les efforts de ces écrivains eurent pour conséquence de rendre l'éducation nationale laïque, scientifique et naturelle.

    4. Plusieurs de ces philosophes avaient en réalité des idées assez étroites et égoïstes car, s'ils réclamaient de meilleures études pour la bourgeoisie, ils condamnaient l'instruction populaire. 

    Condillac déclarait qu'il suffisait aux classes pauvres de subsister par leur travail ; Rousseau et Voltaire estimaient que les pauvres n'avaient pas besoin d'être éduqués.

    5. A la fin du 18ème siècle, trois courants agissaient sur les esprits : 

    • le courant de la philosophie sensualiste, dont l'origine remonte au philosophe et pédagogue anglais John Locke ;
    • le courant dont Jean-Jacques Rousseau lui-même fut la source et qui inspira maints penseurs ou réalisateurs comme Kant et le touchant éducateur suisse Pestalozzi ;
    • les Encyclopédistes représentent le troisième courant de la pensée pré-révolutionnaire. Ils rendirent toute la considération qu'ils méritent aux métiers et aux techniques lentement élaborés par l'ingéniosité humaine et brusquement développés dès l'introduction du machinisme dans l'industrie.

    IV. De confessionnelle, l'école devient nationale et laïque

    1. Au début du 18ème siècle, les écoles étaient presque partout dirigées par l'Eglise. Les corporations religieuses, Jésuites et Oratoriens, se réservaient le monopole des études moyennes. Les Frères des Ecoles chrétiennes dirigeaient la plupart des écoles primaires. L'évêque, le curé ou un autre ecclésiastique nommait les maîtres mal choisis, mal rétribués.

    2. Les écoles gratuites ou payantes étaient assez mal réparties. De nombreuses communes étaient même dépourvues de local scolaire. Là où il existait, l'état du local, du matériel et le niveau intellectuel de l'instituteur étaient tels que l'enseignement n'avait pratiquement aucune valeur si ce n'est sur le plan religieux. Les instituteurs n'étaient nommés qu'en fonction de leur zèle religieux.

    3. Pour les filles, les couvents étaient les seuls établissements à offrir une aide aux parents pour achever l'éducation commencée en famille. Le sentiment religieux servait de pivot à l'éducation des enfants et la religion de base aux études.

    4. Par la suite, un courant opposé tenta non seulement de remettre la direction de l'enseignement à l'Etat, mais aussi d'établir une éducation laïque. La diversité des écoles étant considérée comme une cause de faiblesse pour la société et l'Etat, ce courant de pensée souhaitait une direction unique imprimant aux divers degrés de l'enseignement une organisation, un but, et une action uniformes, tout en tenant compte de la spécificité de chacun d'eux. Cette centralisation semblait d'autant plus nécessaire que l'éducation devait être modifiée. Il importait donc d'assurer l'exécution des règlements de disposer des écoles et des maîtres.

    5. Tous les philosophes et écrivains du 18ème siècle voulaient l'exclusion de l'enseignement religieux et se proposaient de le remplacer par la morale. En échange de la liberté entière qui lui était accordée, le citoyen devait respecter la liberté d'autrui, se préparer à jouir des droits, à accomplir ses devoirs envers la patrie. L'école devait se charger de cette instruction civique. Ainsi, la raison remplaça tout autre mobile, en religion comme en politique, dans la morale comme dans la science.

    V. Education naturelle et scientifique

    1. Dans les programmes comme dans les méthodes intervinrent de profonds changements. On se souvient que Jean-Baptiste de La Salle avait introduit le mode simultané dans les classes, mais ce progrès ne s'était pas généralisé. Le mode individuel continuait à régner avec le désordre et la lenteur qui l'accompagnait généralement.

    L'enseignement mécanique, la succession du travail et les méthodes ne reposaient sur aucune base pas plus que les livres employés d'ailleurs.

    Le programme assez réduit comprenait la lecture, l'écriture, la religion, un peu de calcul et des rudiments d'orthographe. Même s'il avait été plus complet, les maîtres d'école n'auraient pu le réaliser étant donné les méthodes déficientes et un mode mal utilisé.

    2. Des essais pratiques furent tentés pour rendre l'enseignement plus attrayant : l'essai de l'Abbé Gaultier (1746 - 1818) avec ses jeux instructifs se solda par des résultats superficiels. Des systèmes théoriques se proposaient de conduire l'enfant à la connaissance par une voie rationnelle. Parmi tous les écrivains, Rousseau montra la nécessité d'une éducation complète et naturelle et la possibilité de la réaliser.

    3. L'enseignement secondaire s'attachait encore et toujours à la religion, aux langues anciennes et à la rhétorique. Le français et les sciences étaient sacrifiées. Il ne répondait nullement à sa destination du fait qu'il n'avait pas suivi le mouvement qui s'était produit dans les diverses branches. Les méthodes ne favorisaient guère l'élévation des intelligences. A tous les degrés de l'enseignement, l'éducation physique était négligée et, d'une façon générale, on peut affirmer que l'école ne formait nullement l'homme.

    4. Puisqu'il était réellement insuffisant pour former le citoyen, pour préparer l'individu à la vie en société, le programme fut fixé d'après les besoins de l'homme, de l'Etat et de la société. L'histoire et la géographie, appelées à fortifier le sentiment patriotique, ainsi que la langue nationale remplacèrent les langues mortes dans le programme des études en France, dans la seconde partie du 18ème siècle. L'éducation physique fut enfin favorisée par la pratique plus régulière de la gymnastique.

    VI. Remise en honneur de l'enseignement et apparition du titre d'instituteur

    1. Maîtres et régents n'étaient guère estimés et l'enseignement était vraiment peu en honneur. Les maîtres d'écoles primaires, mal payés, exerçaient, parallèlement à leur métier, des charges telles que chantre et sacristain. Sonner la cloche et creuser les fosses n'étaient pas des occupations dignes de lui attirer la considération et l'estime de la population. La qualité des bâtiments scolaires, de véritables masures sans mobilier, n'était pas de nature à améliorer cette situation.

    2. Au cours de la seconde période du 18ème siècle, la position du maître d'école fut rehaussée. Tout d'abord, cette expression "maître d'école", qui personnifiait le régime passé et désignait si peu l'éducateur, fut remplacée par un titre plus digne, celui d'instituteur.

    Pour que l'instituteur soit à la hauteur de sa position, on lui assura un traitement honnête. De plus, le choix de l'instituteur fut entouré de nombreuses garanties. Au cours de cette seconde période, on comprit également que sa mission ne consistait plus uniquement à apprendre à lire ou à écrire, mais également à former des hommes. A l'heure de la Révolution, sa mission consistera à préparer des fils à la patrie.

    VII. L'organisation scolaire en France

    1. La situation de l'organisation scolaire en France avant 1789 est importante pour comprendre ce qui va se passer lors de la Révolution. Dans l'ensemble, l'évolution de l'instruction publique se poursuit dans la ligne de l'époque précédente.

    2. L'enseignement primaire n'a pratiquement pas évolué depuis la fin du 17ème siècle.

    • Les écoles primaires étaient réparties assez inégalement entre les différentes provinces et de nombreux villages manquaient d'écoles.
    • Les localités plus ou moins importantes étaient dotées d'écoles chrétiennes, ce qui stimula la création d'établissements rivaux.
    • Les statistiques prouvent que les écoles étaient nombreuses dans toutes les paroisses mais il ne faut cependant pas en tirer des conséquences trop favorables. En effet, tout contribue à faire supposer qu'elles étaient peuplées de peu de valeur, les quatre à cinq mois de vacances, le peu d'importance attribuée à l'instruction, le minerval obligatoire croissant avec le degré de la classe alors que la misère était si grande, le nombre des illettrés, l'impuissance des maîtres et surtout l'indifférence des pouvoirs publics.

    Dans l'ensemble, le nombre d'écoles était insuffisant comme en témoignent les cahiers des doléances de presque toutes les communes de France qui soulignèrent le fait pour s'en plaindre et demander qu'on y porte remède.

    3. L'enseignement moyen était plus favorisé, étant donné la condition de fortune des familles qui lui confiaient leurs enfants et la valeur des professeurs. Il est prouvé que les collèges ne faisaient pas défaut aux élèves ni les élèves aux collèges.

    Après la suppression des Jésuites en 1763, il y avait encore en France quelques 562 collèges fréquentés par 80 mille élèves, dont 40 mille bénéficiaient de la gratuité.

    Les revendications du tiers état étaient de deux ordres : l'ouverture des collèges aux enfants du peuple et la réorganisation ds examens qui donnaient le droit d'enseigner.

    4. Quant à l'enseignement technique supérieur, il s'était enrichi de nouvelles écoles. Il existait déjà, sous l'ancien régime, des écoles techniques spéciales, répondant aux besoins de l'Etat en ingénieurs pour les routes, les fortifications, les canaux, les ports ainsi qu'en architectes pour les constructions royales.

    Équipés pour former des prêtres ou des juristes, il ne fallait pas attendre des collèges une préparation efficace de ces techniciens. Aussi, c'est dans les écoles militaires, fréquentées par les fils de la noblesse, que se formèrent nombre de techniciens et savants. L'École royale du génie de Mézières fondée en 1748, fut parmi les premières à donner un enseignement moderne, scientifique et pratique. La fondation des écoles militaires fut une grande expérience pour perfectionner l'enseignement public.

    De la seconde moitié du 18ème siècle date aussi la création de l'école des mines (1783), des écoles vétérinaires de Lyon (1763) et d'Alfort (1766) ainsi que de l'école navale du Havre (1773).

    Chapitre II : Les précurseurs de la Révolution

    La révolution pédagogique, qui caractérisa la seconde moitié du 18ème siècle et qui conditionna les conceptions éducatives des siècles suivants, eut pour premiers auteurs des hommes appartenant à deux groupes.

    Tous critiquaient les procédés suivis dans l'enseignement mais, le premier groupe, les philosophes, cherchaient à tracer une nouvelle méthode par l'analyse de l'esprit humain et déterminaient le but de l'éducation en considérant l'homme en lui-même. Le second groupe d'hommes, les parlementaires, fixaient ce but par les besoins de l'homme social et de l'Etat. Ils demandaient à l'Etat de prendre la direction de l'enseignement dont il s'était désintéressé jusqu'alors et de ne la confier ni aux corporations ni aux particuliers.

    Parmi les philosophes du 18ème siècle, nous examinerons successivement les idées de Jean-Jacques Rousseau, de l'Abbé de Condillac, de Denis Diderot, d'Helvétius, de Condorcet...

    Parmi les parlementaires, nous retiendrons La Chalotais, Rolland et Turgot.

    I. Jean-Jacques Rousseau

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle

    1. La vie de Jean-Jacques Rousseau n'est guère banale. C'est même une vie mouvementée, agitée. Rousseau lui-même, dans ses "Confessions" et André Dhotel dans "Le Roman de Jean-Jacques" nous en donnent une idée juste.

    2. Né à Genève en 1712, Jean-Jacques Rousseau perdit sa mère très jeune et fut élevé sans méthode par son père, ouvrier horloger. Adepte de Plutarque, l'adolescent quitta le logis familial, vint en France et exerça divers métiers. Timide, rêveur et renfermé, il se consacra à la lecture, se passionna de musique et s'intéressa à la pédagogie. A 30 ans, il devint précepteur et avança dans un mémoire ses premières idées pédagogiques. D'une servante, Thérèse Levasseur, il eut cinq enfants qu'il plaça tous à l'assistance publique, ne pouvant les élever !!!

    3. Son "Discours sur les Sciences et les Arts" le rendit célèbre. A dater de cette époque, Rousseau ne cessa d'écrire et d'avoir un nombreux public. Tous ses grands livres parurent en l'espace de 12 ans. Les thèses qu'il défendait étaient si originales, si surprenantes, si contraires à l'opinion générale, que les contradicteurs se multiplièrent.

    4. Ayant connu la gloire, Rousseau se retira à Montmorency et écrivit en même temps "La Nouvelle Eloïse", "L'Emile" et "Le Contrat Social".

    Sa vieillesse fut tourmentée. Ses prises de position l'ont brouillé avec les Encyclopédistes. Voltaire fut pour lui un ennemi redoutable. Le parlement ayant décrété sa prise de corps à la suite de la publication de "L'Emile", Jean-Jacques Rousseau s'enfuit en Suisse puis en Angleterre. Il revient cependant en France pour y mourir 10 ans plus tard à Ermenonville en 1778.

    5. Le génie de Jean-Jacques Rousseau est le fruit de son intelligence, de sa soif de connaissance, de son intuition, de son sens aigu de l'observation, de son esprit de synthèse. Placé hors de son temps par son manque de formation, non dénaturé par ses semblables et par la société, il observa, analysa et démonta les rouages de la société en en reconstruisant une autre, basée sur un nouveau "contrat social".

    6. N'ayant jamais été à l'école, Rousseau n'avait pas la formation humaniste d'un Voltaire. Autodidacte, il connut les joies de la découverte et l'amertume de l'échec à travers les choses. Son éducation est l'oeuvre de lui-même et de la nature. Rousseau a été précepteur, fort traditionaliste, alors qu'il cherchait encore à s'insérer dans la société. Dans les projets d'éducation qu'il formula pour ses élèves, quelques passages annonçaient "L'Emile" et d'autres dénonçaient l'éducation de son temps.

    Jean-Jacques Rousseau peut être considéré comme le précurseur général de psychogénétique infantile et juvénile. Le but qu'il assignait à l'éducation était la formation de l'homme naturel, la réalisation de l'état d'homme tel que les caractères en sont inscrits dans la nature humaine. 

    7. Rollin et Locke d'une part, mais surtout Condillac, la pédagogie fonctionnelle de Comenius, la pédagogie sur mesure de Montaigne et la pédagogie de la Grèce antique, au service de la cité, ont influencé Jean-Jacques Rousseau. Mais pour conduire à un nouveau type de société, il fallait trouver une pédagogie rénovée. Cette pédagogie, Rousseau la base sur la psychologie de l'enfant, pondérée par une observation permanente et à caractère scientifique.

    8. Considérant qu'il y a une continuité dans la vie de l'enfant, Rousseau comparait l'éducation à un continuel accroissement. Il accordait une grande importance à l'éducation des sens et à un développement harmonieux des habiletés. Puisque l'homme est originellement bon et la société corrompue, Rousseau recommandait de choisir pour l'enfant un milieu éducatif hors de toute atteinte de la corruption, de baser l'éducation sur l'expérience, l'intérêt de l'enfant et le respect du temps. Rejetant les leçons verbales, Rousseau préconisait de développer la curiosité naturelle et l'observation active, de créer des problèmes. L'éducation morale, qui commençait après l'âge de 15 ans, devait permettre à l'enfant de s'intégrer à la société.

    9. Rousseau prétendait que la connaissance est à l'intérieur de l'âme au moment de la naissance. C'est pourquoi il considérait l'éducation comme un développement venant de l'intérieur, comme une sorte de potentialité qui s'actualise progressivement pourvu qu'on la laisse s'épanouir librement sans lui imposer des normes ou des contraintes extérieures.

    10. Le principal reproche que l'on puisse faire à Rousseau, c'est son intolérance. Il façonne un être humain à l'image qu'il s'en est faite tout en lui laissant l'illusion de la liberté. Il se conduit en despote éclairé et, de plus, il n'a pas le sens de l'humain car son citoyen rigoureusement vertueux manque de chaleur, d'humour, de créativité et de fantaisie.

    Toutes ses idées restent cependant d'actualité et s'inscrivent dans la ligne de la rénovation de l'enseignement belge. En effet, si on isole ses idées pédagogiques du contexte philosophique et social de son oeuvre, la plupart gardent leur valeur et peuvent être tenues pour des acquisitions définitives : une pédagogie fondée sur la psychologie, un développement de l'enfant par étapes successives, l'importance accordée à l'éducation par les choses et aux méthodes sensibles, intuitives et actives, la valeur attribuée à l'intérêt psychique de l'enfant.

    II. L'abbé de Condillac

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Étienne Bonnot de Condillac, abbé de Mureau (1715 - 1780) consacra la retraite à laquelle le vouait son état, à des études philosophiques et à la publication d'ouvrages remarquables. Chargé de l'éducation du duc de Parme, Condillac écrivit à l'usage de son élève le "Cours d'études", ouvrage comprenant différents traités spéciaux et l'exposé de sa méthode. On lui doit également un "Traité des Sensations" et un "Essai sur l'origine des connaissances humaines".

    2. Pour lui, la pédagogie découle de la psychologie dont il exagéra le rôle. Condillac basait toutes les manifestations de l'esprit sur la sensation. Son programme prévoyait l'étude de l'enfance, de la société, les arts primitifs, les progrès dans les beaux-arts, les sciences et les lettres. Dans le latin, l'Abbé de Condillac n'avait en vue que les traductions.

    3. Condillac employait et recommandait l'analyse grâce à laquelle l'esprit prend une connaissance parfaite des idées les plus complètes et les plus difficiles. Loin de vouloir approfondir toutes les choses qu'on enseigne à l'enfant, Condillac préconisait surtout d'apprendre à penser, raisonner, parler et écrire, les quatre opérations qui composaient l'activité intellectuelle.

    III. Helvétius 

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Riche et généreux, ami du travail et du plaisir, épris des lettres et des savants, Claude-Adrien Schweitzer, latinisé en Helvétius, fit paraître "L'Esprit", ouvrage qui rencontra une vive opposition dans la cour de France, le clergé et le parlement. Il y exposa ses idées sur l'éducation ; il les reprit et les développa dans un autre ouvrage, intitulé "L'Homme".

    2. Helvétius ramena l'éducation à l'acquisition des connaissances. Pour lui, la différence d'esprit constatée chez les hommes provient de la différence d'éducation. C'est Helvétius qui défendit les positions les plus absolues du sensualisme pédagogique et affirma la nécessité de séculariser l'instruction en la confiant au pouvoir civil. Il en énuméra les nombreux avantages pour l'instruction, la discipline et le patriotisme.

    3. Son programme visait à la fois la formation du corps et de l'esprit. Il conseillait de recourir aux exercices du corps en usage chez les Grecs, demandait l'étude de la morale, de la langue nationale, des mathématiques, de la physique et de l'histoire.

    IV. Denis Diderot et l'Encyclopédie


    1. En retard sur la tendance anglo-saxonne, les philosophes éducateurs français du 18ème siècle, plaidaient en faveur d'une prédominance des sciences formatrices de l'esprit. La pédagogie qu'ils préconisaient se basait sur l'observation et l'expérience. La science étant une, ils estimaient que toutes les disciplines scientifiques devaient s'intégrer dans un plan méthodique d'éducation. C'est sur ce postulat que reposait l'attitude encyclopédique.

    2. "L'Encyclopédie", dictionnaire des Sciences, des Arts et Métiers - un énorme travail - fut l'expression symbolique de cette croyance en l'unité de la science, et du désir de lui donner la prépondérance que possédaient les humanités jusqu'à cette époque. L'influence de cet ouvrage qui parut de 1751 à 1771 fut décisive sur l'orientation générale de l'éducation.

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle

    3. Le directeur de "L'Encyclopédie" fut Denis Diderot. Élève des Jésuites, puis étudiant en théologie, il fut attiré par les lettres mais surtout par les sciences et se consacra entièrement aux études abstraites et à la philosophie. En 1775, à la demande de l'Impératrice Catherine II de Russie, protectrice des philosophes, Diderot composa le "Plan d'une Université russe". Ce travail l'amena à préciser ses conceptions en matière d'éducation.

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle

    4. Diderot estimait que l'éducation devait se rencontrer avec la nature pour exalter l'humain dans l'homme. C'est lui qui prévoyait un système complet d'instruction publique gratuite organisé et dirigé par l'Etat.

    Diderot demandait une rémunération pour les maîtres qui participaient à l'effort d'instruction. Pour que cette instruction porte ses fruits, il croyait devoir enlever à l'Eglise, aux corporations et aux particuliers la liberté d'enseigner. l'Etat seul pouvait selon lui attacher les peuples à la partie en inspirant les vertus publiques et les passions favorables à sa prospérité, leur imprimer un caractère durable et énergique.

    5. Diderot avait élaboré pour l'enseignement secondaire, un programme qui rompait complètement avec celui appliqué dans les collèges. Il accorda la prépondérance aux sciences et ne craignait pas de retarder l'étude des lettres jusqu'à 18 ou 20 ans, car elles n'étaient bonnes, selon lui, qu'à former des orateurs et des poètes et qu'elles ne servaient pas au développement général de l'esprit.

    Cette attitude nouvelle impliquait le pressentiment d'une évolution sociale et politique qui ferait d'une minorité sans responsabilité une minorité agissante et souveraine dans un monde où les problèmes techniques gagnent en importance.

    Plaçant les sciences abstraites dans les cinq premières années, il donnait à l'esprit un aliment supérieur à sa force et compromettait le succès des études.

    En limitant les langues à trois années, dont une seule pour les lettres classiques, Diderot méconnaissait les services qu'elles rendaient dans le but qu'il assignait lui-même à l'instruction. Diderot, qui appelait le peuple entier aux écoles, voulut même lui rendre l'enseignement supérieur accessible.

    6. Outre la publication de "L'Encyclopédie", travail immense, Diderot écrivit une oeuvre importante et variée : des critiques d'art, des romans, ainsi que des travaux philosophiques qui valent surtout par la multiplicité des idées originales et profondes qu'il exprima.

    7. Diderot, partisan d'une morale de l'instinct, ennemi des dogmes, professait l'athéisme. Admirateur de la raison, des sciences et des arts, Denis Diderot peut être considéré comme l'un des penseurs les plus typiques du 18ème siècle.

    V. D'Allembert

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle

    Bien que sa contribution sous une forme directe au progrès de la pédagogie fut modeste, Jean le Rond d'Alembert (1717 - 1783) mérite ici sa place parmi les grands personnages de ce siècle en tant que mathématicien illustre, ancien élève des Jansénistes.

    Responsable de la partie mathématique de "L'Encyclopédie", Jean le Rond d'Alembert eut pour mission d'en revoir tous les articles scientifiques.

    Dans le discours préliminaire, il aborda le problème éducatif. Adoptant le point de vue sensualiste mis à la mode par Condillac, Jean d'Allembert montra que toutes les connaissances viennent des sens.

    VI. Les collaborateurs et amis de "L'Encyclopédie"

    1. Jaucourt, ami découé de Diderot, Voltaire qui y écrivit quatre articles dont un consacré à l'esprit ; Montesquieu, auteur de l'article sur le goût, et Jean-Jacques Rousseau, chargé des articles relatifs à la musique, comptent parmi les collaborateurs les plus actifs de "L'Encyclopédie".

    2. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les articles de pédagogie étaient rares dans "L'Encyclopédie" ; Dumarsais (1676 - 1756), pédagogue honorable, est l'auteur de l'article intitulé "Education". Faiguet, préoccupé de progrès et soucieux de dégager les principes d'une méthode des études, composa l'article "Etudes", supérieur au précédent.

    3. Condillac, l'auteur du "Traité sur les Sensations" (1734), Helvétius, que nous avons déjà évoqué et certains philosophes comme l'Allemand Grimm ainsi que Condorcet influencèrent de leurs théories les Encyclopédistes. Sans collaborer de façon directe à l'oeuvre de Diderot, ils soutinrent cependant leurs efforts.

    VII. La Chalotais (1701 - 1785)

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Procureur général en Bretagne, Louis-René de Caradeuc de La Chalotais fit paraître en 1763 un "Essai d'Education nationale" qui fut traduit en plusieurs langues. Il y rétablit l'utilité des sciences et des lettres, l'influence de l'éducation sur le bonheur ou le malheur d'une nation et la nécessité d'une éducation civile.

    Il reprocha aux collèges existants d'être inférieurs à leur tâche tant par les études que par leur direction. Peu conséquent avec lui-même, La  Chalotais émettait des craintes sur l'instruction populaire : après avoir montré que les peuples ne sont malheureux que par l'ignorance, il refusait à l'ouvrier le droit et les moyens de s'instruire !

    2. La Chalotais insista sur la nécessité de réformer les méthodes. il innova peu, mais ses idées étaient saines. Il voulait que l'on remonte à la nature qu'il tenait pour le meilleur des maîtres. Toutes les méthodes devaient suivre une gradation car l'esprit s'élève des faits sensibles aux faits intellectuels.

    3. Dans le programme d'éducation qu'il proposa, les études s'organisaient, de six à dix-sept ans, en deux périodes ayant chacune un plan déterminé.

    La première période, de 6 à 10 ans, était consacrée à la culture ds sens et de la mémoire. la période de 10 à 17 ans était consacrée à l'instruction secondaire basée sur la langue maternelle, nationale et riche en modèles. C'était un "Plan d'Etudes" de grande valeur pédagogique.

    4. La Chalotais qui a des points communs avec Rousseau, mais qui diffère livre.sur la nécessité de l'instruction et sur l'éducation négative, s'en éloigne surtout par l'importance exagérée qu'il accordait au livre. Il oubliait ainsi que le meilleur manuel aux mains d'un professeur incapable est un instrument parfait qui perd sa valeur dans la classe, et que par ce procédé l'enfant ne pouvait acquérir quelques connaissances, sans plus. car, pour former un homme, c'est un homme qu'il faut et non un bon livre. 

    VIII. Rolland (1734 - 1794)

    C'est également pour tenter d'augmenter l'influence de l'Etat que Barthélémy Rolland d'Erceville, président du Parlement de Paris, proposa de centraliser l'enseignement et de le placer sous contrôle de la justice. C'est dans ce but qu'il créa un conseil ayant la haute autorité sur tout ce qui concernait les collèges, des inspecteurs chargés de visites annuelles, ainsi que des écoles normales d'hommes et de femmes où l'on enseignait la pédagogie.

    IX. Turgot (1727 - 1781)

    Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, souvent appelé Turgot, réclama du roi une instruction qui fasse connaître à tous les sujets leurs obligations envers la société et le pouvoir qui les protège, les devoirs que ces obligations imposent, et l'intérêt qu'ils ont à remplir ces devoirs. Afin d'assurer l'éducation nationale, Turgot considérait l'étude des devoirs comme le fondement de toutes les autres études. 

    X. Conclusion

    De nombreux ouvrages ont montré que des membres des parlements, des professeurs de français et étrangers cherchaient à modifier l'éducation en rencontrant les reproches adressés aux établissements qu'inspirait le "Traité des Etudes". 

    Dans la seconde moitié du siècle, les idées furent rapidement mûres. Malgré cela, les parlementaires ne pouvaient guère espérer voir leurs réformes admises. En effet, les corps privilégiés chargés de l'enseignement avaient trop d'intérêt à continuer les anciennes traditions. Sans obtenir de résultat positif et en réclamant pour l'Etat la direction de l'instruction publique, ils préparèrent la voie aux Constituants. 

    Chapitre III : La Révolution et l'éducation nationale

    I. L'oeuvre de la Révolution

    1. Les besoins nouveaux avaient trouvé l'occasion de s'imposer dans les circonstances politiques qui amenèrent la chute de l'Ancien Régime. Les cahiers de 1789 dénoncèrent les abus, proposèrent des remèdes et rassemblèrent la plupart des aspirations exprimées tout au long du 18ème siècle. C'est dans ces cahiers qu'on porta un jugement sur l'état de l'université française à la veille de la Révolution et sur les aspirations de l'opinion publique sur lesquelles les législateurs des assemblées s'appuyèrent pour élaborer leurs réformes.

    2. Ces cahiers demandaient le développement des écoles, la nomination d'instituteurs compétents, la prise en charge du traitement du personnel enseignant et de l'entretien des locaux scolaires par les communes.

    3. Si les cahiers faisaient état des collèges religieux, ils s'intéressaient par contre énormément aux collèges royaux réservés aux fils de l'aristocratie. Ceux-ci y recevaient une formation militaire qui les préparait aux fonctions d'officiers dans l'armée du roi.

    4. En plus d'une réorganisation administrative des collèges développés sous la monarchie finissante, les cahiers revendiquaient pour les enfants du tiers état le droit d'accès dans ces établissements et dans les mêmes conditions de gratuité, au même titre que les nobles. On y trouvait également l'idée d'une éducation publique organisée par l'Etat, celle de l'extension de la culture aux sciences utiles à la médecine notamment.

    5. Par le décret du 15 novembre 1793, les collèges étaient supprimés et la Convention s'occupait d'établir trois degrés progressifs d'éducation. Plusieurs projets virent le jour pendant cette période : ceux de Talleyrand, de Lakanal mais surtout celui de Condorcet, avaient pour but de perfectionner l'homme et de servir, en même temps que le développement individuel, celui de la société tout entière. Tous reconnaissaient la nécessité d'adapter le projet éducatif aux besoins de la vie.

    Cette époque est essentielle parce qu'elle a exprimé pour la première fois les buts modernes de l'éducation. L'idée d'extension du champ de la culture fut reconnue et posée. Ainsi, au cours des siècles suivants, on en appliqua les principes selon les possibilités.

    6. Aux côtés des collèges religieux et des collèges royaux existaient aussi des collèges attachés aux universités. A la suite des réformes que Rollin avait proposées au 18ème siècle, les universités avaient amélioré leur enseignement mais restaient encore fidèles à un conservatisme social. Elles se distinguaient en distribuant souvent de manière irrégulière des titres et des grades aux privilégiés de naissance ou par leur fortune, ce qui soulevait des protestations unanimes. Les cahiers demandèrent, unanimement, la réforme de ces universités décadentes et un contrôle strict des diplômes délivrés.

    7. Les assemblées révolutionnaires s'efforcèrent de réaliser non seulement les souhaits exprimés par les philosophes, les espoirs de l'opinion publique et les idées pédagogiques de Jean-Jacques Rousseau. La synthèse de toutes ces idées, vœux et espoirs, s'organisa, graduellement, et cela pour la première fois dans l'histoire des sociétés. Trois notions fondamentales et révolutionnaires caractérisent cette réalisation française : l'obligation, la gratuité et la neutralité de l'éducation nationale.

    8. C'est à Talleyrand que l'on doit le premier projet de réforme scolaire. Il proposa une éducation publique et gratuite du moins pour le niveau de l'enseignement indispensable à tous les hommes. Talleyrand prévoyait quatre degrés d'instruction :

    • l'école du canton, correspondant au niveau primaire ;
    • l'école du district, de niveau secondaire ;
    • l'école de grands chefs-lieux, sortes d'écoles techniques et professionnelles ;
    • l'Institut National de Paris, groupant l'élite capable de recevoir un enseignement supérieur.

    9. La Constituante n'ayant pas eu suffisamment de temps pour réaliser son projet, l'Assemblée législative demanda à Condorcet d'étudier les problèmes posés par l'éducation des citoyens. Son rapport fut adopté et fit l'objet du décret du 17 août 1792 grâce auquel un enseignement national unique, gratuit et neutre devait être institué. Mais l'Assemblée législative se sépara à son tour avant d'avoir pu donner corps à ses projets. Mais que proposait Condorcet ?

    II. Le rapport de Condorcet

    1. Le projet de loi formulé par Marie-Jean-Antoine Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, mathématicien, philosophe et écrivain, eut un retentissement considérable et inspira toute la législation scolaire ultérieure.

    Condorcet (1743 - 1794), très attaché aux idées républicaines préconisait cinq degrés d'instruction : les écoles primaires, les écoles secondaires, les instituts ou collèges, les lycées, correspondant aux facultés universitaires et enfin la Société des Sciences et des Arts chargés de la direction générale de l'enseignement.

    2. Son rapport,qui précéda la formulation du projet de loi, insistait sur la nécessité d'une neutralité complète de l'école, d'une école qui ne servirait ni les religions ni les factions politiques. Condorcet a défendu l'idée d'un système d'éducation gratuit à tous les degrés car, pour lui, il ne pouvait y avoir d'école démocratique et vraiment populaire si la fortune décidait du sort scolaire des enfants.

    3. Condorcet avait aussi compris la nécessité d'une formation continue en ce sens que la formation de l'enfant devait, dans une bonne démocratie, être prolongée par celle de l'adulte. Condorcet souligna aussi la nécessité de l'instruction qui lie les hommes par la réciprocité fraternelle des besoins et des services. La Révolution considéra l'instruction comme un droit et un devoir, donnant à tous les grandes libertés et devant rendre réelle l'égalité et favoriser la moralité publique et le progrès. 

    Le but de l'instruction était donc d'assurer l'existence et les progrès de la République, de faire profiter l'homme des avantages qu'elle lui assure, d'élever l'intelligence et la raison.

    III. L'oeuvre de la Convention

    1. De toutes les Assemblées qui ont gouverné la France, c'est la Convention qui s'est le plus préoccupée de l'organisation de l'éducation publique et nationale. Durant les trois dernières années où elle siégea, plus de dix projets, plans ou décrets se sont succédé, exprimant chacun les sentiments de la majorité au pouvoir. 

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle2. Un savant illustre, Joseph Lakanal (1762 - 1845) fut chargé d'établir un nouveau projet. Il demanda une école pour mille habitants, surveillée par un jury d'inspection. Il détermina le programme d'enseignement primaire. Il se préoccupa du traitement des instituteurs. Une commission centrale reçut pour mission d'élaborer des méthodes modernes d'éducation. Joseph Lakanal avait aussi insisté pour qu'une pédagogie méthodique de l'enseignement primaire s'élabore. Sieyès et Garat l'aidèrent à faire adopter un décret sur l'établissement d'écoles normales. Le bref exemple que constitua l'Ecole Normale de Paris, fermée après quatre mois de cours, permit aux législateurs ultérieurs de la République de créer des écoles normales sur des bases solides grâce auxquelles l'école populaire française se maintient toujours aujourd'hui.

    3. Par la loi Lakanal, de novembre 1794, la Convention assigna aux instituteurs nommés par le peuple, agréés par un jury d'instruction et payés par l'Etat, la tâche d'enseigner la lecture, l'écriture, les règles du calcul simple et l'arpentage, les éléments de la langue française parlée et écrite, la morale républicaine, les chants de triomphe, les principaux phénomènes et les productions naturelles les plus courantes.

    4. L'école primaire est désormais un fait historique et social. La Constitution française lui donna un droit du cité. Elle devint une institution séculaire et perdit son caractère confessionnel. Liée au destin de la République, l'école primaire devenait impérissable.

    5. Dans les campagnes, l'autorité du clergé restait grande. La Convention proclama la liberté des cultes et reconnut la liberté d'enseignement. Bien qu'ils en aient été souvent eux-mêmes les propagateurs, la plupart des instituteurs adoptèrent les idées nouvelles. Parfois l'instituteur subissait la pression de l'opinion publique excitée par la propagande confessionnelle. Dès lors, il n'osait pas toujours utiliser les livres scolaires prescrits par la République. C'était particulièrement vrai dans les campagnes reculées. Les assemblées révolutionnaires avaient en effet porté un grand intérêt au problème des livres scolaires. Elles souhaitaient récompenser les ouvrages présentant de réelles qualités pédagogiques. S'efforçant de répandre l'amour de l'idéal républicain, les livres de morale républicaine apparurent en librairie plus vite que les ouvrages vraiment scientifiques.

    6. Pour l'enseignement secondaire, Condorcet souhaitait un programme axé davantage vers les sciences. Mirabeau et Talleyrand, moins exclusifs, voulaient conserver les langues mortes afin de les comparer avec la langue nationale. La langue française devait être enseignée à tous, vu son importance, mais aussi pour faire disparaître les dialectes locaux, vestiges de la féodalité, pour consolider l'unité de la République et pour faciliter la connaissance des lois.

    7. En ce qui concerne l'enseignement supérieur, Condorcet souhaitait qu'il embrasse toutes les sciences et tous les arts : sciences mathématiques, sciences morales et politiques, leurs applications aux arts, la grammaire, les lettres, les arts d'agrément et l'érudition.

    8. Lorsque la Convention fit place au Directoire en octobre 1795, la loi avait tracé le cadre précis de l'école primaire ; son épanouissement futur était inéluctable. La Convention avait aussi fondé des institutions remarquables telles que l'Ecole Polytechnique, le Bureau des Longitudes, l'Ecole des Arts et métiers, les écoles centrales et spéciales, le Muséum d'Histoire Naturelle et le Conservatoire de Musique, toutes dans l'enseignement supérieur.

    Chapitre IV : Les philosophes éducateurs à l'étranger

    I. Etat des écoles en Allemagne

    1. Nous nous sommes surtout intéressés à l'évolution de la pensée pédagogique en France parce que la situation était assez semblable dans les pays voisins. En Allemagne cependant, les modifications prirent plutôt un caractère pratique. Des progrès réels furent réalisés dans les divers degrés de l'instruction tandis qu'ailleurs on se limitait à des considérations théoriques.

    2. Frédéric II de Hohenzollern, pénétré de l'importance de l'instruction, prit des mesures efficaces dans le domaine du recrutement du personnel enseignant. En 1793 il établit à Berlin un séminaire de sacristains et de maîtres d'écoles, imposa un examen aux instituteurs et institutrices, et rendit la fréquentation obligatoire par les enfants de cinq à quatorze ans. Grâce à Frédéric II, la Prusse devint dans l'Allemagne un état puissant de premier plan, capable de disputer aux Habsbourg d'Autriche la prépondérance en Europe centrale.

    3. En Prusse, l'éducation populaire était favorisée par les efforts isolés des pasteurs et des professeurs encouragés par des ministres éclairés. Overberg (1754 - 1826), directeur de l'école normale de Munster, recevait les instituteurs des environs pendant les vacances et publiait des manuels de pédagogie et de méthodologie générale.

    Les esprits les plus distingués, comme Schiller et Goethe, protestaient contre la direction étroite imprimée à l'école, contre l'asservissement des intelligences, conséquence des études. Ils demandèrent le développement intégral de l'homme dans tout ce qu'il a de plus noble et de plus beau. S'ils rencontraient les idées des philosophes français pour exiger la transformation de la pédagogie, ils ne cherchaient pas à ruiner les croyances ni à élever une jeunesse incrédule.

    4. Depuis 1706, placées entre les petites écoles destinées aux pauvres, et les écoles latines, privilège des classes élevées, les "realschule" préparaient les fils de la bourgeoisie au commerce et à l'industrie en donnant la connaissance des choses réelles et limitant le programme aux branches utiles à la vie pratique. Ces "realschule" créées par Semler, ont servi de modèles à des créations semblables dans toutes les petites villes.

    5. Au 18ème siècle, on ne forme plus de purs savants, ni d'hommes attachés à la seule culture de l'esprit. La nouvelle conception de l'éducation fait donc tout naturellement place à celle du corps, à son développement. Elle est en mesure de satisfaire aux exigences d'hommes que nous avons vus soucieux d'élargir et de transformer l'idée d'éducation pour lui permettre d'incorporer des exercices physiques.

    On assiste en Allemagne à la systématisation des exercices corporels comme partie d'un plan essentiellement pratique d'éducation intégrale et harmonique. Cette réforme, qui donnera naissance à tous les courants modernes en éducation pratique, eut pour initiateur le pasteur protestant Johannn Basedow (1723 - 1790). 

    II. Basedow et les Philanthropes

    1. Alors qu'en France les théories de Rousseau exprimées dans "L'Emile" soulevaient de violentes protestations, faisaient bannir l'auteur et brûler le livre, en Allemagne et en Suisse, on s'efforçait de les mettre en pratique. Cette tentative heurtait les habitudes reçues : il fallait gagner le peuple non par des décrets comme le fit la Révolution française, mais par l'exemple d'écoles faisant mieux que leurs devancières. Basedow était l'homme de la situation ! 

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle2. Né à Hambourg en 1723, Johann Bernhard Basedow étudia la théologie et embrassa la carrière ecclésiastique. Persécuté par les orthodoxes pour la liberté de ses idées philosophiques, il dut s'expatrier et, de 1753 à 1761, il alla enseigner la morale et les belles-lettres à l'Académie des Nobles de Sorö. Basedow y assista aux exercices d'équitation, voltige, quintaine, escrime à pied et à cheval ; aux exercices de danse, de boule, de course, de lutte, de lancement du javelot, de maniement de la lance, du drapeau...

    3. Conquis par les idées de John Locke, il y fit paraître en 1758 "Praktische Philosophie für alle Stände", dans laquelle il préconise la méthode d'endurcissement. Quatre années donc avant Rousseau, Basedow, en combattant l'éducation amollissante de son époque, versait dans le dangereux excès opposé.

    En 1768, enthousiasmé par la lecture de "L'Emile", dans son adresse aux Philanthropes, il exposa le plan d'une oeuvre pédagogique hardie, originale et de large envergure. Il obtint des souscriptions et surtout l'appui du prince Léopold d'Anhalt-Dessau. Celui-ci lui lui alloua, en 1771, une dotation pour fonder un institut moderne dans sa capitale et supporta les frais de publication des ouvrages.

    4. Le courant des idées était philanthropique. Basedow donna donc à l'institut de Dessau le nom de "Philanthropinum" pour éviter le reproche de mercantilisme et affirmer sa mission humanitaire. Cette école normale pour l'humanité devait être un laboratoire pédagogique où l'on formerait des hommes unis fraternellement et développés intégralement et harmonieusement en dehors de toute conviction particulariste de caste sociale, de religion et de nationalité.

    5. L'éducation dont Basedow concevait la nouvelle orientation devait reposer quant à la religion sur le déisme de Rousseau, quant  à la morale sur la philanthropie, quant à la politique sur le cosmopolitisme des nations civilisées. Ennemi de la tradition scolastique, Basedow supprima dans le programme du "Philanthropinum" les inutilités, les notions vieillies afin de consacrer plus de temps aux exercices corporels et manuels, indispensables à la santé, à la croissance, à la formation générale. 

    6. Parmi les collaborateurs de Basedow, le plus célèbre est Wolke (1742 - 1825). Directeur du "Philanthropinum" de 1778 à 1784, c'est sous son administration que l'établissement s'éleva à son plus haut degré de prospérité. Il publia de nombreux ouvrages d'éducation générale et d'enseignement.

    Mais un autre écrivain populaire et pédagogique, membre de l'école philanthropiniste mérite une attention plus particulière, c'est Christian-Gotthilf Salzmann (1744 - 1811).

    III. Salzmann et l'éducation physique

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Aumônier à Dessau, Christian-Gotthilf Salzmann y enseigna la religion naturelle et la morale. Grâce aux libéralités du prince philosophe Ernest II, il put ouvrir en 1784 un autre Philanthropinum dans le beau site de Schepfenthal, près de Gotha. Salzmann se révéla grand pédagogue, théorique et pratique. Il publia plusieurs livres ; dans l'un, on retrouve une critique des faux procédés d'éducation et dans un autre, publié en 1786, une série de conseils ou de règles destinés aux éducateurs : avoir une bonne santé ; être toujours gai ; apprendre à parler et à vivre avec les enfants, à partager leurs occupations ; chercher à enseigner dans une famille ou un institut dont les enfants ou les élèves jouissent d'une bonne santé ; chercher à acquérir le talent de donner aux enfants la conscience de leurs devoirs et, enfin, agir toujours comme on voudrait que les élèves agissent. 

    2. Pour Salzmann, l'éducation doit "développer par l'exercice les forces physiques, intellectuelles et morales de l'enfant". Sa méthode est celle de l'observation. La gymnastique des sens et de l'intelligence est à la base de l'éducation intellectuelle. Au point de vue moral, il faut laisser agir les réactions naturelles des actes et écarter le système des punitions et des récompenses artificielles.

    Son programme comprenait l'étude des langues et des choses ou des réalités, les arts, la gymnastique et les jeux pour rendre sain, fort, adroit, beau et courageux. 

    3. Au début, Salzmann enseigna lui-même les exercices corporels ; plus tard, il se fit remplacer par l'illustre Guts Muths (1759 - 1839), le père de la gymnastique moderne. 

    IV. Guts Muths

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Après avoir fait des études classiques qu'il compléta à l'Université de Halle, Johann Christoph Friedrich Guts Muths ou Gutsmuths assista à Dessau, au cours de gymnastique donné par Simon et Du Toit. En mai 1785, il accompagna Salzmann à Schnepfenthal et y enseigna le français, la géographie, la technologie et les exercices physiques pendant 54 ans, jusqu'en 1839, année de sa mort.

    2. Homme simple, robuste, énergique et laborieux, il se consacra à la jeunesse qu'il aimait de tout son cœur et dont il était aimé. Sous la direction éclairée de Salzmann qui l'encouragea et lui communiqua son enthousiasme en pédagogie pratique, il entreprit une oeuvre qui devait en faire le "fondateur de la gymnastique allemande".

    3. Il considérait l'homme comme une unité physique et spirituelle. Pour lui, la faiblesse du corps conduisait à celle de l'âme. La plus haute culture intellectuelle, sans éducation corporelle, ne produisait qu'une personnalité incomplète. La gymnastique naturelle des peuples primitifs devait, chez les civilisés, être remplacée par un art gymnastique.

    Guts Muths estimait que le devoir le plus élevé de l'Etat et des maîtres de l'enseignement était celui d'organiser la gymnastique pédagogique et de la propager. Les soins hygiéniques et les exercices devaient se faire de préférence à l'air libre. Le père de la gymnastique moderne estimait enfin qu'il fallait tenir compte de la méthode d'enseignement, de l'âge, du sexe, de la progression, de la constitution et de la profession.

    4. Ces principes de base sont et resteront éternellement vrais. Ils marquent un progrès méthodologique dont l'étape n'est même pas encore franchie par bien des pédagogues actuels. L'oeuvre de Guts Muths est un monument éducatif admirable et complet : "Gymnastik für die Jugend" est un manuel pratique et méthodologique moderne de gymnastique qu'il fit éditer en 1793.

    En 1798, il publia un "Traité de Natation". Son oeuvre est une source à laquelle ont puisé tous les successeurs de celui qui proclama "qu'il fallait faire de la gymnastique". Elle le classe parmi les éducateurs les plus illustres de son temps. Elle marque enfin une étape importante : la naissance de la gymnastique pédagogique et de la gymnastique sportive. Elle sera reprise, continuée, complétée et propagée au cours du 19ème siècle dans tous les pays civilisés.

    5. Alors que les précurseurs avaient orienté la réforme éducative surtout vers la culture de l'âme et de l'esprit, les grands pédagogues allemands retrouvèrent la forme réaliste de l'éducation intégrale et harmonique. Ils firent oeuvre de pédagogie essentiellement pratique et expérimentale, la seule qui compte vraiment dans l'art d'éduquer. Ils transposèrent sur le plan national et démocratique l'éducation physique qui avait été jusqu'alors l'apanage des écoles ou académies de la noblesse. 

    V. L'éducation en Autriche

    1. Au 18ème siècle, l'instruction publique préoccupait les gouvernements, pratiquement partout, au nord et au centre de l'Europe. Nous l'avons vu, en Allemagne comme en France, les philosophes se préoccupaient de l'éducation mais les moyens pédagogiques les intéressaient moins que les finalités de l'éducation elle-même.

    Etudiant l'enfant dans ses rapports présents et futurs avec la société, ces philosophes allemands s'efforcèrent de découvrir les bases d'une morale qui affranchirait les hommes en s'appuyant sur la raison et la condition humaine.

    2. L'organisation, qui fut établie en Autriche en 1774, mérite également notre attention. Programme, méthodes, locaux, inspection, surveillance, écoles normales, écoles primaires, écoles pour adultes, tout était réglé avec un esprit large.

    Joseph II compléta l'oeuvre commencée. Son besoin de tout réglementer nuit aux véritables intérêts des études mais il prit quand même plusieurs mesures favorables. Il rendit l'école obligatoire, étendit les programmes, adoucit la discipline en interdisant les châtiments corporels et revalorisa la fonction d'instituteur en prescrivant de lui donner le titre de Herr (Monsieur).

    VI. Emmanuel Kant

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Les idées d'Emmanuel Kant (1724 - 1804) méritent une attention particulière de la part des instituteurs. A défaut de détails sur les méthodes ou les programmes, il avait des vues très élevées et très pratiques sur l'éducation morale. A les lire, on comprend mieux ce que la société et l'enfant lui-même attendent des instituteurs en ce domaine. Sans diminuer l'instruction, une plus large place pourrait être réservée à l'éducation et ce serait un grand bien car elle est souvent si négligée dans les écoles modernes.

    2. Emmanuel Kant s'éleva de la fonction de précepteur au grade de professeur de philosophie à l'Université de Koenigsberg.

    Comme tous ses collègues, il fut tenu d'exposer, à ce titre, ses principes de pédagogie. Un auditeur les recueillit, le maître les compléta et c'est ainsi qu'en 1803 parut la "Pédagogique", véritable traité de pédagogie. Cet ouvrage est né de son expérience de précepteur et du désir de tirer des applications pratiques de sa critique de la raison.

    3. Kant a subi l'influence de Jean-Jacques Rousseau mais il sut se soustraire à ses exagérations. Sa conception de la nature humaine semble plus exacte. Pour Emmanuel Kant, l'enfant n'est ni bon ni mauvais, la vertu n'est pas innée ; elle peut être acquise. Il en résulte pour le philosophe que c'est à l'éducation de diriger ces dispositions. Mais l'éducation est à la fois l'oeuvre de la nature et de l'homme.

    Kant désire dès lors que le moraliste procède comme le médecin qui s'aide de la nature et la laisse libre pour qu'elle puisse exercer son action bienfaisante. Mais si la nature est nécessaire, elle est cependant insuffisante. C'est pour préparer l'enfant à la vie sociale, dans laquelle sa liberté est limitée par de nombreux devoirs que l'éducateur doit intervenir.

    4. Kant éprouve les mêmes appréhensions que Rousseau au sujet des habitudes qui affaiblissent la liberté. il conseille de favoriser les habitudes que la nature réclame par leur périodicité : heures de sommeil, de repas...

    5. L'éducation intellectuelle que préconise Kant a surtout pour but la culture des facultés. Le maître doit apprendre à penser et enseigner quelques connaissances pour permettre à l'esprit de s'exercer. la culture des facultés doit s'attacher davantage au jugement qu'à la mémoire pourtant nécessaire.

    6. L'éducation morale doit se donner pour but de discipliner la volonté puis de la fortifier. L'éducateur doit surtout s'efforcer d'atteindre la perfection morale. Kant confie cette tâche à l'école publique où l'influence du maître vient s'ajouter à celle des condisciples. la vraie culture morale commence avec le jugement et le raisonnement portant sur des maximes de l'école et sur celles de l'humanité un peu plus tard.

    7. Pour Emmanuel Kant, les limites de l'éducation sont fixées, non par l'enfant, mais par la perfection relative de l'éducateur. Kant a souvent plus juste et plus haut que Rousseau. D'un esprit moins systématique, il a su éviter les paradoxes et les exagérations du philosophe genevois. D'une moralité plus haute, Kant ne prenait pas pour base l'intérêt ou l'utilité mais le devoir. Kant, qui avait défini le devoir et l'avait identifié à la loi, se préoccupa de donner à la connaissance des devoirs une place très importante.

    Il désirait surtout que l'on s'attache à former l'honnête homme et que l'on poursuive ce but à travers toute l'existence. Il voulait qu'on inculque d'autorité à l'enfant le respect des droits et la pratique des devoirs. A l'homme il demandait de puiser dans la droiture de son âme la force et la raison de ces actes autrefois imposés. Son point de vue a grandement contribué à orienter les doctrines éducatives vers le rationalisme. 

    VII.Johann Gottlieb Fichte

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle1. Comme tous les philosophes du 18ème siècle, Johann Gottlieb Fichte était convaincu que l'homme ne naît pas mauvais. Il plaçait les règles de la morale pure à la base de toute saine éducation.

    2. Professeur à l'Université de Berlin, Johann Gottlieb Fichte (1761 - 1814), principal représentant de l'idéalisme et disciple d'Emmanuel Kant, prononça de nombreux discours s'adressant à la nation allemande toute entière. Il y établit que le renouvellement moral ne pouvait être obtenu que par une éducation qui forme la volonté et la dirige vers le bien.

    3. Puisque l'homme est perfectible, Johann Gottlieb Fichte estimait que l'éducation devait aider cette perfectibilité chez tous les individus. Fichte songeait principalement à développer, dans ses discours, ses idées en faveur de l'éducation de la nation allemande qui venait de subir de cruelles défaites militaires.

    4. Puisque la société s'avérait corrompue, Fichte proposa notamment d'isoler les enfants dans des institutions communautaires où leur amour de la liberté individuelle serait brisé au profit des besoins supérieurs de la collectivité scolaire d'abord, nationale ensuite. Ainsi, après avoir vécu dans un milieu parfaitement pur, les enfants devenus citoyens, seraient capables de transformer la société.

    5. Fichte rappela également que tout comme la défense du territoire, l'instruction publique incombait à l'Etat qu'il jugeait seul capable d'organiser cette éducation nationale et communautaire. le peuple devait le service scolaire comme le service militaire.

    6. Fichte, comme Luther, fut particulièrement soucieux du prestige de la nation allemande et, dans une certaine mesure, du développement du pangermanisme.

    Chapitre V : L'éducation des femmes

    I. Introduction

    1. Comme pour l'organisation scolaire, c'est encore la France qui constitue une précieuse référence car c'est le pays où l'on s'est toujours le plus préoccupé de l'instruction des filles et c'est surtout la France qui, au 18ème siècle, permet de caractériser l'esprit qui dirigeait les écoles.

    2. Le siècle précédent avait inspiré une forte éducation se basant sur un sentiment religieux profond et éclairé mais qui ne put se soutenir sous les critiques des philosophes. de nombreuses écoles qui ne donnaient que des connaissances peu étendues, mais qui inspiraient aux jeunes filles le respect et l'honneur, tombèrent l'une après l'autre. les dernières maisons jansénistes furent fermées par un ordre royal en 1752. Seule l'institution de Saint-Cyr parvint à se maintenir et conserva les traditions de Madame de Maintenon. Les héritiers de Louis XIV ne lui accordèrent pas leur appui. Sur la proposition de Rome, la Convention la supprima.

    3. La vie facile et les mœurs plus relâchées de la cour avaient gagné toute la noblesse et les classes élevées de la bourgeoisie. Les couvents avaient perdu leurs habitudes austères mais sages. En Flandre, le régime s'était à ce point adouci que chaque élève se voyait attribuer un appartement séparé. L'éducation mal comprise et l'instruction faible, tout laissait à désirer.    

     * Titre VII - L'éducation au 18ème siècle4. De nombreux écrivains critiquèrent l'éducation donnée dans les couvents. En même temps, ils cherchaient à porter remède aux plaintes justifiées. Sans oser défendre l'éducation publique, Rollin, dans le "Supplément du Traité des Etudes" (1734) avait attiré l'attention sur la nécessité de l'instruction des filles. Charles Irénée Castel, Abbé de Saint-Pierre affirmait que les religieuses n'avaient pas pour but principal l'éducation des jeunes filles. Voltaire blâmait l'habitude de confier les filles aux religieuses si on ne les destinait pas au cloître. Le régime sévère de l'institution de Saint-Cyr, de même que la liberté extrême des autres couvents soulevaient des plaintes et la réaction des mères devint générale.

    5. L'éducation des filles se faisait principalement au sein de la famille. Ce n'était certes pas l'idéal car la situation morale de la plupart des familles présentait plus de dangers que d'avantages, mais on ne voulait plus de couvents. Ainsi, au 18ème siècle, la femme était moins instruite qu'au 17ème siècle, alors que la société l'était davantage. La femme avait aussi perdu le respect de la religion et de la morale, caractère de l'époque où elle vivait.

    Le résultat de l'éducation n'était guère meilleur dans les classes élevées où l'on recourait à des gouvernantes car, peu capables et moins vertueuses encore, celles-ci ne formaient que les manières.

    6. Plusieurs pédagogues demandèrent remède à l'Etat. En 1730, l'Abbé de Saint-Pierre réclamait pour les filles l'ouverture des collèges nationaux où des enseignants capables enseigneraient les éléments de toutes les sciences et dispenseraient une éducation morale et soignée.

    Rolland souhaitait dans son "Plan d'Etudes" un enseignement public pour les filles semblable à celui réservé aux garçons. Cependant Rousseau confiait encore l'éducation des filles à la famille. La Révolution abonda dans le même sens au début du moins, mais prit soin de créer des pensionnats pour les jeunes filles dont les parents ne pouvaient s'acquitter de cette tâche, soit par incapacité, soit par manque de temps.

    II. Les écrivains pédagogues

    1. Ainsi donc la femme fut victime de l'indifférence quasi générale au cours du 18ème siècle. On critiquait beaucoup ; on édifiait peu, surtout pratiquement.

    2. Les idées de Rousseau en matière d'éducation de la femme sont réactionnaires. La femme est faite pour obéir, à ses parents d'abord, à son mari ensuite. Rousseau prépare une épouse ayant des qualités qui assurent le bonheur calme de la vie intérieure et une mère dévouée corps et âme à ses enfants. Mais pour la femme elle-même il ne fait rien ! Reconnaissant en elle les mêmes besoins et les mêmes facultés, il lui refuse toute existence personnelle : la femme sera sans instruction et sans croyance personnelle. Un minimum d'instruction est suffisant : les rudiments d'écriture et de lecture, les travaux ménagers, la musique, la danse et la comptabilité ménagère. Il est cependant un art que Rousseau ordonne à la femme de cultiver : c'est l'art de plaire, un art qu'il considère comme naturel. Rousseau n'a pas compris la femme. Il a cru favoriser l'éducation morale en sacrifiant l'éducation intellectuelle. Comme il ne cultive ni la raison, ni la conscience, ni le véritable sentiment religieux, il fait de la femme une personne légère, aussi enthousiaste du bien que du mal qu'elle ne peut discerner.

    3. A côté de quelques idées sages destinées à relever la mère, Diderot exposa des théories assez audacieuses sur l'initiation des jeunes personnes aux secrets de la nature humaine. Ses principes pouvaient être bons car la jeune fille ignorante est plus facilement trompée que celle qui est prévenue et une instruction prudente arrête les écarts de l'imagination. Mais comme ces principes étaient opposés à l'opinion générale, c'est peu à peu et lentement qu'il fallait les introduire. Diderot insistait également sur la préparation des maîtresses.

    4. La révolution comprenant combien il importait d'élever la jeunesse dans les idées républicaines ne perdit pas de vue la femme qui exerce en toutes circonstances une influence considérable sur l'éducation de l'enfant. C'est ainsi que Mirabeau préféra l'éducation particulière où l'action maternelle est si puissante. Il conseilla de créer dans les municipalités des écoles pour filles, sur les mêmes principes que celles pour garçons. Talleyrand souhaita le remplacement des couvents religieux par des pensionnats laïques inspectés par l'Etat, mais fondés et administrés par les départements. Condorcet voulait la femme capable : institutrice de ses enfants, compagne intelligente de son époux. Condorcet refusait d'établir une différence qui détruirait l'égalité des époux. C'est pourquoi il préconisa la mixité dans les écoles. En 1794, Lakanal fit décréter que toute école primaire serait divisée en deux sections, l'une pour garçons, l'autre pour les filles, avec une institutrice et un instituteur, et que l'enseignement donné par celle-ci comprendrait les travaux manuels.   

    5. Plusieurs femmes s'occupèrent avec quelque succès de la direction à donner à l'éducation des filles. Madame de Lambert écrivit plusieurs petits traités destinés uniquement aux demoiselles de qualité. Elle réclama des connaissances utiles et un programme plus étendu que celui établi par Fénelon, son maître.

    6. La fin du siècle fut plus féconde. Madame d'Epinay, Madame Necker et Madame Roland s'occupèrent également d'éducation mais leur influence se limitait toujours à quelques salons et il n'était pas question d'éducation publique.

    7. Kant, qui s'est souvent inspiré de Rousseau, proposa un idéal supérieur pour les femmes. Tandis que Rousseau condamnait la fille lettrée et ne lui destinait qu'une existence secondaire, Kant lui donnait les connaissances en rapport avec sa nature et ses besoins. Il souhaitait que tout ce que la femme puisse apprendre contribue à former en elle le goût du beau, physique et moral.

    Chapitre VI : La Belgique au 18ème siècle

    Dans l'histoire des écoles belges, le 18ème siècle occupe une place très importante, vivant une double organisation. Pendant les longues années de troubles qui désolèrent le pays, l'enseignement fut loin de s'améliorer. Grâce à Marie-Thérèse d'Autriche, princesse éclairée, l'enseignement fut encouragé à tous les degrés et participa à la prospérité générale. Cependant l'insuccès de la tâche de Marie-Thérèse doit être attribué aux lenteurs, aux scrupules et à des oppositions qu'elle rencontra souvent.

    I. L'enseignement supérieur

    1. L'Université de Louvain put traverser les crises politiques fréquentes sans menace pour son existence étant donné son indépendance et les ressources dont elle disposait.

    2. Les nombreux collèges secondaires qui en dépendaient et où se préparait la jeunesse catholique venue de tous les coins d'Europe, s'étaient maintenus prospères.

    3. L'Université de Louvain qui avait fourni tant de professeurs aux pays voisins s'était toujours recrutée en son sein. Elle n'avait qu'imparfaitement pris part au mouvement imprimé aux sciences et surtout à la philosophie au 18ème siècle. Les sciences exactes étaient négligées ; les vieux usages s'y étaient maintenus en même temps que les vieilles études. En 1755, l'impératrice fit également un règlement mettant fin à de nombreux abus, mais ces réformes furent insuffisantes.

    4. D'autres institutions ont contribué à relever le niveau intellectuel du pays. La Bibliothèque de Bourgogne fut restaurée. La Société littéraire créée en 1769, devenue en 1772 l'Académie impériale et royale des Sciences et belles-Lettres, tira la Belgique de l'indifférence où la plongeaient la négligence de l'histoire et de la littérature et la routine de l'université.

    5. Parmi les hommes remarquables qui favorisèrent le réveil de la vie intellectuelle, il faut citer Des Roches.

    6. Marie-Thérèse n'oublia pas les beaux-arts. Elle encouragea et protégea les académies d'Anvers et de Bruxelles ; elle en créa à Gand, Malines et Ypres.

    7. Joseph II, le successeur de Marie-Thérèse, n'eut pas la même prudence que l'impératrice dans les mesures qu'il prit. Louvain souffrit de son esprit d'innovation. L'édit de tolérance admettait les protestants aux grades académiques dans les diverses facultés.

    L'université fondée surtout pour soutenir le catholicisme, protesta contre cette atteinte à ses privilèges et à ses croyances. Joseph II tint bon et, poursuivant son but de renforcer le pouvoir central afin de supprimer les abus, il soumit la nomination des professeurs à l'approbation du gouvernement. La Révolution de 1789 mit ses décrets à néant et rendit aux divers ordres et établissements leurs anciens droits et privilèges.

    8. Le 1er octobre 1795, la République française ayant annexé la Belgique et étendu ses institutions à notre pays donna à l'Université de Louvain le dernier coup. Celle-ci fut supprimée en 1797 avec tous les collèges qui en dépendaient, ceci pour ne laisser qu'un seul mode d'instruction publique, conforme aux principes républicains.

    II. L'enseignement secondaire

    1. Nombreux étaient les collèges : une soixantaine environ. Une vingtaine étaient dirigés par les Jésuites ; une dizaine par des prêtres séculiers ; le reste dépendait des ordres religieux : Augustins, Oratoriens, Récollets, Dominicains... Les humanités avaient perdu leur éclat. L'absence de direction générale et le manque d'uniformité aggravaient encore la situation. En réalité, aucun enseignement secondaire n'était organisé et des écoles si différentes et si faibles ne pouvaient guère préparer les jeunes gens à des études supérieures valables.

    2. Un décret pontifical ayant supprimé la société des Jésuites, amena la fermeture de leurs établissements en septembre 1773. Les uns passèrent à d'autres mains, les autres furent abandonnés. Pour combler les vides, Marie-Thérèse institua une commission royale des études qui reçut pour mission de réorganiser complètement les écoles secondaires. C'est ainsi que, pour la première fois, l'Etat intervint dans l'enseignement moyen à titre d'autorité alors que jusque-là son rôle s'était limité à payer des subsistes. Ladite commission rendit l'enseignement libre, décerna les places de professeur selon leurs mérites et leur attribua des appointements fixes.

    Les collèges furent répartis en deux réseaux, mais tous furent placés sous le contrôle de l'Etat. Les collèges royaux remplacèrent la plupart des collèges de Jésuites fermés. On recruta des laïques en plus des ecclésiastiques pour enseigner dans les collèges d'Etat, mais il ne faut pas s'imaginer que la création des collèges d'Etat implique la constitution d'un enseignement laïque et neutre car la seule religion catholique était obligatoirement enseignée à tous et la majorité des professeurs étaient des ecclésiastiques.

    3. En 1777, le gouvernement publia un plan d'études et un règlement disciplinaire applicable à toutes les écoles publiques. Ce dernier conseillait l'émulation et adoucissait la discipline.

    4. Un second règlement, émanant de la commission royale des études, fixa en 1778, les vacances, les congés et l'emploi du temps. Les résultats ne prouvent pas que cette réforme des collèges royaux fut favorable aux études car le niveau des études paraît avoir baissé et les mesures furent rapportées, probablement à la suite du mauvais vouloir d'une partie du corps enseignant. L'autorité gouvernementale, affaiblie par les résistances qu'elle rencontrait dans l'enseignement supérieur, n'y put conserver la direction première. Les maîtres retombèrent dans leurs errements et les collèges perdirent leur bonne renommée. 

    III. L'enseignement primaire

    1. Toujours médiocre, l'enseignement primaire rencontra beaucoup de difficultés. Il dépendait simultanément des autorités civiles et religieuses et les besoins à satisfaire à ce niveau étaient plus importants. la Belgique n'avait pas profité d'une ordonnance de Marie-Thérèse réglant l'enseignement primaire. en effet, cette loi ne fut point appliquée.

    2. La plupart des écoles primaires dépendaient des chapitres et des monastères. Elles limitaient leur enseignement au catéchisme, à la lecture, à l'écriture. Quelques écoles civiles, municipales ou privées, y ajoutèrent parfois un peu de calcul et de grammaire, résultant d'efforts individuels. parois, un pensionnat était annexé à ces écoles privées. On y préparait les élèves aux études supérieures par des éléments de langues anciennes.

    3. Les écoles dominicales s'étaient maintenues et restaient, depuis les siècles précédents, confiées aux frères des écoles chrétiennes dans les localités importantes, aux curés dans les petites paroisses.

    4. l'enseignement primaire avait attiré l'attention de Joseph II. La création des écoles normales en 1774 rencontra dans notre pays assez arriéré une résistance presque insurmontable. Joseph II demanda aux états d'étendre et d'assurer l'éducation et l'instruction de l'enfance mais rien ne fut fait.

    5. Pour le reste de la domination autrichienne, le peu qui avait été fait disparut. L'empereur craignait de s'aliéner la population ; les autorités locales, par indifférence, laissèrent fermer les classes. L'école normale de Bruxelles connut le même sort.

    6. Cette situation dura pendant les premières années de la République. La population hostile aux idées républicaines se méfiait des rares écoles et des maîtres, ordinairement étrangers, qui n'inspiraient nulle confiance et les écoles fondées demeurèrent à peu près sans élèves. Ainsi le 18ème siècle qui avait connu un bref moment d'éclat sous Marie-Thérèse, se terminait par la ruine de ses écoles et dans l'indifférence pour l'instruction publique.

    IV. Un personnage important : Des Roches

    1. Né aux Pays-Bas en 1740, mais ayant passé presque toute sa vie en Belgique, Des Roches est un personnage qui mérite une attention spéciale pour l'action qu'il a menée dans notre pays.

    2. Venu en Belgique pour solliciter un emploi de sous-maître, Des Roches apprit le latin et les langues germaniques à Anvers. Il publia une grammaire flamande, une grammaire française à l'usage des flamands et un dictionnaire français-flamand. Ces ouvrages étaient incontestablement supérieurs à tout ce qui existait alors dans ces domaines.

    3. Nommé secrétaire de la Commission royale chargée de la réorganisation de l'enseignement public, Des Roches prit une part active à la création des collèges et des écoles normales, à l'élaboration des programmes et à la rédaction des livres classiques. C'est grâce à lui que le grec et le flamand furent conservés. Dans les écoles normales soumises à la surveillance, il rendit obligatoire le flamand, langue maternelle de la moitié du peuple belge. Chargé de la direction générale des écoles, il fut appelé en Autriche par Joseph II pour s'inspirer des méthodes et de l'organisation établie par Marie-Thérèse.

    A son retour en Belgique, il s'appliqua à régénérer l'enseignement et organisa l'école normale de Bruxelles. Parvenu à la haute fonction d'inspecteur général des écoles qu'il cumulait avec celles de secrétaire perpétuel de l'Académie, de directeur des écoles latines et d'écolâtre laïque de Bruxelles, la mort l'arrêta au milieu de ses travaux en 1787.

    Lien URL avec le Titre VIII : "L'éducation au 19ème siècle "

     

    Bibliographie partielle du Titre VII

    Morange J. et Chassaing J.F. - Le mouvement de réforme de l'enseignement en France (1760 - 1798) - Paris, P.U.F., 1974

    Pinloche A. - La réforme de l'éducation en Allemagne au 18ème siècle - Basedow et le philanthropisme - Paris, 1889

    Pinloche A. - Pestalozzi et l'éducation populaire moderne - Paris, Hachette, 1923

    Richard Pierre et François - Rousseau J.J. - Emile ou De l'éducation - Paris, Garnier, 1939

    Snyders Georges - La pédagogie aux 17ème et 18ème siècles - Paris, P.U.F., 1965

    Vial Francisque - La doctrine d'éducation de J.J. Rousseau - Paris, 1920

     


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  • Titre VI - L'éducation au 17ème siècle

    Chapitre I : Idées et théories pédagogiques nouvelles

    I. Introduction : le 17ème siècle

    1. Nous avons vu que le seizième siècle avait occupé une place considérable dans le domaine de l'éducation. Il peut être considéré comme l'un des plus importants de l'histoire de la pédagogie. Grâce à la renaissance italienne et à l'imprimerie, il s'était produit dans les esprits un mouvement dont les lettres et l'école tirèrent un grand profit, rompant enfin avec les traditions.

    Les écoles s'étaient mises en état de satisfaire aux exigences de toute une population désireuse de s'instruire. C'est pourquoi la réforme des études succéda à la Renaissance des lettres. Aux idées justes émises par les écrivains humanistes, le 17ème siècle apporta les modifications que le progrès général des idées et des connaissances, l'expérience et une plus juste appréciation du but de l'école avaient rendues nécessaires. Les programmes et les méthodes furent transformés. On conserva une part du temps très importante pour l'étude des langues anciennes, but principal de l'école, mais le latin cessa d'être le moyen de l'atteindre et on le remplaça par la langue maternelle, le français ou l'allemand, selon les régions.

    3. On rendit donc à la langue maternelle la place qui lui revenait. De même, l'histoire et la géographie furent étudiées pour elles-mêmes. On comprit également que les autres sciences étaient nécessaires pour l'éducation en raison de leur influence sur la culture générale et des services qu'elles pouvaient rendre à l'homme en maintes circonstances de la vie et au progrès social. Les mathématiques et les sciences naturelles progressaient, mais, alors que le courant emportait encore tous les esprits vers les études littéraires, quelques voix s'élevèrent contre la science des mots ou des idées abstraites pour réclamer la science des choses et une place pour l'étude des connaissances réelles, données par les sciences naturelles. Cet effort fut le point de départ du réalisme, mouvement dont les effets se firent sentir au 18ème siècle.

    4. Dans les études littéraires comme dans les études scientifiques, les méthodes se transformèrent, devenant plus rationnelles et visant à l'acquisition de connaissances. Aux procédés moyenâgeux, les philosophes opposèrent des systèmes raisonnés sur le développement de l'esprit et tracèrent la voie de la vraie pédagogie en lui donnant une base psychologique. Les études littéraires s'efforcèrent de former le jugement et la raison, facultés considérées comme les plus nobles car elles guident l'homme dans ses actes.

    5. L'introduction de la méthode inductive dans l'enseignement eut des résultats aussi féconds que multipliés. C'est au 17ème siècle que l'on comprit que l'enfant qui doit assimiler des notions est dans une situation presque semblable à celle de tout inventeur qui recherche les vérités scientifiques, et que tous deux doivent utiliser des méthodes identiques pour atteindre leur but.

    6. l'influence de la logique de Descartes modifia la nature de l'école. L'école dut surtout cultiver la raison et insister sur la liaison des idées. L'étude de la forme dut faire place à l'étude du fond parce que ce qui était considéré comme vrai, c'était ce que l'on pouvait prouver.

    7. Il convient cependant de préciser que ces diverses modifications furent plus lentes dans les écoles que dans les esprits malgré les efforts intelligents de certaines corporations, les sages conseils de maints écrivains et la stabilité politique de la France.

    8. Le 17ème siècle a également mieux compris quels étaient les besoins des divers degrés de l'instruction publique aux époques précédentes. Pour la première fois, l'enseignement élémentaire a un programme défini, incomplet mais qui satisfait aux besoins des classes populaires. L'enseignement moyen en profite à son tour.

    9. En dehors des jugements que les pédagogues contemporains sont en droit de porter sur la position confessionnelle des Jansénistes ou des Frères des écoles chrétiennes, il faut apprécier les efforts que ces lointains prédécesseurs ont produits pour améliorer les techniques scolaires, pour abandonner la lecture du latin, pour généraliser l'apprentissage de l'écriture et comprendre mieux la psychologie de l'enfant.

    10. Ainsi, Jean-Baptiste de La Salle eut le grand mérite d'améliorer la technique de l'enseignement de la lecture en abandonnant le latin que les Jésuites qualifiaient de langue théologique. Charles Démia, qui créa une sorte de séminaire pédagogique, préfiguration de nos écoles normales d'instituteurs, avait aussi découvert l'enseignement simultané dans les classes à plusieurs divisions. Jean-Baptiste de La Salle mit ce procédé au point, préconisa également la pratique de l'interrogation individuelle et l'usage du tableau dans l'enseignement raisonné de l’arithmétique.

    11. Les Jansénistes pensaient que la qualité de l'enseignement dépendait de celle des maîtres. En dehors d'une formation spécifique, ils estimaient que les maîtres devaient se rappeler sans cesse un certain nombre de règles sans lesquelles leurs efforts étaient voués à l'échec. Les Jansénistes étaient aussi profondément convaincus de la nécessité d'adapter la pédagogie aux aptitudes des enfants. Ce sont eux qui pressentirent la valeur de l'enseignement vraiment individuel que nous préconisons tant aujourd'hui, mais il faut bien remarquer qu'ils n'ont jamais accepté un effectif supérieur à six ou sept élèves par classe !

    12. Grâce à leur finesse psychologique, les Jansénistes, théologiens de Port-Royal, furent de remarquables praticiens, fondant l'art de lire et de parler sur l'usage de la langue maternelle, et l'art d'écrire sur un dressage des muscles de la main.

    13. Mais l'expérience des Jansénistes, qui ne porta que sur un bon millier d'enfants, aurait pu être un chef-d'oeuvre de psychologie et de pédagogie si, pour des raisons théologiques, elle n'avait été souvent compromise par leur discipline ombrageuse tempérée par un amour incomparable des enfants.

    14. Si c'est bien au niveau de l'enseignement primaire que les Jansénistes furent les plus actifs, ils s'intéressèrent aussi au développement complet de l'esprit. La richesse de leurs méthodes de pédagogie élémentaire découlait de conceptions plus élevées et, comme les Oratoriens, ils avaient adopté l'essentiel du cartésianisme.

    15. L'Eglise, qui suivait les aspirations de ce siècle essentiellement religieux, conserva la direction des études, en nommant les maîtres, en inspectant les écoles et en choisissant les livres. La religion demeurait la partie importante du programme qui comprenait aussi les éléments de la langue et du calcul. Il ne s'agissait pas de développer l'instruction en soi, mais de munir les esprits du minimum de connaissances, sans lesquelles les dogmes du catholicisme, religion savante, ne pouvaient être compris par les fidèles. Voilà pourquoi l'apprentissage de la lecture des textes latins persista.

    Créées par les ministres du culte, animées par eux, les écoles presbytérales étaient rigoureusement confessionnelles, dans leurs fins comme dans leur organisation interne. Dans les grandes villes, comme Paris, existaient aussi de petites écoles payantes, tenues par des laïques mais qui dépendaient du chantre dont l'autorité s'étendait à tous les établissements d'enseignement élémentaire.

    16. Les écoles élémentaires prirent une forme municipale dès que le roi de France se préoccupa enfin de l'enseignement primaire pour des raisons de politique religieuse. Il leur affecta les biens des consistoires protestants. les fondations se sont dè slors multipliées grâce à la générosité de mécènes. de nombreuses municipalités suivirent cette voie.

    17. Le développement des institutions éducatives n'est possible qu'en période de paix sociale, ce qui était vrai pour la France au 17ème siècle. Par contre, en Angleterre, ce siècle est celui de la révolte d'Ecosse (1638) et de la révolution de 1688. Dans ce contexte, les pédagogues médiocres qui dirigeaient les écoles perdirent tout crédit dans l'opinion publique. D'autre part, l'Allemagne était le théâtre de la Guerre de Trente Ans et les écoles y furent saccagées. Cependant, en Angleterre comme en Allemagne, des penseurs d'inspiration protestante ont écrit des traités pédagogiques et ont exercé par la suite une influence prépondérante : Ratichius (1571 - 1635) et Jean Amos Komensky dit Comenius (1592 - 1671) pour l'Allemagne ; Francis Bacon (1561 - 1626) et John Locke (1632 - 1704) pour l'Angleterre ; René Descartes (1596 - 1650), les pédagogues de Port-Royal, Charles Démia (1637 - 1689), Jean-Baptiste de La Salle (1651 - 1719) et Fénelon (1651 - 1715) pour la France.

    II. Francis Bacon

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Grâce à son jugement précoce, à son travail soutenu, à l'intelligente direction que lui donna sa mère, Francis Bacon, baron de Vérulam (1561 - 1626), n'avait pas seize ans qu'il entrait déjà à l'Université de Cambridge. Il étudia le droit, devint homme politique et chancelier d'Angleterre sous Jacques 1er. En composant ses divers ouvrages, Francis Bacon, surnommé le "père du réalisme moderne", n'a pas eu en vue l'école mais une étude plus rationnelle de la nature.

    2. Dans son ouvrage "La Restauration des sciences", Bacon proclama la valeur du réel et de l'étude de la nature. Il critiqua les conceptions de l'humanisme qui enseigne les mots au lieu des choses et qui ne forme que des écrivains ou des orateurs.

    Il pressentit le parti que l'on pouvait tirer pour la formation de l'esprit par l'observation directe des choses, de l'expérience rationnellement dirigée et de la méthode inductive que se forgent les sciences de la nature.

    Contre la méthode déductive, il prôna donc la méthode inductive, celle qui part de l'observation des faits pour bâtir le réel. Cette substitution de méthode eut sur la pédagogie une influence indirecte considérable. Aristote avait aussi appliqué une méthode d'induction mais elle ne reposait pas comme celle de Bacon sur l'expérimentation. Aristote induisait par raisonnement tandis que Bacon expérimentait. Pour lui, les expériences mêmes établissent la théorie.

    3. "Novum Organum", la seconde partie de son plus grand ouvrage, à la fois une encyclopédie et un traité de philosophie, renferme l'exposé de sa nouvelle méthode pour étudier l'histoire naturelle. Il refuse d'accepter comme vrai, sans preuve, tout ce que les anciens ont dit et écrit. Bacon voulait que l'on interroge la nature, qu'on lui arrache ses secrets par une observation patiente et persévérante et que, par une expérimentation bien ordonnée, on vérifie ses découvertes : procéder par ordre, aller du connu à l'inconnu, du facile au difficile, éviter la précipitation quand on généralise...

    4. Francis bacon ne s'occupa que très peu de l'éducation et n'en parle, dans ses ouvrages, qu'incidemment ou d'une manière générale. Convaincu que l'enfant doit fournir des efforts, garantie de succès, le philosophe, qui se situe à l'origine des courants de pensées empiristes et positivistes, souhaitait que des leçons de choses fournissent d'abord des connaissances positives, réelles, servant d'éléments au langage, tout en développant l'intelligence.

    5. Francis bacon accentua le mouvement appelé aujourd'hui "positivisme" qui éloigne la philosophie anglaise des spéculations métaphysiques et la rapproche de l'expérience.

    III. John Locke, à l'origine de la philosophie sensualiste

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Né à Bristol, John Locke (1632 - 1704) étudia la théologie puis la médecine à Oxford et à Montpellier. professeur lui-même à Oxford, il devint secrétaire particulier, médecin et précepteur dans une famille noble. Il voyagea en France et aux Pays-Bas. Ses "Pensées sur l'éducation" (1693) sont le résultat d'une réflexion de son expérience de précepteur. Son ouvrage principal s'intitule "Essai sur l'entendement humain" (1690).

    L'époque de John Locke est dominée par deux faits importants : les révolutions anglaises de 1648 et 1688 qui opposent les classes moyennes à l'aristocratie ; la querelle entre les cartésiens et les newtoniens.

    2. Au moment où la science expérimentale se fondait, John Locke imagina un système de philosophie fondé sur l'expérience, l'observation de l'homme et sur les apports des sciences. Dans son "Essai sur l'entendement humain", il exposa une psychologie empiriste. Il estimait que les idées ne sont pas innées : leurs origines sont la perception et la sensation. La réflexion est l'expérience interne qui nous fournit les idées pour agir sur le psyché, c'est-à-dire ce qui nous permet de percevoir, de penser, de douter, et qu'on appellera plus tard l'introspection.

    3. Bien qu'il soit considéré comme un disciple de Francis Bacon, John Locke a cependant produit une oeuvre essentiellement personnelle. Il est considéré comme le fondateur de la psychologie empirique ou d'observation. Il est aussi sensualiste puisqu'il considère que les sensations sont les éléments les plus importants du psychisme. L'éducation, telle qu'il la concevait, devait être sérieuse et solide. S'il y avait des lacunes - car il ne voyait pas tout - il n'y avait guère d'erreurs, car il voyait souvent juste.

    Son ouvrage "Pensées sur l'éducation" présenté sous forme de lettres, est un condensé de ses propres expériences en tant que précepteur. Il ne s'agit donc pas d'un traité systématique.

    4. Il envisageait les études sous un aspect utilitaire dans leur attrait et dans leur but, comme une préparation de l'enfant à la vie. Il s'agissait donc de n'enseigner que ce qui serait utile et de renoncer à l'érudition : le savoir est ce qui vient en dernier lieu dans l'éducation.

    John Locke accordait de l'importance à Dieu, à la vertu, à la civilité et à la politesse. Il conseillait de dresser les enfants comme des animaux raisonnables, de leur donner de bonnes habitudes, plus par des exemples que par des règles. Comme il avait fait des études de médecin, il pensait en médecin et se montra partisan de l'endurcissement.

    La grande importance que John Locke attachait à l'éducation physique s'explique par le but qu'il donna à l'éducation générale : une âme saine dans un corps sain, et par les ennuis de santé qu'il connut toute sa vie.

    5. Dans l'oeuvre de Locke, l'idée philosophique de base attribue un rôle passif à l'esprit puisque tout s'y imprime. Mais Locke accorde une importance très grande au raisonnement et insiste sur la nécessité d'observer les choses. L'observation et l'expérience sont le point de départ de toute étude et doivent s'adresser aux sens de l'enfant autant qu'à sa réflexion.

    6. John Locke voulait que l'on tienne compte de l'intérêt des élèves, que l'on  veille à garder l'attention des enfants, à s'appuyer sur leur curiosité.

    7. Les pensées de John Locke concernent finalement la formation du gentleman éduqué par un précepteur. Cette éducation, très anglaise, veut apprendre à l'enfant à tenir sa place dans la société. Elle est aristocratique et utilitaire.

    Empreintes de bon sens, les idées de John Locke influencèrent grandement la pensée du 18ème siècle et en particulier les Encyclopédistes, Rousseau et Spencer. Le 19ème siècle y puisa nombre de ses conseils. 

    IV. Radtke ou Ratichius

    1. Wolfgang Radtke, plus connu sous son nom latinisé de Ratichius (1571 - 1625) s'efforça d'imprimer aux écoles une direction nouvelle. Il voulait centraliser les tendances vers un enseignement national, concentrer les efforts des élèves sur un seul objet à la fois. Le jour de l'élection de l'empereur d'Allemagne (7 mai 1612), Ratichius proposa aux seigneurs assemblés de fonder des écoles où l'on apprendrait les langues très rapidement, par une méthode nouvelle, d'établir une école supérieure enseignant tous les arts et toutes les facultés en allemand et dans les autres langues ; d'introduire dans l'empire entier une seule langue, un seul gouvernement et une seule religion, dans le but de consolider la paix.

    2. Il parvint à fonder une école de six classes. Dans les trois inférieures, on apprenait l'allemand ; dans les deux suivantes, le latin, et dans la sixième, le grec. Ratichius faisait commencer l'étude de la langue aussitôt après la connaissance des lettres et des syllabes.

    3. Pour Ratichius, tout devait être enseigné d'après l'ordre et le cours de la nature. Il ne fallait apprendre qu'une chose à la fois ; faire d'abord tout étudier dans la langue maternelle, souvent répéter la même chose mais sans contrainte. Rien ne devait être appris de mémoire. En tout, il fallait procéder par l'induction et l'expérience, étudier la chose en elle-même puis ses détails et ses modifications. Ratichius estimait que de nombreuses récréations étaient nécessaires après chaque heure de leçon pour laisser reposer l'esprit des enfants.  

    4. Ratichius avait des idées très saines sur certaines parties de l'éducation, mais il demandait trop peu de travail à l'élève. Il plaçait la langue maternelle au premier plan. L'oubli des sciences naturelles dans son programme était d'autant plus grave que ce maître allemand procédait en tout par induction et expérience. 

    V. Jean Amos Komensky, alias Comenius

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Jean Amos Komensky, de son nom latinisé "Comenius", naquit en 1592 en Moravie, l'une des quatre provinces du royaume de Bohême (Tchéquie et Slovaquie actuelles) et mourut à Amsterdam en 1670 après avoir été l'un des promoteurs de la liberté de pensée, le précurseur de la pédagogie moderne et le plus grand pédagogue du 17ème siècle.

    Il était le fils de Martin Komensky qui appartenait à l'Union des Frères moraves, une communauté protestante, secte austère et paisible, presque calviniste, issue de Jean Huss, réformateur tchèque du 15ème siècle.

    2. Orphelin très jeune, son éducation fut négligée. Il avait seize ans lorsqu'il commença à étudier le latin. Avide de s'instruire, il regagna le temps perdu. Ayant vécu au cours de longues années de misère qui caractérisent le début du 17ème siècle, il fut véritablement l'instituteur du peuple. Les méthodes pédagogiques utilisées par les Frères moraves l'avaient déçu.

    3. Les universités luthériennes d'Allemagne ne convenant pas aux Frères de l'Unité, Comenius poursuivit ses études à Herborn en Nassau où la douce influence calviniste lui ouvrit le cœur et l’esprit. La Renaissance, l'humanisme, les œuvres de Platon, Sénèque et Cicéron l'émerveillèrent et lui servirent de guides.

    4. L'effort qu'il dut fournir pour rattraper le temps perdu et le mauvais souvenir que lui avaient laissé les écoles mal organisées l'inclinèrent vers une pédagogie meilleure, vers un enseignement accessible à tous.

    5. A l'âge de 24 ans, le jeune maître fut ordonné pasteur. Sa vie fut, malgré lui, un voyage perpétuel parce que la Guerre de Trente Ans dévastait l'Europe centrale. Il se cacha en Bohême, en Pologne, émigra en Angleterre où il organisa l'enseignement ; il s'embarqua pour la Suède dans le même but, y resta six ans, protégé par un commerçant hollandais d'origine wallonne, Louis de Geer. Ses voyages perpétuels lui ont permis de répandre ses principes pédagogiques dans toute l'Europe centrale et nordique. Ceux-ci découlent de ses convictions métaphysiques : pour Comenius, l'homme est infiniment perfectible et l'éducation peut contribuer à son développement. Une seule méthode peut apporter le succès : l'observation de la nature et le respect des lois. Comenius blâme les châtiments corporels et considère comme une nécessité le respect de la spontanéité et de la dignité de l'enfant.

    6. Comenius a publié beaucoup d'ouvrages philosophiques, religieux et pédagogiques en tchèque et en latin. Trois œuvres doivent retenir notre attention : "Didactica magna" (1657), "Janua linguarum reserata" (1631) et "Orbis sensualium" (1654).

    7. La "Didactica magna" est un remarquable traité pédagogique qui énonce un ensemble de principes généraux de l'éducation dont beaucoup restent actuels. L'éducation doit être foncièrement chrétienne, précoce, commune, universelle, développant toutes les facultés, et améliorée en qualité et en méthode.

    Comenius y précise également des principes d'ordre. Il faut graduer les difficultés, assurer la continuité, commencer l'éducation de bonne heure, employer un langage simple et progresser lentement. Il convient de concentrer les diverses notions, de faire répéter sous des formes variées, d'établir de nombreuses connexions entre plusieurs disciplines.

    Comenius y développe enfin des principes d'économie de temps. Par l'enseignement simultané et mutuel, un seul instituteur, aidé de moniteurs pris parmi ses meilleurs élèves, peut instruire un grand nombre d'élèves. Un programme et un horaire doivent éviter les pertes de temps. L'enseignement groupé de branches qui se tiennent, comme l'écriture et la lecture, doit profiter à ces disciplines et être plus favorable aux élèves.

    8. Comenius se préoccupe longuement de méthodologies spéciales et dénomme quatre degrés dans l'enseignement : l'école du giron maternel (éducation dirigée par la mère jusqu'à six ans), l'école primaire en langue maternelle (de six à douze ans), l'école latine ou gymnase (de douze à dix-huit ans), l'Académie ou l'université (de dix-huit à vingt-quatre ans) consacrée à l'étude des sciences supérieures. Chaque famille doit être une école maternelle ; chaque village doit posséder une école élémentaire ; chaque ville un gymnase ; chaque pays ou région, une université.

    9. Comenius accordait une place considérable à la formation scientifique. C'est en effet un disciple fervent de Bacon. Il recommande de rendre l'enseignement intuitif. L'enseignement doit être basé sur une étude concrète de la réalité, sur l'observation vivante et féconde de la nature. Il doit être solide, prompt, succinct et parler aux sens. L'enseignement doit préparer à la vie. L'école doit être un lieu de joie et de bonheur. Toutes les connaissances s’enchaînent. Il faut donc progresser dans la difficulté selon le principe des cercles concentriques. 

    10. Ses deux autres ouvrages, "Janua linguarum" et "Orbis pictus" concernent essentiellement l'enseignement des langues. Celles-ci n'occupent pas une place prépondérante. Elles ne sont qu'un moyen d'acquérir les sciences et de les communiquer. L'apprentissage de la langue maternelle comme celui des langues vivantes doit précéder celui des langues mortes. Ici aussi, c'est la méthode inductive qui est préconisée : les règles doivent être dégagées de plusieurs exemples.

    11. L' "Orbis pictus" est la "Janua linguarum" illustrée et l'on peut dire que ce livre est à l'origine des manuels illustrés en vogue au 20ème siècle. Jusqu'au 18ème siècle, il fut le principal ouvrage scolaire en Europe centrale.

    12. Comenius a été un admirable précurseur qui eut le mérite de mettre en lumière de grands principes pédagogiques : un enseignement intuitif et donné dans la langue maternelle ; une éducation morale par l'exemple et la pratique ; la recherche d'une meilleure méthode d'enseignement afin que les maîtres enseignent moins et que les élèves apprennent davantage.

    Comenius a donné une définition de l'enseignement mutuel et du travail en équipes qui en dérive. Il a voulu baser l'enseignement collectif sur l'émulation et l'esprit d'équipe simultanément.

    13. L'influence de Comenius a été considérable. Il rappelle d'abord ses grands prédécesseurs :

    • par la vivacité de ses critiques contre l'école de son temps, fait naturel et fréquent chez les novateurs, il nous fait penser à Érasme;
    • par les sages principes et les conseils excellents qu'il a prodigués, c'est à Vivès que nous pensons ;
    • pour le grand rôle attribué à l’intuition et à l'expérience, c'est le nom de Francis Bacon qui vient à l'esprit ;
    • et pour l'importance qu'il attache à la langue maternelle, c'est Ratichius qu'il rappelle.

    14. Comenius a influencé un grand nombre de ses successeurs : John Locke, Jean-Jacques Rousseau, Basedow, Pestalozzi et Froebel se sont inspirés de ses principes. A bien des égards, Comenius peut être considéré comme un pédagogue moderne. C'est lui qui a classé l'enseignement public en ses divisions actuelles ; c'est lui qui introduit le système des cours concentriques.

    Il voulut une école primaire, mixte au besoin, accessible à tous, à formation intégrale. Il proposa un enseignement psychologique : d'abord le sens, puis la mémoire, enfin l'intelligence et le jugement.

    Coménius prôna un enseignement naturel, facile, efficace, économique et intuitif, laissant une belle part à la formation scientifique et à la connaissance méthodique du monde concret. Il ne concevait de pédagogie efficace que dans l'union intime et permanente de l'enseignement des mots avec l'observation des choses.

    15. Cette doctrine fut aussi celle de Francke (1663 - 1727). Celui-ci fonda les écoles allemandes, par opposition aux écoles latines, le "pedagogium" où les élèves recevaient les cours en rapport avec la profession à laquelle ils se destinaient, et un séminaire, sorte d'école normale où les élèves s'exeraient à la pratique dans les classes inférieures et s'initiaient à l'administration de l'école.

    VI.René Descartes

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Il convient, à présent, d'évoquer celui qui a posé le problème de la réforme de l'éducation, ce maître à penser du 17ème siècle, René Descartes, qui ne fut pas à proprement parler un pédagogue, qui n'a pas construit de système pédagogique ni jamais parlé directement des sciences qui touchent l'éducation.

    2. Descartes naquit en Touraine en 1596 et fit ses études au collège des Jésuites de La Flèche. Il embrassa la carrière des armes puis se consacra à la philosophie. Pendant près de dix ans, Descartes parcourut l'Europe en observateur et s'installa en Hollande en 1629 où il composa ses principaux ouvrages.

     

    Il élabora son système philosophique à partir de deux intuitions :

    • les lois de la nature sont d'essence mathématique ;
    • la connaissance de cette science doit ouvrir à l'homme l'univers et lui en assurer la maîtrise.

    En basant ce système philosophique sur le doute méthodique et la recherche de la vérité scientifique, Descartes a jeté les bases d'une pédagogie centrée sur la formation objective de la pensée et sur la construction de connaissances utiles à la vie.

    3. Descartes, père du rationalisme moderne, eut une influence immédiate et considérable. Il fut persécuté à la fois par les catholiques et les protestants. Ses pensées, révolutionnaires pour l'époque, furent admises par les Oratoriens et les écoles de Port-Royal, mais condamnées par les Jésuites, l'Université de Louvain et par la Sorbonne.

    Durant sa vie, Descartes prit connaissance des découvertes de son époque et notamment de celles de Galilée. En 1635, Descartes écrivit le "Traité de la lumière" dans lequel il tenta de rendre compte, par la méthode mathématique, de l'ensemble des phénomènes naturels. Mais ce traité ne fut pas publié car Galilée avait été condamné pour avoir défendu les mêmes thèses.

    4. En 1637, il publia à Leyde le "Discours sur la méthode" dans lequel il posa les bases de la philosophie moderne. Cet ouvrage, écrit en français, était en fait une introduction à trois livres séparés : "Dioptrique", lois d'optique, "Météores", explication de certains phénomènes naturels, et "Géométrie"base de notre géométrie analytique. Descartes y critique ses études, dénonce leur inutilité et l'insuffisance de l'enseignement.

    Le résultat final de ses études chez les Jésuites, c'est le doute et l'incertitude de ses connaissances. Ce qu'il faut, c'est la certitude des connaissances acquises et, pour l'obtenir, Descartes remplaça l'obligation de croire par le libre examen, soumettant toutes les notions à l'évidence que donne la raison.

    5. Pour découvrir toutes les vérités, il suffit, selon Descartes, de respecter quatre règles :

    • ne jamais prendre pour vrai ce qu'on ne connaît pas ;
    • analyser les difficultés en les divisant en éléments plus simples ; 
    • déduire des éléments les plus simples une règle ;
    • rattacher les cas particuliers à une loi générale.

    Cette exigence devait avoir de grandes conséquences pour l'école dont elle modifiait la direction des études. Plaçant dans la raison le contrôle de toutes les vérités, de tous les faits, elle lui imposait évidemment le devoir de cultiver cette faculté.

    6. L'influence du cartésianisme vient du fait qu'il introduisit en philosophie le souci de la rigueur, de l'unité et qu'il redonna à la raison une valeur réelle. En réagissant contre le verbiage et les croyances aveugles fondées sur l'autorité de la scolastique, Descartes ouvrit donc les voies du libre examen et de la pensée moderne. C'est donc avec Francis Bacon et René Descartes qu'une opposition à la scolastique et à l'enseignement religieux est née. C'est à eux que l'on doit la naissance d'un esprit laïc ainsi que le laïcisme progressif dans l'enseignement.

    7. Rares sont les ouvrages de pédagogie qui citent Descartes. Si nous avons voulu l'évoquer, bien qu'il ne traita pas de l'éducation, c'est parce qu'il est possible, à la lumière de sa philosophie, de tirer des arguments pouvant servir la pédagogie.

    Ainsi, pour Descartes, l'homme doit se former au contact de la société, entrer en relation avec d'autres milieux que le sien, observer et analyser les coutumes, discuter avec des personnes de toutes conditions, rechercher causes et effets. L'homme doit ensuite synthétiser toutes les connaissances de façon objective et tolérante afin de se créer une ligne de conduite qui lui permette de mener sa vie raisonnablement et de remettre en cause les opinions, préjugés et croyances dans le sens d'une reconstruction. Il devra se remettre perpétuellement en question et ne jamais rien accepter comme définitif.

    8. En ce qui concerne les mathématiques et les sciences, Descartes proposa un enseignement basé sur l'observation et l'expérimentation, et rattaché directement à la vie. L'étude de l'histoire doit permettre à l'homme de comprendre son époque et de se situer dans son temps. Il faut donc que cet enseignement soit mené avec circonspection et mesure.

    9. Descartes considérait l'acquisition des connaissances comme partant de sensations réfléchies, s'appuyant sur des expérimentations et la collaboration. En recherchant la vérité, Descartes a posé les bases d'une éducation dont le but est de former ses individus capables d'agir en fonction de leur personnalité et de leur connaissance.

    VII. Jean-Baptiste de La Salle

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Issu d'une ancienne famille noble, Jean-Baptiste de La Salle (1651 - 1719) naquit à Reims et fit ses études au séminaire Saint-Sulpice à Paris. Devenu docteur en théologie, la voie des plus hautes fonctions ecclésiastiques lui était ouverte, mais il préféra se consacrer à l'éducation des humbles. En 1679, il ouvrit dans sa ville natale quelques écoles gratuites populaires. Très attaché au développement de l'éducation du peuple, jusque-là inexistante en France, et très attentif à la formation des frères en tant que maîtres d'écoles, de La Salle ouvrit à Reims un séminaire pour la formation des maîtres. Il fit de même à Paris où il adjoignit même une école d'application. A Rouen, il organisa un enseignement professionnel. En 1684, il jeta les bases de la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes dans le but de créer des écoles pour enfants des classes laborieuses.

    2. Jean-Baptiste de La Salle rencontra d'énormes difficultés. En effet, les maîtres des petites écoles ne voyaient pas d'un bon œil ces nouveaux maîtres qui enseignaient avec succès. On lui fit des procès, mais son oeuvre tint bon. A sa mort, en 1719, vingt-sept écoles existaient en France avec neuf mille huit cents élèves. En 1789, il y avait cent seize écoles en France et six à l'étranger, avec trente-six mille élèves.

    3. Jean-Baptiste de La Salle nous a laissé de nombreux écrits pédagogiques, tant théoriques que pratiques. Le principal est intitulé "La Conduite des Ecoles Chrétiennes" dont l'édition définitive date de 1720. Il y développe l'essentiel de ses idées pédagogiques.

    4. Jean-Baptiste de La Salle préconisa une pédagogie basée sur la connaissance approfondie de la psychologie de l'enfant et la culture des sens. L'éducation physique et l'hygiène sous toutes ses formes y jouent un rôle essentiel. L'école doit être active : les élèves doivent chercher, apprendre par eux-mêmes. Le questionnaire et le raisonnement inductif sont à l'honneur. Le mode simultané d'enseignement supplante le mode individuel : le maître s'adresse à toute la classe à la fois. Le frère pouvait aussi se faire aider par des élèves pour répéter les leçons, recourir aux plus avancés pour stimuler les plus faibles qu'il avait soin de placer à côté d'eux. Il y avait donc une combinaison du mode simultané avec le mode mutuel.

    5. Le programme des études proposé par de La salle comprenait la lecture de textes écrits dans la langue maternelle, l'écriture dont l'enseignement a été simplifié, la  grammaire, l'orthographe pratique, l'arithmétique concrète et l'instruction religieuse, car le but de l'éducation restait toujours religieux.

    6. La discipline restait stricte mais avec le souci de réduire les punitions et les châtiments au minimum. L'emploi de la férule était maintenu pour les cas graves. La dénonciation et l'espionnage mutuel était autorisé, comme chez les Jésuites. Le silence devait être strict. Il était essentiel pour maintenir l'ordre. Pour que les frères parlent peu, il existait tout un code de signes pour exprimer ordres et réponses à l'aide d'un claquoir en bois nommé "le signal".

    7. Malgré le caractère sommaire de ce programme d'école élémentaire, celui-ci apparaissait comme révolutionnaire pour son temps, s'adressant pour la première fois aux pauvres, sur une grande échelle. Les nombreuses innovations pédagogiques qu'il contenait expliquent le succès de cet enseignement.

    8. L'oeuvre de de La Salle fut immense et se répandit dans les deux continents. Il créa l'école primaire, lui donnant un programme, des méthodes et des ressources. Il recruta un personnel à qui il sut communiquer son zèle. Rien ne lui resta indifférent dans la vie physique, intellectuelle et morale de l'enfant.

    Malgré la réglementation exagérée qui pouvait entraver le progrès individuel, malgré la discipline parfois humiliante, il faut reconnaître qu'au point de vue pratique, aucun pédagogue, jusqu'au 18ème siècle, n'avait apporté de modifications aussi fécondes en faveur de l'enseignement du premier âge.

    Chapitre II : Répercussions des idées et théories nouvelles sur l'organisation scolaire

    I. Synthèse des idées nouvelles 

    1. Selon son étymologie, le terme "humanisme" embrasse, en réalité, tout ce qui est de l'homme et tout ce qui peut révéler l'esprit de l'homme. Mais s'il s'en est tenu, pendant plusieurs siècles, aux seules humanités classiques et à une conception purement littéraire de la formation. Cet étriquement de la culture s'est aggravé tandis que se développaient les littératures nationales et les sciences modernes.

    2. Le 17ème siècle est le grand siècle de la littérature française mais il fut plus encore le siècle de la science. Sous l'influence de Kepler, Newton et Descartes, il apporta les transformations les plus profondes à la pensée et à ses méthodes. Si l'on commença à élaborer la méthode expérimentale qui allait changer notre capacité de comprendre le monde et d'agir sur lui, l'éducation, malheureusement, s'en tint obstinément à l'horizon latin et à l'esprit antique.

    3. Ce retard du contenu de l'éducation sur les ressources offertes par l'évolution de la pensée, des arts et de la science peut s'expliquer par la prudence qu'adopte l'école dans l'accueil des valeurs nouvelles et par le conservatisme inné de l'éducation et la puissance de la tradition. En fait l'enseignement des sciences resta exclu de l'éducation générale parce qu'il n'y répondait à aucune nécessité.

    4. Dès le 17ème siècle, la pédagogie théorique amorça la révolution qui allait la libérer de tous les formalismes et des contraintes intellectuelles. Les idées de Ratichius mais surtout celles de Comenius inspirées de Bacon aboutirent au réalisme pédagogique par lequel on rejetait les principes abstraits imposés d'autorité, pour les remplacer par des faits observés objectivement et vérifiés par l'expérience. On substituait la méthode inductive à la méthode déductive ; on plaçait la connaissance des choses avant celle des mots et des idées qu'ils expriment ; on substituait l'étude directe de la réalité concrète au travail abstrait de la dialectique.

    5. La plupart des pédagogues ont prévu avec précision un système complet d'enseignement dont tous les degrés, ainsi que l'esprit, les programmes et les méthodes répondaient aux exigences d'un développement intégral et rationnel de l'homme.

    6. Avec le développement des idées humanistes naquit un intérêt effectif pour l'éducation des filles et, sous l'influence du courant protestant essentiellement, la langue maternelle prit sa place dans l'enseignement élémentaire pour lequel se manifesta également un regain d'intérêt, à tel point que Comenius prôna un enseignement gratuit et obligatoire.

    7. C'est ainsi que le brassage des idées nées de la Renaissance, de la Réforme et de la Contre-Réforme ouvrit la voie aux philosophes du 18ème siècle, que le déclin de la noblesse, la puissance grandissante de la bourgeoisie et le principe de l'autorité royale mis en cause préparèrent la révolution française de 1789, et que le développement des ressources industrielles et des manufactures annonçaient déjà quant à lui l'essor industriel qui marqua le 19ème siècle.

    II. L'enseignement primaire

    1. Au 17ème siècle, l'éducation élémentaire resta aristocratique, limitée à un petit nombre de bénéficiaires. le peuple ne recevait qu'une formation extrêmement limitée. L'enseignement primaire, assez médiocre dans l'ensemble, était limité dans ses objectifs tant dans les pays protestants que dans les pays catholiques.

    2. Cette formation élémentaire, qui comprenait le chant d'église, la lecture, l'écriture et quelques éléments de calcul, était donné dans des écoles de différents types. Les plus nombreuses, les "écoles mercenaires" étaient des écoles payantes. les parents devaient un écolage au maître.Les écoles municipales étaient peu nombreuses. Les écoles de fondation étaient gratuites et dépendaient d'une oeuvre de bienfaisance ou d'une rente faite par un donateur. Quant aux écoles de charité, écoles gratuites, elles dépendaient des paroisses. C'étaient les anciennes écoles paroissiales, le plus souvent tenues par le prêtre. Toutes ces écoles étaient soumises à l'autorité ecclésiastique, par l'intermédiaire de l'écolâtre qui choisissait les maîtres, contrôlait leur enseignement et leur assignait une responsabilité spirituelle. Le but catéchétique dominait et l'analphabétisme restait largement répandu.

    3. Fort heureusement, l'idée d'une nécessaire formation des maîtres fait son chemin et les premières ébauches d'écoles normales apparaissent car les maîtres sont souvent médiocrement instruits eux-mêmes. Les bâtiments scolaires sont souvent constitués de bâtisses de fortune : grange ou écurie quand ce n'est pas la maison du maître elle-même qui sert d'école.

    4. Il faut attendre la fin du 17ème siècle pour voir donner une impulsion à l'enseignement élémentaire populaire ; partout, on s'occupa de l'éducation et des systèmes qui en favorisaient la propagation. Ce fut l'oeuvre d'entreprises privées, de caractère religieux, notamment la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes. l'éducation élémentaire resta encore considérée comme une oeuvre de charité et non comme un droit. Cette situation s'observait dans toute l'Europe.

    5. En Allemagne, nous l'avons vu, un pasteur protestant, Francke (1663 - 1727), joua un rôle comparable à celui de Jean-Baptiste de La Salle en fondant des écoles piétistes, écoles de charité pour enfants pauvres, et plusieurs institutions enseignantes. La fin du 17ème siècle vit appliquer en Allemagne les principes de Ratichius et de Comenius dans l'enseignement des langues mais partout on réclamait pour les classes inférieures une instruction répondant aux besoins du peuple.

    6. En Allemagne encore, Ernest le Pieux établit l'enseignement obligatoire et gratuit et lui donna pour base un programme de lecture, écriture, calcul et religion.

    7. En Espagne, le prêtre J. Bonet régularisa l'enseignement des sourds-muets que le bénédictin Pedro de Ponce avait créé au siècle précédent, et le prêtre aragonais Calazans ouvrit des écoles pour enfants pauvres.

    8. En Italie, Calazans exilé, fonda l'ordre des Claristes qui se voua également à l'instruction des classes abandonnées.

    III. L'enseignement secondaire

    1. L'éducation secondaire restait aussi, au 17ème siècle, limitée à un petit nombre de privilégiés. Si le 17ème siècle était le grand siècle de la littérature française, ainsi que le grand siècle de la science, marqué par Kepler, Newton, Descartes, Galilée, Vésale, Pascal et Toricelli, l'enseignement secondaire oubliait cependant ces éléments et s'en tenait à l'horizon latin.

    2. L'enseignement secondaire se maintenait dans une attitude anachronique : humanités classiques et formation purement littéraire. La limitation de la culture s'aggravait au fur et à mesure que se développaient les littératures nationales et les sciences modernes.

    3. La primauté du latin dans les collèges était telle qu'elle accaparait tout l'horaire. C'était un phénomène propre à l'action éducative, marquée par la prudence pour accueillir des valeurs nouvelles.

    4. L'enseignement secondaire se donnait dans diverses catégories de collèges. il y avait, d'une part, les collèges des facultés des arts comme Louvain. L'enseignement y était figé, médiocre et obscur. D'autre part, on distinguait les collèges des congrégations : Augustins, Récollets. Les collèges des Jésuites et des Oratoriens attiraient le plus d'élèves. Enfin, certains collèges, comme les collèges épiscopaux , dépendaient des autorités ecclésiastiques ; d'autres des autorités communales.    

    5. Les collèges des Jésuites et ceux des Oratoriens ont connu depuis leur création un succès remarquable. devant le prestige grandissant du système pédagogique plus humain et plus libéral des Oratoriens, les Jésuites entamèrent une lutte sourde contre la Congrégation de l'Oratoire.

    IV. L'enseignement supérieur

    1. l'université a subi les contre-coups des transformations extérieures et elle leur a résisté. persistant à ignorer la langue française, l'université a conservé ses vieilles méthodes inchangées, n'ayant pas su remédier aux vieux vices scolastiques. Elle s'en tenait obstinément à Aristote, condamnant les idées cartésiennes. Les universités ont donc végété alors que les collèges des Jésuites et des Oratoriens ont prospéré.

    2. Toute l'activité intellectuelle et scientifique de cette époque s'est déroulée en dehors de l'université. Si les universités n'ont pas participé aux progrès scientifiques, la haute culture s'est réfugiée dans d'autres foyers. Des institutions ont été créées un peu partout en Europe. Elles dispensèrent un savoir nettement plus réaliste et adapté. il existait de hautes écoles, parallèles aux universités, tel le Collège de France (1530) qui devint le Collège des lecteurs royaux puis Collège royal. D'autres institutions ne s'adressaient qu'à une clientèle restreinte. ce furent les Académies, comme l'Académie royale en Angleterre, l'Académie de Berlin, l'Académie des Sciences à paris créée en 1666 sous le patronage de Colbert.

    3. Rollin (1661 - 1741), dont nous reparlerons à propos de l'éducation des filles, après avoir fait de fortes études et suivi un brillant enseignement des humanités au Collège du Plessis puis au Collège Royal, devint recteur de l'Université de Paris en octobre 1694. Il s'efforça de réformer la vieille administration dont la direction lui avait été confiée. Il lutta pour rajeunir les méthodes d'enseignement et améliorer la qualité des professeurs. Son "Traité des Etudes" qu'il publia vers la fin de sa vie, joua un rôle considérable sur la suite de l'histoire dela pédagogie car c'est en s'inspirant de lui que l'université française tenta de se rénover.

    Rollin basait l'enseignement secondaire sur les humanités tout en accordant une part aux sciences et à la philosophie, mais l'enseignement religieux conservait malgré tout une place très importante. Les instructions qu'il prodigua à propos de l'enseignement du latin firent longtemps autorité. Elles étaient aussi remarquables que celles qu'il formula à propos de l'étude des textes fançais et dont l'essentiel reste encore valable de nos jours. Rollin fut un des rares pédagogues catholiques du 17ème siècle à préconiser l'éducation publique et à vanter la valeur de l'instruction pour elle-même.

    V. Conclusion

    A la lecture de ce second chapitre, on se rend bien compte que les idées et théories nouvelles n'ont pas encore eu de répercussions importantes sur l'organisation scolaire. En fait,il faudra attendre le 18ème siècle, celui des philosophes éducateurs et de la Révolution française pour que les doctrines éducatives subissent de profondes modifications en Europe.

    Chapitre III : Aperçu de l'éducation physique au 17ème siècle

    I. Introduction

    1. En France, pendant tout le 17ème siècle, pratiquement rien n'est fait en matière d'éducation physique. C'est le siècle de Louis XIV ; on pratique bien l'escrime ; on joue encore à la paume, mais plus avec le même entrain.

    La chevalerie et tous les exercices ont disparu avec l'intervention de la poudre. D'autre part, les nobles suivent l'exemple de Versailles. On ne sait plus que saluer et danser. Jouer à la paume devient fatigant ; on préfère le billard. Chevaucher est pénible ; il est plus confortable de monter en carrosse. Les gens du peuple continuent cependant à jouer au mail, ancêtre du criquet.

    2. C'est pendant cette période que John Locke reprit et essaya de rendre populaire les idées de Montaigne. Il préconisait que, pour réussir convenablement l'éducation intellectuelle des individus, il fallait avant tout leur donner un corps sain, donner une éducation corporelle conforme aux lois de la raison et songer ensuite à la perfection de l'esprit.

    3. Si 17ème siècle fut stérile en éducation physique, à partir de ce moment, apparaissent dans l'histoire de la gymnastique des savants, médecins et philosophes qui font des recherches, qui étudient les exercices et les sports dans leurs rapports avec le corps.

    II. Importance de la santé du corps  

    1. Pour John Locke, il importait surtout de laisser à la nature le soin de former le corps comme elle croyait devoir le faire, et d'aider la nature dans sa tâche en inculquant de bonnes habitudes.

    2. La pédagogie de John Locke recommande l'école de la vie où une bonne éducation doit assurer un esprit bien réglé, capable de raisonner, et où le corps doit être en bonnes dispositions. C'est ainsi qu'il a été attribué à John Locke le privilège d'être l'innovateur de l'éducation physique mais il ne faut pas oublier que les Anglais ont toujours fait beaucoup de cas des bienfaits de l'éducation physique et que, déjà avant Locke, des écrivains en chantaient les louanges.

    3. John Locke était médecin et il se rendit compte que pas mal de familles négligeaient l'hygiène. D'où il en résultait incontestablement un grand nombre d'enfants chétifs, maladifs voire morts. Dans de tels milieux, l'endurcissement du corps devint une condition primordiale de santé et il fallut habituer l'enfant, dès sa naissance, à résister aux causes extérieures et à pratiquer des exercices physiques.

    III. L'éducation physique et les sports

    1. De tous temps, il a toujours été conseillé d'établir un équilibre entre le travail intellectuel et les exercices physiques. C'est ce que John Locke voulut introduire en faisant comprendre que le programme intellectuel devait se compléter par des exercices physiques et esthétiques comme la danse, les armes et l'équitation par exemple.

    2. La danse est l'accomplissement le plus important, et l'on ne peut pas s'y donner trop fort. Pourtant, il faut choisir un bon professeur de danse, un professeur qui connaît à fond son art et qui voit plus loin que ce qu'exigent les politesses de la haute société. En un mot, le professeur de danse connaît son anatomie et exerce judicieusement toutes les parties du corps de son jeune élève pour qu'il soit souple et rythmique dans tous ses mouvements.

    3. La musique est un divertissement, un délassement nécessaire. Quant à l'escrime et à l'équitation, ce sont des exercices physiques surtout salutaires pour ceux qui habitent les grandes villes. Il faut aussi préciser que John Locke ne s'intéressait guère qu'à l'éducation des enfants de la bourgeoisie aisée, ce qui aide à comprendre que les sports pratiqués par les jeunes garçons ne sont accessibles qu'à une minorité de gens.

    IV. Généralités sur la gymnastique

    1. La gymnastique du début du 17ème siècle était plutôt une gymnastique médicale inspirée du traité de Mercurialis "De Arte Gymnasticae", mais il n'est pas possible de fixer une date correspondant au commencement réel de la gymnastique médicale.

    2. L'art de la gymnastique, autrefois estimé, devint obscur et presque anéanti au 17ème siècle. On voulut rendre à la gymnastique son lustre, lui apporter des justifications médicales et préciser les conditions d'exercice. Ceci évoque naturellement les théories de Galien qui se voyaient uniquement médicales. Galien, né à Pergame en Asie mineure en 129 et mort vers 216, était un médecin grec de l'Antiquité qui avait exercé la médecine à Pergame et à Rome où il avait soigné plusieurs empereurs.

    3. La vision de Galien a été rectifiée : la gymnastique est une science. Elle est un art qui concerne une façon de faire, une pratique. La gymnastique médicale est une gymnastique savante qui sait les effets des exercices sur le corps. Mais on n'ose pas toujours affirmer qu'il existe une gymnastique naturelle qui pourrait peut-être être l'agent d'une adaptation du naturalisme galénique en un naturalisme qui infléchira en une direction nouvelle.

    4. Les modifications des conceptions anatomiques et le rôle de la découverte physiologique de Harvey sont les causes principales de la détérioration progressive du galénisme. 

    Tout exercice devient un mouvement entrepris pour sauvegarder sa santé. La distinction entre des exercices actifs et des exercices passifs, qui semblait intéressante, est rejetée. D'autre part, les exercices gymniques sont des bienfaits pour la guérison des différentes maladies. On essaye de détacher de Galien la gymnastique et à en donner une estampille médicale à des exercices nouveaux, modernes, dont la valeur n'avait pu être entrevue ni de Galien ni des Grecs. 

    Les exercices physiques sont représentés par la lutte, la course, le pugilat, la danse, le jet de pierres, disques et javelots. La gymnastique galénique s'est donc trouvée détruite sous sa forme pratique et concrète.

    5. On a découvert que la gymnastique agissait sur la circulation du sang. L'expérience fournit le moyen de contrôler son action et une théorie de la santé permet de comprendre l'importance du mouvement pour la santé. Ceci constituera une gymnastique nouvelle que sera la dissociation de la gymnastique et du galénisme et deviendra ainsi l'iatromécanisme (Doctrine médicale du 17ème siècle qui a eu pour principal représentant François de Le Boë (Sylvius) et qui consistait à expliquer tous les actes vitaux, en santé ou en maladie, par des opérations chimiques : fermentation, distillation, volatilisation, alcalinités, effervescences) qui est essentiellement une façon de considérer le corps humain en le comparant aux machines et par suite d'expliquer son fonctionnement par les lois de la mécanique et de l'hydraulique.

    6. Le mouvement humain, volontaire ou involontaire, est considéré comme un fait dont les médecins qui s'occupent de la gymnastique ne se croient pas tenus de rechercher les causes dont ils n'envisagent que les effets. C'est ainsi que la gymnastique recouvre les deux domaines de l'hygiène et de la thérapeutique.

    V. Conclusion 

    Au 17ème siècle, la gymnastique n'est plus seulement médicale : elle redresse l'ancienne médecine, montre à la médecine des voies nouvelles. Le peu de gymnastique et de sports pratiqués au 17ème siècle en Angleterre sont surtout axés sur la gymnastique médicale. Chaque exercice gymnique a un but médical en ce sens qu'il apprend à maîtriser le corps humain. On insiste beaucoup sur l'hygiène et sur le mouvement.

    Chapitre IV : L'éducation des filles

    I. Généralités

    1. Dans l'Antiquité, Platon, Xénophon et Plutarque s'étaient préoccupés de l'éducation des filles.

    Saint Jérôme avait tracé des règles d'éducation à appliquer dans les couvents. Dans les châteaux, l'éducation féminine était l'objet de beaucoup de soins. Les jeunes filles recevaient une formation littéraire et musicale supérieure à celle des jeunes gens.

    Alors que le Moyen Age ne s'était pour ainsi dire jamais soucié du développement de l'instruction chez les filles, probablement parce que l'Eglise voulait surtout les préserver des tentations du monde, voici qu'au 17ème siècle, et pour la première fois depuis l'Antiquité, l'éducation des filles préoccupe vraiment les théoriciens et les praticiens.

    2. En effet, le 17ème siècle présente cette particularité d'être une époque brillante pour les femmes. Plusieurs femmes se rendirent célèbres comme auteurs et comme institutrices mais elles attirèrent l'attention, prouvant ainsi que l’infériorité intellectuelle dont on les avait accusées n'était nullement fondée.

    Certaines femmes qui fréquentaient les salons et la cour y avaient acquis une instruction suffisamment étendue que pour pouvoir discuter et critiquer les "Pensées" de Pascal et la philosophie de Descartes.

    Mais à côté de ces connaissances qui témoignaient du goût, des lectures et des conversations, l'instruction élémentaire et moyenne dispensée par l'école, faisait défaut. L'orthographe était nulle et la pratique des quatre règles était un luxe.

    3. Les productions littéraires des femmes eurent pour conséquence que même les hommes demandèrent pour elles cette culture jusque-là réservée aux fortes intelligences.

    Ainsi, Poullain de la Barre (1647 - 1723) publia deux ouvrages dans lesquels il montra l'égalité des aptitudes aux sciences et réclama pour les femmes le droit d'exercer les fonctions même les plus élevées dans la magistrature, l'armée et l'enseignement. D'autre part, l'abbé Fleury (1640 - 1723) ne se borna pas à demander de beaux livres et un maître souriant pour que l'étude fût agréable et à préférer le français aux langues anciennes. Dans son "Traité du choix et de la méthode des études", il voulait que les femmes reçoivent une instruction séparée. Il fonda même un "séminaire des sœurs-maîtresses".

    4. L'appel des écrivains profanes et religieux fut entendu. De nombreux ordres de femmes, Sœurs de Notre-dame, Ursulines, ... furent fondés. Leur but principal était l'enseignement. C'est pourquoi des écoles ordinaires pour enfants pauvres et des pensionnats pour jeunes filles riches furent créés et peuplés par la foi profonde qui caractérisait le 17ème siècle.

    5. Situation identique à celle du Moyen Age : seules les écoles religieuses existaient. Les résultats furent cependant peu sensibles étant donné l'insuffisance des maîtresses. Les couvents qui se voyaient confier exclusivement les filles de la noblesse et de la bourgeoisie avaient pour but principal de donner une éducation chrétienne par des pratiques religieuses. En fait ils ne préparaient pas suffisamment la femme à sa mission.

    6. Les classes ouvrières n'avaient pas encore partout la protection ni l'autorité nécessaires à leurs progrès. 

    En Allemagne, seuls les nombreux petits états, souvent rivaux, ont publié des règlements organisant les écoles de filles, mais l'exécution fut incomplète.

    7. Il faut signaler l'existence de deux établissements remarquables : Port-Royal et Saint-Cyr.

    Le premier avait bien compris et réalisé le but que l'école doit se  proposer, mais son règlement fut si sévère qu'il rendit l'éducation trop sombre. Saint-Cyr, c'était l'école laïque créée par Madame de Maintenon. Cette école dépassa toutes les autres par l'étendue de son programme et la supériorité de ses méthodes.

    II. Fénelon

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. François de Salignac de la Mothe Fénelon naquit en Dordogne en 1651. Issu d'une famille de la haute noblesse du Périgord, il fit ses études chez les Jésuites, entra dans les ordres et devint archevêque de cambrai en 1695 à la demande du duc et de la duchesse de Cambrai. C'est en 1687 qu'il révéla ses qualités de pédagogue dans son "Traité de l'Education des Filles". Il était le précepteur des huit filles de la duchesse de Beauvilliers. Il devint aussi précepteur du duc de Bourgogne dont il parvint à amadouer le caractère emporté. C'est pour ce dernier qu'il écrivit les "Fables", les "Dialogues des Morts et des Vivants" et son "Télémaque".

    2. Il subit l'influence du quiétisme, doctrine selon laquelle l'âme arrivée à la contemplation complète de Dieu est dans un état de calme et de quiétude absolue. venue d'Espagne et introduite en France par Madame de Guyon, cette doctrine fut condamnée par Rome. Fénelon tenta de la défendre habilement dans ses œuvres mais se brouilla avec Bossuet et finit par être lui-même condamné par Rome. il mourut en exil à Cambrai en 1715. 

    3. Les idées de Fénelon sont toutes marquées de bon sens et d'esprit de finesse.

    Il faut prendre l'enfant tel qu'il est, avec ses bons et ses mauvais penchants. cette idée s'oppose à celles de Rabelais et des Jansénistes. Fénelon accorde une grande importance aux soins physiques et à la nourriture des enfants. L'éducation doit donc commencer dès le premier âge, suivre et non devancer le développement naturel.

    Il faut lutter contre les mauvais penchants avec discernement et avec des moyens naturels : l'amour-propre, les éloges et l'émulation. Fénelon veut que l'on rende l'éducation attrayante et que l'instruction ait recours à la curiosité, au jeu et à la raison. De nos jours on dirait qu'il faut répondre aux questions des enfants et se préoccuper de leurs intérêts.

    4. Le "Traité de l'Education des Filles" comprend treize chapitres. L'auteur y montre que l'éducation des femmes doit être en rapport avec leurs fonctions. La femme doit apprendre à lire et à écrire. L'histoire est utile comme l'arithmétique. Il rejette l'initiation à la peinture et à la musique car ces disciplines ne contribuent pas à l'endurcissement.

    5. Le programme de Fénelon était audacieux pour l'époque.

    En ce qui concerne l'éducation des filles, il faisait figure de novateur. Fénelon fut le premier à avoir donné des directives aussi précises pour éduquer les filles en tenant compte de la psychologie de l'enfant. Fénelon attribuait aux femmes une fonction domestique. Il estimait en effet que la femme a un ménage à tenir, un mari à rendre heureux et des enfants à élever. Malgré cela, il considérait cependant la jeune fille dans sa personne et sa valeur humaine, se préoccupa de son instruction et d sa culture intellectuelle.

    6. Malgré ses largeurs de vue, Fénelon nourrit encore bien des préjugés en ce qui concerne l'instruction des femmes. Son plan d'études est insuffisant : lecture, écriture, grammaire, histoire et puériculture mais les sciences sont proscrites. Il n'en reste que Fénelon a défendu la cause des femmes et a su proposer une pédagogie aimable et souriante.

    III. Madame de Maintenon

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Née demoiselle d'Aubigné, elle épousa le poète Scarron. Devenue veuve à vingt-cinq ans, elle fut chargée de l'éducation des enfants de Louis XIV et de Madame de Montespan. Elle possédait de naissance les qualités qui assurent le succès d'une bonne institutrice et  avait tout ce qui attire l'élève et l'attache.

    Le grand mérite de Madame de Maintenon (1635 - 1719) est d'avoir été le premier chef d'établissement pour jeunes filles. En effet, elle fonda en 1686 un pensionnat pour 250 jeunes filles nobles mais pauvres à Saint-Cyr. C'est par la direction qu'elle sut y imprimer que lui revint le titre de "première institutrice laïque de France".

    2. Madame de Maintenon, qui épousa secrètement Louis XIV, n'a pas écrit d’œuvres marquantes. On la connaît surtout par la correspondance qu'elle a laissée : des "Lettres" adressées aux élèves et aux professeurs de Saint-Cyr, des "Entretiens" recueillis par des élèves ou ses collaborateurs, des "Conseils" aux "Demoiselles qui entrent dans le monde".

    3. Son rôle pédagogique apparaît donc dans la direction de l'institution de Saint-Cyr, premier grand établissement séculier pour l'éducation laïque des jeunes filles. On y élevait gratuitement jusqu'à vingt ans les jeunes filles pauvres de la noblesse. Ce n'est donc pas un couvent. Madame de Maintenon voulut y faire passer les idées de l'Abbé Fleury et celle de Fénelon dans la réalité.

    4. Au moment de  sa publication, le livre de Fénelon parut très libéral. Et, puisque à Saint-Cyr les idées de Fénelon furent mises en pratique, l'esprit de la maison fut, jusqu'en 1692, très libéral également et tolérant. Les élèves étaient les actrices de pièces telles que Andromaque et Esther. On s'efforçait de rendre leurs études attrayantes.

    5. Madame de Maintenon avait trop de jugement pour ne pas apercevoir les défauts de cette brillante éducation, inconciliable avec  l'existence modeste qui attendait les jeunes filles sans fortune.

    Les idées et les habitudes ne les préparaient pas à devenir des mères de famille ni des femmes chrétiennes. Le monde ne tarda pas à décevoir la directrice. Les jeunes filles songeaient davantage aux plaisirs du monde qu'à ceux du ciel. Madame de Maintenon fit alors une réforme complète. L'école fut transformée en couvent. La vie facile fit place à un internat sévère.

    6. Tandis que l'éducation réelle, auparavant faible, devenait le but principal, l'instruction eut par contre un rôle plus modeste. On initia les pensionnaires aux travaux manuels, aux soins domestiques. La vie y devint simple et bien réglée : lectures édifiantes, écriture, comptage et jeux d'esprit formaient le jugement et la réflexion. On y forma de modestes bourgeoises et non de grandes intellectuelles mondaines. 

    7. Ainsi, au cours de cette seconde période, cette institution donna une éducation perspicace, évitant des excès, une formation trop poussée, une dévotion exagérée. On y apprenait surtout à tenir une maison et à se former l'esprit convenablement. mais le programme ainsi réduit restait cependant supérieur à celui de tous les couvents du 17ème siècle. En 1692, l'institution de Saint-Cyr devint un monastère régulier. Les dames séculières durent prendre le voile. L'oeuvre subsista jusqu'à la révolution de 1789. 

    8. Se soldant finalement par un bilan relativement modeste, l'oeuvre de Madame de Maintenon a influencé la conception qu'on s'est faite sur l'éducation des filles en France. Beaucoup de ses idées furent reprises par la révolution et l'Empire.

    Cette union de la formation morale et de la formation ménagère, orientées vers la fondation d'un foyer, vers la vie de famille, reste encore actuellement l'idéal pédagogique de toute une classe sociale. 

    IV. Rollin

     * Titre VI - L'éducation au 17ème siècle1. Comme l'avait fait Fénelon, Rollin (1661 - 1741) accorda une extrême importance à l'éducation des femmes. 

    Bon pédagogue, quoique très libéral, homme d'église, Rollin ne concevait pas de programme éducatif sans instruction religieuse. Rollin est l'un des rares auteurs du 17ème siècle partisans de l'éducation publique. Déclarant l'éducation particulière chimérique, Rollin fut l'un des premiers pédagogues ecclésiastiques à vanter la valeur de l'instruction pour elle-même. Il souhaitait que tous en profitent car il était convaincu qu'elle facilite la recherche de la vérité. 

    2. Auteur du "Traité des études", Rollin confie, comme Fénelon, l'éducation des filles à la mère dont la prudence peut éviter la rigueur qui excite les désirs et la faiblesse qui les favorise. Il prévoyait les mêmes soins pour les garçons et pour les filles jusqu'à l'âge de sept ans. Passé cet âge, les études devaient différer car il considérait que la condition de la femme était simplement autre. 

    3. Rollin estimait suffisante la connaissance des soins domestiques, insistait particulièrement sur la science du ménage, les achats, la préparation des repas et la tenue de la maison. Rollin insistait aussi beaucoup sur les travaux manuels qui s'adressent à la fois à l'esprit et au corps. Ces études utilitaires devaient être complétées par l'acquisition de connaissances géographiques et historiques (histoire sainte, histoire ancienne et histoire nationale). Rollin condamnait la poésie, la musique et la danse ne voyant dans ces arts que les dangers résultant de l'excès. 

    Chapitre V : La Belgique au 17ème siècle

    Le 17ème siècle fut une époque de troubles continuels. Alors que nos pays voisins renouvelaient leurs écoles et que les esprits s'adonnaient aux sciences avec toujours plus d'ardeur, la Belgique, qui était loin de participer à ce mouvement, perdait le peu qui avait été réalisé ou, tout au moins, restait stationnaire. Cette situation lamentable était en fait la conséquence des évènements politiques.

    Le début du 17ème siècle avait cependant été plein de promesses : en effet, grâce à la "trêve de douze ans", les arts et les sciences avaient refleuri ; les Belges s'étaient rendus célèbres dans toutes les branches de l'activité humaine. Mais cet éclat fut passager. Examinons la situation de l'enseignement à cette époque.

    I. L'enseignement supérieur

    1. L'Université de Louvain profitait de la gloire de ses anciens professeurs, même disparus. Le nombre d'élèves était si important qu'il fallut créer de nouveaux collèges. L'apparition du "Traité de la méthode" de Descartes et d'autres œuvres de ce même philosophe suscita, dans l'université et dans les cloîtres, une vie intellectuelle très active bien qu'elle fut restreinte aux privilégiés. 

    2. De nombreux écrits pour ou contre les nouvelles théories furent publiés. Descartes lui-même soutint la lutte par les nombreuses lettres qu'il adressa à ses principaux adversaires. Grâce à ses prérogatives, l'université discutait avec une plus grande liberté que les collèges de France. Partisans et adversaires des doctrines d'Aristote et de Descartes s'y livraient à de multiples discussions. 

    II. L'enseignement moyen

    1. Les Jésuites étaient arrivés en Belgique au siècle dernier et avaient été attirés à Louvain par l'importance des écoles. Ils y avaient fondé un collège puis s'étaient établis dans différentes villes du pays. 

    2. La renommée de leurs internats attirait une foule d'élèves au point que l'université, jalouse de leur succès, invoqua ses anciens privilèges qui lui conféraient l'enseignement exclusif de la théologie. 

    3. En 1624, Philippe IV interdit aux Jésuites d'inclure cette branche dans leur programme mais cette interdiction n'arrêta pas leurs progrès. Les pères Jésuites éclipsaient complètement les Oratoriens qui avaient créé quelques rares établissements.

    III. L'enseignement primaire

    1. Par rapport aux deux degrés précédents, l'enseignement primaire connaissait une situation beaucoup moins favorable.

    2. L'autorité spirituelle avait prié les magistrats et les autorités locales de veiller à l'exécution de ses ordres. Mais les décrets n'étaient pas observés. Ceux-ci ne répondaient déjà plus aux efforts et aux progrès des pays voisins.

    3. Les Conciles de Malines et de Namur (1607 et 1626) avaient renouvelé l'obligation d'instituer partout des écoles dominicales. Ils ordonnaient aux parents, riches comme pauvres, d'y envoyer leurs enfants et leurs domestiques. Ils avaient prescrit la séparation des sexes. L'éducation des garçons était confiée à des hommes et celle des filles à des femmes. Dans la plupart de ces écoles, les maîtres ignorants apprenaient à lire, à écrire, à prier et à servir la messe. Seules quelques institutions privées dépassaient le programme imposé. Loin de dispenser une instruction primaire sérieuse, elles débordaient sur le programme des collèges en enseignant déjà le latin, des éléments de grec et le chant grégorien. 

    4. Il est impossible de rendre populaire et fécond un enseignement aussi imparfait. Aux côtés de la classe élevée, brillante par l'éducation qu'elle avait reçue dans les collèges des Jésuites, le peuple qui était rempli de qualités mais impuissant à en tirer quelque profit, vivait superstitieux et ignorant.

     Lien URL avec le Titre VII : "L'éducation au 18ème siècle"

     

    Bibliographie partielle du Titre VI

    Bovet P. - Jean Amos Comenius, un patriote cosmopolite - Genève, Rosello, 1943

    Compayré G. - Histoire critique des doctrines de l'éducation - Tome I (5ème édition) - Paris, Hachette, 1885

    De Hovre - Le catholicisme, ses pédagogues, sa pédagogie - Bruxelles, Standaard Boekhandel, 1930

    Descartes R. -  Discours de la méthode - Paris, Garnier-Flammarion, 1966

    Locke J. - Pensées sur l'éducation - Paris, Librairie philosophique, J. Vrin, 1966

    Mallinson V. - John Locke - in "Les grands pédagogues" (Jean Duchâteau) - Paris, P.U.F., 1969

    Meyberger A. - Jean Amos Comenius, sa vie et son oeuvre d'éducateur - Paris, Honoré Champion, 1928

    Mousnier R. - Les 16ème et 17ème siècles - Tome IV de l'histoire générale des civilisations - Paris, P.U.F., 1967

    Pire G. - Regards sur la vie et l'oeuvre de Jean Amos Comenius - Paedagogica Historica, Tome X, pages 566 - 588

    Renault J. - Les idées pédagogiques de Fénelon - Paris, Lethielleux, 1922

    Rodis-Lewis Geneviève - Descartes et le rationalisme - Paris, P.U.F., Que sais-je ?, 1970

    Snyders G. - La pédagogie en France aux 17ème et 18ème siècles - Paris, P.U.F., 1965

     


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  • Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles

    Chapitre I : La Renaissance, phénomène européen

    I. Importance du 16ème siècle

    1. Le 16ème siècle est considéré comme l'un des plus importants dans l'histoire de la pédagogie. Avec lui commence une période nouvelle pour l'éducation. Les idées pédagogiques nées au 16ème siècle se sont opposées à l'éducation rigoriste et étroite du Moyen Age. L'idéal pédagogique qui a prévalu du 16ème au 18ème siècle et qui survit toujours actuellement aux côtés de tendances nouvelles, c'est la culture classique.

    2. Jusqu'au 16ème siècle, l'évolution pédagogique s'était opérée d'une manière anonyme, impersonnelle. A partir du 16ème siècle, on vit apparaître des systèmes d'éducation créés de toutes pièces par des penseurs. Mais ces doctrines nouvelles ne sont passées dans la pratique que très lentement et en fonction des progrès du temps.

    3. La religion chrétienne continuait à inspirer et à régir la vie. La confiance en la raison, qui s'affirmait de plus en plus, n'était qu'un élargissement du rationalisme scolastique qui s'épuisait à la justification du dogme. Mais tandis que la religion restait l'ordonnatrice de la vie, une nouvelle attitude prit forme : essayer d'établir la vérité de notre point de vue humain, le seul qui nous soit accessible. C'est ainsi que s'opéra une scission entre les études qui forment l'homme et la science théologique.

    4. Le 16ème siècle fut aussi le siècle de la grande crise chrétienne. La Renaissance allemande fut hostile à l'Eglise catholique, non à la religion. Ce furent les réformes de Luther. Avec les Jésuites se développa un catholicisme revigoré qui s'opposa au protestantisme.

    II. Caractéristiques de la Renaissance

    1. A l'aube du 16ème siècle, on était sorti de l'insécurité générale de la vie moyenâgeuse où l'esprit d'entreprise était paralysé, où l'étroitesse des marchés étouffait les grandes ambitions mais où la simplicité des besoins permettait aux hommes de vivre en harmonie avec le milieu.

    2. Les principaux catalyseurs de ce phénomène furent, d'une part, les grandes découvertes géographiques qui bouleversèrent les conceptions que l'on avait du monde ; d'autre part, l'invention de l'imprimerie, premier véritable moyen de diffusion de la pensée ; le développement économique, les Croisades et l'exode des savants fuyant Byzance qui permirent à l'Occident d'entrer en contact direct avec l'Orient.

    3. L'engouement pour l'antiquité grecque et latine se manifesta d'abord en Italie (Dante, Boccace, Pétrarque, Victorin de Feltre et Léonard de Vinci notamment), puis franchit les Alpes et se répandit en Europe occidentale. Mais cette Renaissance n'avait pris des anciens que le côté secondaire et le haut degré atteint dès le début laissait prévoir une décadence peu éloignée.

    4. Partie d'Italie dès le 14ème siècle, la Renaissance, devenue un véritable phénomène européen, fut une époque de transition : d'une part, elle discuta l'oeuvre de la scolastique, elle la combattit et la rejeta sur plusieurs points ; d'autre part, elle élabora les matériaux nouveaux qui permirent d'élever l'édifice moderne.

    5. Parti d'Oxford avec Roger Bacon (1214 - 1292), un mouvement positiviste développa l'idée d'une science purement expérimentale et mathématique, fondée en démonstrations rigoureuses. Cette idée d'une science expérimentale a déterminé la dissolution de la scolastique. Dès la fin du 16ème siècle, l'aristotélisme fut jugé et condamné. L'expérimentalisme devint le seul refuge contre l'ignorance et le scepticisme. Quelques acquisitions riches d'avenir ont été réalisées dans ce courant de pensée : Copernic défendit la conception héliocentrique reprise par Galilée ; Vésale fonda l'anatomie ; Ambroise paré, la chirurgie. C'était une première renaissance scientifique, réaliste et positive.

    6. Dès lors, le champ des études s'élargit considérablement. Les branches d'enseignement se perfectionnèrent et se transformèrent, mais elles s'augmentèrent d'études nouvelles : la nature entra dans le domaine de la science.

    7. L'école primaire, dans le sens moderne du terme, s'est fondée, grâce notamment aux possibilités que lui apporta l'invention de l'imprimerie. Erasme, Vivès, Rabelais, Montaigne, Luther et les Jésuites ont déployé les plus grands efforts pour diffuser, chacun à un point  de vue particulier, les bienfaits de l'instruction. Progressivement, l'enseignement de l'Eglise, basé sur la Bible et les Pères, va être suppléé par les études classiques qui finiront par tout envahir.

    Chapitre II : Les courants pédagogiques nouveaux

    Introduction

    1. La Renaissance fait suite au renouveau des 12ème et 13ème siècles. Elle se traduit principalement par une accélération et une intensification des changements politiques, sociaux, économiques, intellectuels et religieux qui vont dans le sens d'une laïcisation grandissante.

    2. Vers le milieu du 15ème siècle, la scolastique dans les sciences, les genres traditionnels en littérature conservaient encore une domination incontestable, mais à la fin du 15ème siècle, la Renaissance commença à s'imposer. Jusqu'au début du 16ème siècle, nous assistons à la naissance d'un monde nouveau qui se retourne contre le passé et qui considère l'Antiquité comme une force libératrice en face de l'éducation cléricale, latine et scolastique.

    3. Dès lors, des courants nouveaux ont modifié l'esprit de l'enseignement :

    • Le courant humaniste, qui dérive directement de la renaissance des lettres, est un courant théorique, marqué par les noms de Rabelais, Montaigne et Érasme. L'humanisme tourne les esprits vers le culte de l'Antiquité et de la beauté. Il se manifeste dans la littérature et les arts plastiques où prédominent des admirations nouvelles.
    • Le courant protestant, né de la scission qui s'est produite au sein de l'Eglise catholique, est un courant pratique représenté par Luther et Mélanchton sur le plan pédagogique. Depuis longtemps, un immense besoin de réforme s'était fait sentir dans l'Eglise. Cette réforme se fit longtemps attendre. C'est pourquoi on assista aux révoltes contre Rome : Luther en Allemagne, Calvin en France, Zwingli en Suisse, Cromwell en Angleterre et Knox en Ecosse.
    • Le courant catholique, dirigé contre le développement du protestantisme est également un courant pratique qui fit suite au Concile de Trente auquel se rattache le nom des Jésuites et des Oratoriens, sans oublier celui des Carmélites.

    I. Le courant humaniste

    Représenté essentiellement par Érasme, Vivès, Rabelais et Montaigne en France, c'est un courant basé sur la connaissance des langues et de la pensée antiques. Nous en développons d'abord les principales caractéristiques.

    La pédagogie humaniste est théorique ; elle est définie non par les hommes d'enseignement, mais par des lettrés, philosophes et penseurs. Marquée par un nouvel intérêt pour les lettres et la philosophie, elle suscite l'intérêt pour l'enseignement et la réflexion pédagogique. Elle est agressive dans la mesure où certains pédagogues attaquent la scolastique avec rigueur. Elle est positive, c'est-à-dire qu'elle ne se borne pas à combattre et à détruire ; elle introduit en pédagogie des nouveaux principes : la formation de l'homme par l'étude de l'Antiquité grecque et latine. La pédagogie humaniste est intellectuelle, c'est-à-dire qu'elle assigne pour but la formation de l'intelligence. Le courant humaniste remet en honneur l'éducation physique.

    II. Le courant humaniste en Italie

    C'est dans les républiques turbulentes et superbes de Venise, Gênes et Pise, notamment, que l'humanisme et la Renaissance se sont développés, ont rayonné vers les Pays-Bas, la France et l'Allemagne.

    A. Victorin de Feltre (1378 - 1446)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. Directeur de l'école du palais chez le marquis de Gonzague à Mantoue, Vittorio de Rambaldoni, dit Victorin de Feltre, fut un pédagogue admirable, un maître complet.

    2. Il remit en honneur les exercices physiques, la gymnastique, la vie un peu rude qui endurcit. Suivant les conseils de Quintilien, Victorin de Feltre chercha à rendre son enseignement intuitif et intéressant. Il désirait connaître des élèves, leur hérédité et leur milieu, leurs différences individuelles, accorder un soin spécial aux plus faibles. Préparant soigneusement ses leçons, il exigeait une grande attention, beaucoup de soin dans les devoirs écrits qu'il corrigeait minutieusement.

    3. Victorin de Feltre donnait une remarquable éducation morale. Il tenait beaucoup à la bienséance, aux bonnes manières, à la tenue distinguée et à la langue châtiée.

    4. Victorin de Feltre n'a rien écrit. Mais cet éducateur savant, dévoué, d'origine modeste et qui mourut pauvre, fut à juste titre, appelé le plus grand pédagogue de la Renaissance italienne.

    B. Jacques Sadolet (1477 - 1547)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. Né à Modène, théologien, philosophe, poète, diplomate, évêque de Carpentras, cardinal et même conseiller à la Curie, Jacques Sadolet écrivit un traité d'éducation dans lequel il se montrait un disciple de l'Antiquité.

    2. Humaniste profond, il y souligna la nécessité de façonner le caractère dès l'âge le plus tendre, par l'exemple et la discipline fondée sur la raison. Il fondait cependant l'éducation morale sur la crainte de Dieu.

    3. Sadolet recommandait l'étude des humanités, favorisant le latin et le grec, excluant l'apprentissage de la langue maternelle. La grammaire, la poésie, la rhétorique, l'arithmétique, la logique et le chant associé à la gymnastique constituaient l'essentiel de son programme d'éducation dont le couronnement était la philosophie.

    III. Le courant humaniste en Belgique

    A. Érasme (1467 - 1536)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. Didier Érasme naquit à Rotterdam et fit ses études chez les Frères de la Vie Commune. Souffrant trop de la discipline de l'école, il quitta le cloître pour se consacrer à l'étude ou à la propagation des auteurs anciens. Il fonda le Collège des Trois Langues à Louvain en 1517. François 1er s'en inspira pour créer le Collège des Lecteurs royaux en 1530. Il voyagea dans les grandes villes européennes pour s'établir finalement à Bâle où il mourut en 1536.

    2. Érasme est un sceptique railleur, auteur de "L’Éloge de la Folie". Il écrivit également divers manuels pédagogiques en latin. "Première éducation libérale des enfants" et "Civilité des mœurs puériles" s'adressent à la pédagogie pour les petits mais traite de l'éducation dans son ensemble. "Les Colloques", "Manière de faire les études" et "Manière d'écrire les lettres" concernent les études des plus grands, tandis que "Raison des études" est un recueil de conseils relatifs à l'éducation littéraire.

    3. Comme Quintilien, Érasme trouvait que l'éducation devait commencer dès le plus jeune âge. Entre trois et cinq ans, l'instruction doit surtout se faire par les yeux, afin de développer l'esprit d'observation. A sept ans commencent les études plus sérieuses - mais modérées - qui n'embrassent que les choses attrayantes, divertissantes et peu compliquées.

    4. A cause du nombre élevé d'enfants dans les classes - quelquefois deux cents - Érasme préférait l'éducation privée pour le petit enfant.

    5. Érasme favorisa les classiques - latins et grecs - en donnant les notions de mathématique, d'histoire, de géographie et de sciences qui servent à expliquer les textes. 

    6. Il blâmait l'étude étroite, l'imitation servile d'un seul écrivain - et notamment Cicéron - et prôna l'étude des meilleurs auteurs. ce n'est qu'au contact de toutes les pensées bonnes et justes que l'on peut former sa pensée et son style. recommandant la douceur dans l'éducation, il condamnait les châtiments corporels.

    7. Il considérait l'éducation des femmes comme une nécessité. Celles-ci devaient choisir des métiers typiquement féminins et acquérir des notions de puériculture.

    8. Érasme, qui tenait aussi pour impérative la qualification des maîtres, considérait l'instruction comme un moyen au service de la formation de l'esprit et la limitait aux disciplines les plus éducatives, essentiellement littéraires. Considérées comme base de toute éducation, elles cultivaient le sens critique, la raison et le goût de la liberté d'esprit. Érasme souhaitait que l'on rende l'esprit élégant et brillant, mais le goût de la politesse était pour lui l'un des buts principaux de l'éducation.

    9. Dans le système éducatif proposé par Érasme, l'émulation devint le moteur d'une humanité libre et active dont l'Antiquité reste le modèle permanent.

    B. Jean-Louis Vivès (1492 - 1540)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. Jean-Louis Vivès naquit à Valence mais passa une grande partie de sa vie en Belgique et, notamment à Louvain, où il ouvrit des cours publics très suivis et très renommés. Toute sa vie, il se voua à la culture et rechercha honnêtement la vérité.  

    2. Il prôna des procédés empiriques, une méthode inductive, le développement de l'esprit d'observation, la conversation et la discussion, une pédagogie ouverte sur la vie. Dans ses méthodes, le maître devait recourir à ce qui pouvait plaire et soutenir l'attention. Dans ses leçons, il devait donner des explications claires et précises.

    3. Jean-Louis Vivès considérait l'éducation linguistique - style et grammaire - comme primordiale. Il préconisait aussi l'enseignement de l'histoire, des sciences naturelles, de l'éducation physique, des travaux manuels et d'un peu de mathématique. Pour lui, l'école devait être un endroit salutaire, tranquille où la discipline devait être douce. L'éducation populaire était nécessaire et complémentaire à l'éducation aristocratique.

    4. Plusieurs idées actuelles trouvent leur origine dans les œuvres de Vivès. Ainsi, l'évaluation d'un élève devrait se faire en comparant ses productions scolaires à des époques différentes. L'enseignement devrait être individualisé. Les professeurs devraient se réunir régulièrement pour suivre les progrès des élèves.

    5. Comme Érasme, Jean-Louis Vivès a souligné la nécessité de bien former les maîtres et a avancé l'idée de cette formation par l'Etat et leur rétribution par ce dernier.

    IV. Le courant humaniste en France

    A. François Rabelais (1494 - 1553)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. François Rabelais naquit à Chinon en 1494. Il fut éduqué selon les méthodes scolastiques chez les Franciscains mais, en opposition avec les prescriptions trop rigides de l'ordre, il quitta la vie monastique pour aller à Montpellier où il étudia la médecine. Il voyagea à travers toute l'Italie avant d'être nommé curé à Meudon où il mourut en 1553.

    2. Principalement connu pour son ouvrage "La vie de Gargantua et de Pantagruel", François Rabelais était surtout un érudit qui embrassait à la fois les langues mortes et vivantes, les sciences naturelles, la théologie, la médecine, le droit, la philosophie et la littérature.

    3. Croyant à la bonté foncière de la nature, il considérait comme haïssables tout ce qui freine le libre épanouissement, toutes les formes de contraintes dans la société et en éducation.

    4. Son but était de remettre les lettres, les sciences et les arts en honneur. Son programme comprenait toutes les langues et littératures, les sciences naturelles, l'arithmétique, la géométrie, le droit civil, l'éducation physique, la musique, l'éducation morale et religieuse. Désirant former un être affranchi de toutes contraintes, il prôna la culture intégrale du corps et de l'esprit.

    5. Le premier soin du maître est d'étudier le caractère de l'élève et de jauger ainsi ses capacités. Pour le corriger - et ainsi mieux le guider - il faut connaître ses défauts.

    6. Rabelais préconisait une éducation attrayante et un enseignement actif : rejetant la méthode déductive et les hypothèses chimériques, il recourait à l'induction. Il prônait l'étude du milieu, incitait à faire des excursions scolaires et des "leçons de choses" à l'occasion des repas et des promenades.

    7. Opposé à toute autorité, au lieu de corriger, Rabelais recommandait d'encourager ; au lieu de règles qui comprimaient l'enfant, il voulait la liberté qui amène le développement harmonieux de toutes les facultés.

    8. Ennemi des collèges et de tout ce qui est tradition, Rabelais confiait son élève à un précepteur possédant une formation complète et encyclopédique. Il refusait l'éducation populaire et prônait une éducation aristocratique, contrairement à ce que Vivès proposait.

    B. Michel Eyquem de Montaigne (1553 - 1592)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. C'est dans les "Essais" que Montaigne a traité de l'éducation des enfants. Il reprochait à la plupart des maîtres leur prétention de faire et de savoir mieux que tous. Il confiait la première éducation aux nourrices et non à la mère car il craignait que l'amour maternel n'arrêtât la correction nécessaire, ne rendît l'enfant faible, opposé aux exercices et à l'effort.

    2. Comme il n'appréciait guère la vie de collège - trop dure - et la vie de famille - trop faible - il recourait à à l'éducation privée et confiait l'enfant  à un précepteur. Celui-ci devait guider et soutenir constamment son élève en tenant compte de ses aptitudes.

    3. Montaigne voulait former des hommes à l’intelligence ouverte, des cœurs sensibles, capables d'aimer tout ce qui est digne de l'être, des consciences droites et des caractères fermes. C'est lui qui exprima le but de l'éducation par le célèbre slogan : "la tête bien faite plutôt que bien pleine". Savoir n'est rien, s'assimiler et tirer parti est tout.

    4. Son programme diffère beaucoup de celui de Rabelais qui demandait tout et imposait un travail énorme. Montaigne se bornait à l'utile car trop de connaissances empêche le cerveau d'en profiter. Il recommandait la langue maternelle d'abord, les langues anciennes ensuite. Il attribuait un rôle important à l'histoire qui développe le jugement et la raison. Il accordait de l'importance à l'éducation morale pratique ; confiant dans la force et la moralité de son élève, il n'avait pas peur de lui montrer le monde avec ses vices et ses excès. Il reconnaissait l'influence que l'éducation physique exerce sur l'esprit ; il recommandait d'accorder beaucoup plus d'importance aux jeux et aux exercices : la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse et le maniement des armes devraient alterner avec les activités intellectuelles. Il réclamait une formation équilibrée : physique, intellectuelle et morale. Sur le plan méthodologique, Montaigne préconisait un enseignement actif et attrayant.

    5. C'est donc une éducation par la vie, pour la vie qui se base sur l'expérience, développe l'esprit d'observation et l'intuition, éveille l'intérêt et la curiosité. Recommandant les voyages qui forment l'esprit, Montaigne préconisa l'étude raisonnée et non littérale qui est insuffisante. Pour lui, il faut combiner le contact avec la vie et l'enseignement livresque, le résumé élaboré par l'élève et celui rédigé par le maître. Quant à la discipline des écoles, il la trouve inhumaine. Ainsi, il condamne la violence et réclame une sévère douceur : "une main de fer dans un gant de velours".

    V. La Réforme et le courant protestant

    A. Généralités

    Cette réforme est définie comme un mouvement religieux et politique qui, au début du 16ème siècle, a soustrait la moitié de l'Europe centrale et septentrionale à l'obédience des papes. Elle eut pour instigateur Martin Luther. L'individu ne se soumet plus intellectuellement aux autorités religieuses ; il doit lire la Bible et l'interpréter lui-même. Le courant protestant soulève ainsi le problème de l'éducation de la masse, et surtout de l'enseignement primaire.

    B. Caractéristiques

    1. Point de vue religieux

    Un des principes de la réforme est la lecture des livres saints. Or, cette étude requérait un minimum de connaissances.

    2. Point de vue civil

    L'enseignement devient la "chose" de l'Etat. Tandis que les autorités catholiques sont assez organisées et assez riches pour assumer les charges de leur enseignement, les autorités protestantes sont récentes, peu puissantes et pauvres, d'où la tendance à déférer aux autorités civiles les charges de l'enseignement.

    3. Point de vue démocratique

    Les protestants ont posé le principe de l'école primaire, mais ces écoles élémentaires se développent essentiellement en Allemagne, au Danemark et en Suède. On y étudie la langue maternelle et le chant qui s'associent à la lecture de la Bible, et à celle du catéchisme de Luther ; on y lit les fables d’Ésope traduites par Luther ; de plus, on y étudie l'arithmétique et l'histoire ; on y pratique l'éducation physique et l'éducation civique.

    4. Point de vue réaliste

    L'éducation prévue par les protestants pour tout le monde s'oppose à la pédagogie humaniste qui reste une pédagogie de l'élite.


    C. Martin Luther (1483 - 1540)

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. Entré dans l'ordre des Augustins, nommé professeur à l'université de Wittemberg, Martin Luther fut élevé au grade de docteur en théologie. Il fut notamment envoyé en mission à Rome. Après avoir été excommunié pour s'être élevé contre le trafic des indulgences, il se jeta dans la lutte religieuse qui a créé le protestantisme.

    2. Ses principaux écrits sont : "Lettre à la noblesse allemande", "Lettre aux conseillers des villes d'Allemagne pour les engager à fonder des écoles chrétiennes" et "Le grand et le petit catéchisme" qui est une traduction de la Bible en langue allemande. Il a prononcé des sermons sur la nécessité de mettre l'enfant à l'école.

    3. Son but était d'instruire la grande masse du peuple pour lui permettre de lire la Bible en langue allemande et de connaître les Saintes Écritures. Il critiqua l'enseignement des universités où la scolastique et Aristote régnaient encore en maîtres au détriment de l'instruction générale. D'Aristote, il conserva la logique, la rhétorique et la poétique, mais il rejeta la physique, la métaphysique, l'éthique et l'histoire naturelle qui sont remplacées par l'étude de la langue hébraïque, des mathématiques et de l'histoire.

    4. Martin Luther créa deux type d'écoles. Dans les écoles élémentaires, les élèves apprenaient la langue maternelle préparant à la lecture dans la Bible, l'écriture, l'arithmétique, la religion, le chant et la musique. Ces écoles étaient très nombreuses, pourvues de maîtres bien formés et dotées de manuels nécessaires. Dans les écoles secondaires qui les préparaient à l'université, les élèves s'attachaient à la grammaire latine, traduisant les auteurs latins et s'exerçaient à la vérification, à la dialectique et à la rhétorique.

    5. Luther prôna l'obéissance dans la famille et à l'école mais il blâma les moyens violents qui provoquent le découragement et rendent l'enfant craintif. Néanmoins, les châtiments corporels n'étaient pas supprimés, mais réservés aux fautes graves.

    6. Le grand mérite de Martin Luther est d'avoir montré la nécessité de l'instruction, d'avoir couvert l'Allemagne d'écoles atteignant toutes les couches de la population et d'avoir assuré la formation et l'existence matérielle des maîtres.

    VI. La Contre-Réforme et le courant catholique

    A. Généralités

    1. Si les écoles élémentaires se développent en Allemagne sous la poussée de Luther et de ses disciples, il n'en est pas de même en France où le catholicisme domine.

    2. Ainsi, face à la Réforme, l'Eglise catholique fait un effort considérable du purification : c'est la Contre-Réforme.

    3. Comme le roi veut imposer son unité de foi, il se crée de nombreux ordres enseignants. le courant catholique est représenté par les Jésuites, les Oratoriens, les Jansénistes et les Frères des Ecoles chrétiennes.

    B. La pédagogie des Jésuites

    1. Ce courant pédagogique a débuté en 1534 lors de la fondation de la Compagnie de Jésus par Ignace de Loyola. Il importait d'arrêter la Réforme, de ramener au catholicisme les hérétiques, de lutter contre les écoles dont les méthodes nouvelles assuraient le succès.

    2. Les principes de base de leur pédagogie sont contenus dans un ouvrage fondamental, le "Ratio studiorum" qui, d'une part, commente le but de l'éducation et les moyens auxquels il faut recourir pour éduquer et pour instruire et qui, d'autre part, développe les idées et les procédés à suivre dans l'enseignement.

    3. Les buts poursuivis par les Jésuites sont essentiellement religieux. Ils veulent renforcer la papauté et défendre la foi catholique. Pour ce faire, leur enseignement s'adresse presque exclusivement aux classes privilégiées. En effet, en donnant à celles-ci un bagage indispensable de connaissances littéraires ainsi qu'un esprit de soumission qui associe la religion à l'Etat, ils leur permettent d'accéder aux dignités les plus élevées. Si la sélection des élèves se faisait d'après le milieu social, les capacités intellectuelles étaient également jugées. Ceci explique la présence de fils de fermiers ou de classes peu privilégiées dans les collèges.

    4. Une hiérarchie rigide réglementait l'administration des collèges. A la tête de cette organisation se trouvait un général dont dépendaient des provinciaux, eux-mêmes responsables de recteurs auxquels étaient subordonnés des préfets des études qui supervisaient les maîtres, voués à l'obéissance la plus stricte.

    5. En ce qui concerne l'organisation des études chez les jésuites, nous retiendrons qu'il existait deux niveaux d'études : les "studia inferiora" correspondant aux humanités actuelles et les "studia superiora" réservées exclusivement aux futurs Jésuites. Les "studia inferiora" comprenaient cinq années : trois de grammaire, une d'humanité et une de rhétorique ; on y cultivait essentiellement l'éloquence. les "studia superiora" comprenaient trois années de philosophie. Aristote servait de base aux études qui se complétaient par les mathématiques - notamment les éléments de la géométrie euclidienne - , des notions de géographie et la dialectique dans l'optique de préparer les futurs jésuites à être de bons pédagogues. pour accéder au grade de docteur, les jeunes gens devaient suivre quatre années de théologie pendant lesquelles étaient étudiées diverses langues dont le grec et l'hébreu. Tous les cours se donnaient en latin, considéré comme une langue vivante. Les élèves ne pouvaient utiliser le français qu'à l'occasion des fêtes.

    6. Sur le plan méthodologique, il convient de retenir que les leçons étaient courtes, graduées, suivies de répétitions orales fréquentes. les exercices étaient essentiellement basés sur le raisonnement, la répétition et la mémorisation. Pour la première fois dans l'histoire de l'enseignement, les professeurs procédaient à une correction soignée des travaux.

    7. Leur discipline était basée sur une émulation exagérée. Les élèves devaient se comparer aux autres non pour s'améliorer, mais pour amoindrir leurs condisciples ; de là la pratique du blâme, du banc de déshonneur. Les Jésuites inventèrent les distributions de prix, la remise d'insignes et de médailles. De plus, la dénonciation était encouragée : l'accusateur obtenait le pardon de la punition encourue quand il pouvait faire connaître un condisciple coupable de la même faute. la discipline était sévère quant à l'esprit, mais recommandait d'utiliser modérément les punitions corporelles.

    8. Ainsi, la pédagogie des Jésuites peut être considérée comme une pédagogie de combat, une pédagogie ecclésiastique visant au triomphe de l'Eglise catholique. C'est, de plus, une pédagogie aristocratique car les Jésuites pensaient que l'ignorance du peuple était un moyen de sauvegarder l'ordre établi. C'était, enfin, une pédagogie formaliste. Dans le domaine intellectuel, en effet, elle est fondée exclusivement sur l'étude de la langue latine et abuse de la mémorisation. dans le domaine moral, elle exigeait une obéissance aveugle et une soumission.

    C. La pédagogie des Oratoriens

    1. Très libéraux, les Oratoriens se détachent des Jésuites - formalistes - et annoncent les théories des Jansénistes et des Frères des Ecoles chrétiennes. En 1611, le cardinal de Bérulle fonde la Congrégation de l'Oratoire.

    Les Oratoriens sont imprégnés de la philosophie cartésienne : ils accordent la priorité au bon sens et au doute méthodologique ("Je pense, donc je suis"). Ils désirent essentiellement former des aspirants à la prêtrise, ce qui explique leur désintéressement pour l'enseignement primaire.

    2. Leur enseignement fait place à la langue maternelle. Le latin est considéré comme une langue ancienne étudiée au même titre que le grec ou l'hébreu. le français devient la langue de base. Dès lors, l'exercice fondamental de l'étude des langues n'est plus le thème, comme chez les Jésuites, mais la version. En ce qui concerne les autres cours, nous retiendrons que, contrairement aux Jésuites, les Oratoriens laissaient une large place à l'enseignement des mathématiques et des sciences. Cela s'explique aisément par leur esprit cartésien. De plus, l'histoire et la philosophie figuraient aux programmes.

    3. Les livres classiques étaient rédigés en français, y compris la grammaire latine. Les journaux faisaient partie de l'étude quotidienne.

    4. Deux traits dominaient les exercices : le goût de savoir et le libéralisme intellectuel. Ils étaient parfois présentés sous forme de jeu, parfois d'une manière plus sévère, mais souvent de façon agréable.

    5. Très influencés par Descartes, les Oratoriens furent à l'origine de l'introduction des idées libérales dans le monde de l'éducation. C'est donc une pédagogie moderne. C'est aussi une pédagogie aristocratique. Pour entrer dans leurs collèges, il fallait avoir un certain bagage culturel qui ne pouvait avoir été dispensé que par un précepteur.

    D. La pédagogie des Jansénistes

    1. Bien que catholique, ce courant présente d'énormes différences avec celui des Jésuites ou des Oratoriens, notamment par l'esprit austère qui règne dans les écoles.

    2. Les Jansénistes, disciples de Jansénius - évêque d'Ypres - partisans du rigorisme et d'une morale très austère, interprétaient à leur façon la doctrine de saint Augustin et croyaient à la prédestination. Ils se souciaient de leur salut et craignaient u dieu redoutable. Les Jansénistes croyaient à la perversité originelle : l'enfant étant incapable de combattre le mal, les adultes devraient le combattre pour lui.

    3. Désirant écarter les enfants de tout contact impur, ils conçurent une morale austère. Ils voulaient former l'intelligence et le caractère selon la philosophie cartésienne : c'est pourquoi ils placèrent l'esprit au plus haut point.

    4. En ce qui concerne l'organisation des écoles, il faut savoir que les Jésuites recommandaient les internats. Ils étaient adversaires de l'éducation familiale car la faiblesse des parents va à l'encontre de l'éducation donnée par le maître (ou solitaire). Ils voulaient des classes de peu d'élèves afin d'augmenter le pouvoir éducatif des maîtres. 

    Les maîtres, qui contribuent beaucoup à la renommée de l'école, devaient témoigner d'une grande piété, de capacités pédagogiques, de discrétion et de désintéressement pour les biens matériels. La sélection des enfants était très stricte : les Jansénistes refusaient ceux qui n'avaient pas d'aptitudes et ceux qui pouvaient donner le mauvais exemple.

    5. Leur pédagogie était  à la fois théorique et pratique. Leurs théories, exposées dans leurs ouvrages furent mises en pratique dans des établissements d'éducation appelés "Petites écoles".

    6. Les Jansénistes recherchaient les méthodes les mieux adaptées. Ils les expérimentaient pour mieux juger leur valeur. En fait, les Jansénistes cherchaient à adapter leurs principes pédagogiques à la psychologie de l'enfant. Ils ne confiaient à la mémoire que ce qui avait été saisi par l'intelligence. peu de préceptes donc, mais beaucoup d'exercices.

    7. Quant à l'enseignement, il se fait en français. Le latin vient après la langue maternelle. Les Jansénistes, comme les Oratoriens, préconisent la version avant le thème. Ils apportent trois réformes à la méthodologie de la langue maternelle : l'emploi de la méthode phonétique pour l'apprentissage de la lecture, l'apprentissage dans des livres français et l'enseignement de la lecture simultané à celui de l'orthographe.

    Les enfants devaient aussi apprendre le grec, l'italien et l'espagnol. la géographie, les mathématiques - et notamment la géométrie - et les sciences occupent une place importante. L'éducation physique n'était pas négligée mais il n'y avait pas de programme. Les enfants se livraient  à la course et aux jeux d'adresse, mais seulement pendant les récréations.

    8. Les Jansénistes exigent une autorité absolue sur les enfants et recommandent une surveillance constante de ceux-ci. Les voyages, la lecture de romans et les représentations théâtrales sont interdits.

    9. Si les Jansénistes ont commis des erreurs, ils ont eu des principes excellents et ont ouvert de nouvelles voies en pédagogie, notamment pour l'apprentissage de la lecture par la méthode phonétique. Ils ont fait évoluer l'enseignement de la langue maternelle à une époque où le latin était de rigueur.  

    Harcelés par les Jésuites qui désiraient garder le monopole de l'enseignement, ils furent un exemple de fermeté et de résistance. Cela ne leur servit malheureusement pas à grand chose puisque les Jésuites firent condamner les théories de Jansénius.

    E. La pédagogie des Frères des Ecoles chrétiennes

    1. Dès 1675, Charles Démia à Lyon et C. Joly à Paris fondent des écoles destinées aux enfants pauvres. Démia forma des instituteurs chez lui puis créa un séminaire pédagogique, préfiguration de nos écoles normales pour instituteurs.

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles2. Se basant sur les théories de ces précurseurs, Jean-Baptiste de La Salle, très attaché au développement de l'éducation populaire alors presque inexistante en France, créa des écoles gratuites à Reims. Avec les Frères des Ecoles chrétiennes, c'est donc de l'enseignement primaire qu'il s'occupe en premier lieu, car ce niveau d'enseignement répond en effet à leur but principal : faire l'éducation du pauvre peuple et se substituer aux écoles de charité.

    3. La pédagogie des Frères des écoles chrétiennes est une pédagogie démocratique : son grand mérite est d'avoir témoigné une égale attention à tous leurs écoliers, plus même pour les pauvres que pour les riches. C'est une pédagogie pratique : les Frères renoncèrent à l'enseignement du latin, pour donner une orientation professionnelle à leur pédagogie. 

    4. Nous aborderons l'oeuvre de Jean-Baptiste de La Salle dans le chapitre VII du Titre VI.

    Chapitre III : L'éducation des filles

    I. Au 15ème siècle

    La Renaissance italienne fut favorable aux femmes : elle leur reconnaissait la supériorité du cœur sans lui dénier les dons de l'esprit ; la plupart lisaient et écrivaient les langues latines et grecques. Mais, en dehors de l'Italie, l'éducation des filles n'était guère développée. Les classes aisées confiaient leurs enfants aux couvents, les classes populaires aux petites écoles. Malheureusement, la véritable instruction faisait partout défaut.

    II. Au 16ème siècle

    Hormis l'Italie, ce siècle fut peu généreux pour la femme. Les écoles - peu pratiques - ne répondaient nullement aux besoins des filles. En effet, cette époque demandait aux mères de posséder avant tout des qualités domestiques et de consacrer tous ses instants à son époux et à ses enfants.

    Comme au siècle précédent, les classes élevées abordaient l'étude des langues grecque et latine ; les filles issues de la bourgeoisie se rendaient aux couvents et les filles d'artisans fréquentaient les petites écoles.

    III. Les idées de quelques pédagogues

    1. Érasme

    Erasme voulait une femme instruite afin que, mère, elle puisse bien éduquer ses filles. D'une part, il demandait une instruction étendue comprenant même la connaissance des langues ; d'autre part, il prônait une éducation domestique : les jeunes filles devaient savoir filer, tisser, coudre et diriger le ménage.

    2. Vivès

    Vivès demandait à la mère d'être la première institutrice de son enfant et de former son caractère. Pour mener à bien l'accomplissement de ses devoirs de mère, il fallait qu'elle soit instruite. Pour bénéficier d'avantages physiques, moraux et intellectuels, elle devrait suivre le programme suivant : langue (style et grammaire), lectures, histoire, sciences naturelles et travaux manuels.

    3. Rabelais

    Rabelais parle peu d'éducation des femmes car il ne paraît pas avoir une haute idée de ce sexe. 

    4. Montaigne

    Montaigne ne désire pas une culture intellectuelle véritable pour les femmes. Néanmoins, si elles veulent s'instruire, qu'elles lisent les poètes, qu'elles étudient l'histoire et la philosophie en se bornant aux discours qui les intéressent personnellement et à ceux qui traitent de leurs rapports avec les hommes. Il reconnaît que la science la plus utile pour elles est la science du ménage.

    5. Luther

    Luther réclame l'instruction du peuple sans séparer les filles des garçons, mais tenant compte des services domestiques qu'elles doivent assumer, il diminue le temps qu'elles doivent passer à l'école.

    6. Les Jansénistes

    A Port-Royal, les religieuses s'occupent de l'éducation des jeunes filles dans le même esprit que dans les écoles de garçons, mais avec les modifications réclamées par la nature féminine et la vie de couvent. Ce type d'éducation présente l'inconvénient de laisser les filles désarmées lorsqu'elles retournent dans le monde.

    Chapitre IV : L'éducation physique et les sports

    I. La situation en Italie, berceau de la Renaissance

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles1. En ce qui concerne l'éducation physique, l'Italie se trouvait à l'avant-plan à la Renaissance. Pietro Paolo Vergerio assignait à l'éducation la tâche essentielle de former l'enfant à la vertu. Celle-ci concerne non seulement l'âme mais également le corps qui doit apprendre à supporter, à obéir.

    Suivant l'exemple donné par les Spartiates, Pietro Paolo Vergerio recommandait la course, le saut, la lutte, le tir à l'arc, l'équitation et la natation. Son but était de former des militaires. Il fallait aussi délasser le corps par des récréations et l'entretenir par des soins. On trouve déjà chez Pietro Paolo Vergerio un lien entre la gymnastique, la récréation et les soins du corps.

    2. Les buts poursuivis par Victorin de Feltre sont plus amples. La nature humaine étant faite d'un corps, d'un esprit et d'un cœur, il incombe à la pédagogie de les développer tous les trois. Il faut donc entretenir son corps. La gymnastique, celle des Grecs et des Romains, possède à ce point de vue, de nombreux avantages. On trouve chez Victorin de Feltre cette idée vraiment nouvelle de l'importance de la gymnastique pour l'instruction : les promenades à la campagne favorisent l'observation et donnent l'occasion de parler de la nature. L'importance morale de ma gymnastique est également soulignée : elle détourne les vices liés à l'oisiveté. Victorin de Feltre est généralement considéré comme le véritable créateur de l'éducation physique.

    3. Pietro Paolo Vergerio et Victorin de Feltre s'entendent pour accorder aux exercices du corps une influence très salutaire sur le travail de l'esprit. Les buts qu'ils assignent à l'éducation ne sont pas identiques. Pour Pietro Paolo Vergerio, la fin de l'éducation est sociale et, plus particulièrement, militaire. Victorien de Feltre recherchait l'épanouissement de la nature humaine dans son ensemble.

    4. Les pédagogues du 16ème siècle, sans donner aux exercices ni aux soins corporels plus d'attention que leurs prédécesseurs, marchant même sur les traces de ceux-ci, ont eu tendance à préciser davantage ces soins et ces exercices. Incapables d'innover, ils insistaient sur les moyens.

    5. Alessandro Piccolomini établit une progression dans l'étude des exercices physiques en fonction des différents âges.

    6. L'influence de la gymnastique médicale se fit ensuite sentir et pénétra les spéculations des pédagogues. Meduna insista sur l'importance des exercices et régla les conditions les plus favorables à leur pratique.

    7. D'une manière générale, le noyau des exercices physiques recommandés était constitué par les cinq exercices fondamentaux de l'Antiquité : la course, le saut, la lutte, le javelot et le disque. Les éducateurs ne se souciaient généralement pas des exercices proprement médicaux, hérités des médecins grecs et recueillis par Mercurialis et Cardan mais ils accordaient une grande importance aux promenades.

    II. Les idées d'Erasme

    1. Les tendances à un renouvellement pédagogique ne se manifestèrent pas qu'en Italie. La portée et l'influence des idées d'Erasme furent bien plus considérables. L'importance de la santé ne lui échappa pas.

    2. Érasme s'opposa à ceux qui lui reprochaient de s'être trop occupé du corps et de façon peu chrétienne.

    3. La santé est requise pour les travaux de l'esprit et même pour sa moralité. Les récréations sont indispensables à la santé. Erasme les envisageait sous une forme bien modeste. Il les destinait à changer rapidement de discipline, à refaire l'esprit et les forces.

    III. Les idées de Vivès

    Si proche d’Érasme et soucieux comme lui d'assurer la santé des enfants par des récréations, Vivès était aussi plus libéral. Il recommandait aux enfants de s'ébattre, de jouer à la balle et au ballon, de faire des courses et des promenades. C'est alors que les exposés paraîtraient divertissants et que les narrations seraient plus plaisantes.

    IV. En Angleterre

    Les éducateurs anglais, eux aussi, furent frappés de l'importance d'une réforme des études qui accorderaient au corps une place jusque-là non concédée. A quelque milieu qu'ils appartenaient, les jeunes Anglais demandèrent à l'éducation physique la santé, la force, l'agilité mais aussi une préparation à leurs futurs devoirs d'Etat, et la distraction.

    V. L'influence des Jésuites

    1. Les Jésuites sont à l'origine même de l'introduction des exercices physiques à l'école. Le "ratio studiorum" prescrivait de modérer le travail des élèves, de limiter les horaires pour empêcher qu'ils portent préjudice à la santé des enfants.

    2. Des jeux virils étaient pratiqués dans les Collèges de Jésuites : des courses, des jeux de ballon, le jeu de paume, les jeux de barres, balle au mur... Ces jeux étaient populaires ou folkloriques. Ceci est révélateur de l'éducation jésuitique, soucieuse de ne pas couper de la vie une jeunesse qu'elle s'employait justement à former non pour l'étude et la contemplation mais pour la vie.

    Chapitre V :  La Belgique au 16ème siècle

    I. Propagation rapide de l'humanisme aux Pays-Bas

    1. Grâce au commerce et à l'industrie, les communes puissantes de Flandre et de Rhénanie, de la Hollande et de la Baltique, avaient acquis un haut degré de prospérité qui se manifestait aussi dans les arts et dans l'éducation.

    2. Des universités, jeunes et ardentes, s'adonnaient avec enthousiasme à l'étude des Anciens : Cologne et Heidelberg, Erfurt et Bâle, Strasbourg et Louvain surtout où s'était fondé le Collège des trois Langues.

    3. Découverte et perfectionnée en Hollande et en Rhénanie par Laurent Coster et Jean Gutenberg, l'imprimerie se répandit de façon extraordinaire en Allemagne surtout. Christophe Plantin (1520 - 1589) établit une très importante maison d'impression à Anvers.

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles   * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles

    Jean Gutenberg   -   Christophe Plantin

    II. Une situation privilégiée

    1. A la fin du 15ème siècle, la situation politique engendrée par l'ambition des ducs de Bourgogne, avait exercé une influence défavorable sur la culture intellectuelle. Les chambres de rhétorique en avaient été inquiétées et avaient perdu une partie importante de leurs privilèges et de leurs membres.

    2. Etant donné la richesse des villes et la prospérité des diverses provinces, notre pays pouvait cependant se flatter d'avoir pris davantage d'initiatives pour les écoles que les pays voisins.

    3. Dans la première partie du 16ème siècle, le nombre de personnes instruites dans toutes les facultés et les sciences était considérable. Les notions de grammaire étaient générales et la plupart des villageois savaient lire et écrire.

    4. Si les langues vulgaires étaient déjà parfaitement connues, beaucoup de gens possédaient le français, plusieurs maniaient l'allemand, l'anglais, l'italien, l'espagnol et même d'autres langues plus éloignées.

    5. La Belgique devait cette situation privilégiée à ses nombreuses écoles. L'Université de Louvain brillait par ses professeurs et ses élèves. Boyens était l'auteur d'une grammaire qui connut un grand succès. Érasme, Vésale et d'autres acquirent une renommée européenne dont l'université elle-même profita. Les villes riches étaient fières de leurs établissements d'instruction. En 1530, Bruxelles possédait treize écoles flamandes, trois écoles wallonnes, neuf écoles latines et une école supérieure.

    6. Si, au-delà de nos frontières, la Réforme était favorable au mouvement intellectuel, elle eut, comme nous allons le constater, des conséquences funestes pour les écoles belges.

    III. Conséquence de la Réforme en Belgique

    1. Charles-Quint et ses successeurs prirent diverses mesures afin d'arrêter ce mouvement religieux qui menaça un moment de pénétrer dans notre pays. Mais ces mesures mirent des entraves à l'enseignement, aux instituteurs et à l'imprimerie.

    La décadence fut dès lors très rigide sous la domination espagnole. Des troubles sanglants déchirèrent les pays et ruinèrent les grandes cités communales.

    Une série d'édits défendirent d'écrire et d'imprimer tout nouveau livre sans autorisation spéciale. D'autres édits n'autorisaient que l'emploi d'ouvrages approuvés par l'Université de Louvain.

    2. Une instruction de Charles-Quint ordonna de s'enquérir de la conduite des maîtres d'école et de leur enseignement, et de provoquer, si nécessaire, la destitution des enseignants qui paraîtraient la mériter.

    3. Les mesures contenues dans les édits postérieurs à 1550 s'accentuèrent encore, au point qu'il fut exigé un certificat de bonne conduite délivré par le curé, le serment de fidélité à l'Eglise romaine et l'affiliation aux confréries, pour tout candidat maître d'école !

    4. Sous cette législation justifiée par la crainte de l'invasion du protestantisme, le nombre et la valeur des écoles diminuèrent.

    IV. Vers une obligation scolaire

    1. Sans grand succès, le synode de Mons en 1586 fit établir des écoles dominicales pour les enfants qui ne pouvaient fréquenter les écoles quotidiennes et obligea les parents et les maîtres à y envoyer leurs enfants. Les écolâtres des églises cathédrales et collégiales eurent pour mission de visiter ces écoles dominicales. L'autorité civile fut obligée de les assister pour assurer la fréquentation. L'instruction du peuple resta malgré ces mesures à peu près nulle : en effet, si ces décrets pouvaient établir des écoles, ils ne pouvaient leur donner la qualité.

    2. Dans les deux autres degrés de l'enseignement, la situation était différente. Leurs ressources étaient assurées par de nombreuses fondations au 16ème siècle. Les maîtres étaient compétents. En 1556, les Jésuites vinrent s'établir aux Pays-Bas et choisirent Louvain, déjà célèbre, mais ils luttèrent inutilement contre son université qui prétendait conserver son monopole.

    Les Jésuites furent plus heureux dans d'autres villes. Le collège qu'ils ouvrirent à Liège attira tant d'élèves qu'il fallut doubler les bâtiments. Celui qu'ils avaient ouvert en 1586 à Bruxelles connut également un franc succès. A la fin du siècle, les Jésuites, ayant créé tant de collèges, en possédaient près de trois cents. L'instruction moyenne était assurée dans presque toutes les localités.

    3. L'Université de Louvain recevait un nombre considérable d'élèves. Ce nombre ne fit que croître lorsque le duc d'Albe défendit de fréquenter les universités étrangères. En 1570, elle comptait 800 élèves. Plus de 50 collèges préparaient les élèves aux études supérieures.

    V. Vers une formation des maîtres

     * Titre V - La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème sièclesJuste Lipse (1547 - 1606) trouvait à cette époque que les méthodes d'enseignement étaient défectueuses. Il souhaita, pour remédier aux abus, la création d'écoles normales, à peu près semblables à celles que nous connaissions à la fin du 20ème siècle et dont la mission première était de dispenser l'art d'enseigner.

    Les chambres de rhétorique qui avaient si bien contribué à répandre dans les masses le goût de la littérature et la vie intellectuelle, souffraient de l'état général du pays. Si la plupart avaient été supprimées, celles qui restaient n'étaient plus que des confréries.

     

    Lien URL avec le Titre VI : "L'éducation au 17ème siècle"

     

    Bibliographie partielle du Titre V

    Barrière Pierre - La vie intellectuelle en France du 16ème siècle à l'époque contemporaine - Paris, Albin Michel, 1974

    Brabant H. - Médecins, malades et maladies de la Renaissance - La renaissance du Livre, 1966 

    Charmot F. - La pédagogie des Jésuites - Paris, Spes, 1943 

    Charvardes Maurice - Les grands maîtres de l'éducation - Paris, Editions du Sud, 1966

    Charvardes Maurice - Michel de Montaigne - Paris, Editions P. Charron, 1972 

    Chateau J. - Montaigne, psychologue et pédagogue - Paris, Librairie philosophique, J. Vrin, 1964 

    Chenel Emile - Les grands thèmes de la pédagogie - Paris, Le Centurion, Sciences humaines, Païdo/guides, 1970

    De Diéguez M. - Rabelais par lui-même - Paris, Editions du Seuil, 1965

    Garcia Hoz - Jean-Louis Vivès, pédagogue de l'Occident - Les grands pédagogues - Paris, P.U.F., 1972

    Garin E.- L'éducation de l'homme moderne - La pédagogie de la Renaissance (1400 - 1600) - Traduction de l'italien par J. Humbert, Paris, Fayard, 1968

    Mandrou Robert - La France aux 17ème et 18ème siècles - Paris, P.U.F., 1967

    Mandrou Robert et Duby Georges - Histoire de la civilisation française - Paris, Colin, 1968

    Mesnard P. - La pédagogie des Jésuites - in "Les grands pédagogues" (Jean Duchateau) - Paris, P.U.F., 1972

    Montaigne - Essais - Paris, Garnier, 1955 

    Myhoffer P. - Les idées pédagogiques de Luther - Nessonvaux, Imprimerie de Nessonvaux, 1909

    Plattard J. - La vie et l'oeuvre de Rabelais - Paris, Boivin, 1939 

    Poncelet A. - Histoire de la Compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas - Bruxelles, Maurice Lamertin, 1926

    Rigault Georges - Histoire générale de l'Institut des Frères des écoles chrétiennes - Paris, Librairie Plon, 1953 

    Ulmann - De la gymnastique aux sports modernes - Paris, P.U.F., 1965

     


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  • Titre IV - Les institutions éducatives au début du 15ème siècle

    Chapitre I : Des premières universités à la fin du Moyen Age

    I. Genèse, création et nature des premières universités

    1. Au 11ème siècle, quelques hommes remarquables s'étaient remis à étudier la philosophie. Au contact de la civilisation musulmane, les lettres et les sciences étaient sorties de leur profond sommeil des siècles précédents.

    2. Ce mouvement, commencé au 11ème siècle, s'accentua au 12ème siècle et les maîtres, déjà réunis en sociétés, n'eurent la permission d'ouvrir une école que s'ils possédaient une licence, accordée par le chancelier des églises sur le territoire duquel ils comptaient s'établir. Cette licence, ou permission d'enseigner, ne pouvait être refusée aux bacheliers, les étudiants qui avaient reçu la couronne.

    3. Si, au 11ème siècle, les écoles cathédrales et claustrales suffisaient, elles devinrent rapidement insuffisantes pour contenir les élèves. Ainsi, l'école de Paris, installée dans le cloître de l'ancienne Notre-Dame et réputée pour la qualité de ses professeurs (dont Abélard, la plus brillante figure du Moyen Age et représentant de la pédagogie scolastique), ne suffisait plus au grand nombre d'écoliers qui se pressaient dans la capitale. Il fallut permettre à des maîtres particuliers d'enseigner en dehors du cloître. Néanmoins tenus de donner leurs cours dans l'île de la cité ou sur les ponts de la Seine, les maîtres se retrouvèrent avec leurs élèves en dehors de l'atmosphère ecclésiastique, sous un contrôle indirect et incertain.

    4. Au 12ème siècle, des écoles laïques ne subsistaient qu'en Italie. A Rome, Ravenne, Bologne, Pavie... on enseignait, avec les arts libéraux, des éléments d'art notarial et de droit ; à Salerne, aux portes du monde arabe, une école active de médecine s'était développée depuis la fin du 10ème siècle. Partout ailleurs, les écoles étaient entièrement aux mains de l'Eglise : pas d'école sans rattachement à un établissement religieux, monastère, cathédrale ou collégiale !

    5. L'éclat de la civilisation musulmane des 10ème et 11ème siècles attira les traducteurs, malgré les guerres entre musulmans et chrétiens. Ces traducteurs permirent la diffusion rapide dans toute l'Europe des traductions effectuées en Espagne, à Tolède notamment ainsi qu'en Sicile.

    Les traducteurs étrangers, avec les moines clunistes et les pèlerins de Saint-Jacques contribuèrent à la diffusion de ces textes d'origine latine, grecque ou arabe.

    6. Afin de défendre leurs intérêts et de limiter le nombre de professeurs, les maîtres s'organisèrent en corporations. Pour pouvoir être nommé maître, le candidat devait avoir suivi pendant 5 ou 7 ans les cours d'un maître réputé puis était investi en présence de son maître qui assistait à sa première leçon. Mais pour présenter cette leçon inaugurale, le candidat devait encore être en possession d'un certificat de moralité et de capacité, la "licentia docendi" (licence d'enseigner), délivrée par le chancelier ou écolâtre, chef de l'école épiscopale. L'Eglise avait ainsi conservé un pouvoir souverain sur la nomination des maîtres. rares ne furent pas les dissensions entre les maîtres et l'Eglise.

    7. Certaines écoles cathédrales étaient devenues de véritables foyers de culture intellectuelle. Dès la fin du 12ème siècle, répondant à un besoin général, on assiste à la naissance des universités, héritières de ces centres intellectuels. il est difficile de déterminer la date de leur fondation. Cependant, c'est en 1111 que la première université fut créée à Bologne, en Italie. Ancienne école de droit, l'Université de Bologne, héritière des écoles juridiques de l'Empire romain, fut formée par la réunion de diverses corporations d'étudiants. Comme l'Eglise n'a jamais exercé sur elle qu'une sorte de patronage, l'esprit en est resté laïc.

    8. C'est aussi vers cette époque que l'enseignement supérieur commença à s'organiser, mais il ne faut pas s'imaginer que l'Université était attachée aux écoles presbytérales, municipales, épiscopales et cathédrales. Le terme "universitas" emprunté au droit romain se traduit par "corporation" ou "consortium". Ainsi, à l'origine, l'université n'était qu'une association de professeurs ou une association d'étudiants (universitas magistrorum ou universitas scolarum). Cette association entre maîtres et étudiants était très étroite et l'on peut dire qu'elle se caractérisait par une véritable collaboration spirituelle.

    9. L'université n'est donc pas une sorte d'établissement qui vient s'ajouter aux autres écoles mais qui résulte de l'extension prise par certains centre scolaires. A l'origine, l'université est donc un simple regroupement privilégié de maîtres et d'écoliers d'un centre déterminé. Maîtres et élèves étaient des clercs et, suivant la règle médiévale, ils échappaient automatiquement à la juridiction civile, relevant uniquement de l'évêque ou de son chancelier. De plus, grâce aux privilèges accordés par le pape, les universités se sont peu à peu soustraites de la tutelle de leur évêque. C'est ainsi que ces premières corporations obtinrent une autonomie réelle, eurent leurs règlements, leur hiérarchie laïque composée de recteurs et de doyens ainsi que le droit de délivrer des diplômes.

    10. Le 13ème siècle fut important par la création de nombreuses écoles à tous les degrés, mais surtout par celle des universités.

    L'ancienne école de médecine de Salerne fut transformée en université vers 1220. C'était une véritable école professionnelle laïque.

    Après Bologne et Salerne, ce furent celles de Paris (1200) et de Montpellier (1283) qui s'érigèrent en France. Les rois du Portugal ont fondé celles de Coïmbre et de Lisbonne (1290). Les rois de Castille et d'Aragon fondèrent les heures écoles espagnoles : Palencia (1200) transférée à Salamanque en 1240. L'organisation de cette dernière, due à Alphonse se le Sage, servit de modèle aux établissements analogues.

    Les universités d'Oxford (1206) et de Cambridge (1231) sont nées spontanément, sans intervention d'aucune puissance, comme ce fut d'ailleurs le cas pour Paris (1200).

    11. La diversité dans la naissance (ou la création) de ces universités finit par s'atténuer au profit d'une certaine uniformité qui fit de toutes ces universités des institutions où le laïque se mélangea à l'ecclésiastique et tenta d'en réduire l'influence. Cependant, la supervision pontificale y était exercée par l'évêque ou son délégué. Ainsi, à Paris, dès 1284, à Oxford et Cambridge, le délégué épiscopal devint un employé de l'Université.

    12. La renaissance des études classiques commença en réalité avec les universités. Les études universelles comprenaient quatre facultés : la théologie, le droit, la médecine et les arts.

    Les universités devaient leur renom soit au maître qui y professait, soit à l'avantage de posséder des chefs d'oeuvre de l'Antiquité.

    La bibliothèque de l'Université de Paris possédait déjà au 14ème siècle les œuvres de Cicéron, d'Ovide Lucain et de Boethius. Les élèves qui voulaient acquérir une instruction complète devaient se rendre d'une université à une autre pour suivre les cours des savants en la matière. Parfois, ce furent les professeurs eux-mêmes qui allaient, suivis de leurs élèves, défier leurs rivaux dans leurs propres écoles pour débattre des questions controversées.

    13. Le mouvement de création d'universités s'étendit presque à l’Europe entière aux 15ème et 16ème siècles. Les diplômes que délivraient les universités étaient valables dans toute la chrétienté, ce qui explique le cosmopolitisme de la population scolaire à cette époque.

    II. Organisation intérieure des universités

    1. Plusieurs réseaux de liens regroupaient maîtres et étudiants :

    • l'université ou fédération d'écoles ;
    • la faculté ou ensemble des maîtres et des étudiants d'après leur origine géographique ;
    • le collège qui, à l'origine, portait le nom d' "hospitum", sorte de pension pour étudiants pauvres.

    2. Dès le 15ème siècle, il existait au sein de l'université une double organisation :

    • selon la nature des études. Les facultés avaient chacune un doyen à leur tête,

    et

    • selon la nationalité. Les "nations" (Français, Picards, Normands et Anglais) avaient à leur tête un procureur.

    3. Le chef de l'université était le recteur, élu pour trois mois par les quatre nations des arts. Il avait sous ses ordres un trésorier, un greffier, des messagers, des relieurs, des libraires et des copistes. Le corps professoral des quatre facultés constituait l'Université.

    III. Les facultés et les cycles d'études

    1. Lorsque l'adolescent avait acquis une petite culture préparatoire dans les écoles presbytérales, municipales ou dans de petites écoles payantes, il pouvait s'inscrire vers 14 ans, à la Faculté des Arts. Il y recevait un enseignement préparatoire aux différentes licences. Pour y entrer, le jeune étudiant devait connaître la lecture, l'écriture et les éléments de langue latine.

    2. La Faculté des Arts était la plus importante. Elle correspondait à notre enseignement moyen du degré supérieur et aux candidatures. Elle accueillait le plus grand nombre d'élèves : tous les étudiants ont dû y passer et tous les maîtres y ont enseigné.

    C'est à la Faculté des Arts qu'on enseignait la dialectique, la discipline la plus en honneur à cette époque. C'était l'enseignement préparatoire à toutes les autres facultés.

    Après une durée d'études qui variait avec les aptitudes du sujet, l'étudiant se présentait au baccalauréat qui portait à l'époque le nom de "déterminance". L'étudiant devenait bachelier vers 18 ans. La "licence" qu'il obtenait vers 21 ans lui permettait d'enseigner, et vers 23 ans, le "doctorat" faisait de lui un "maître es arts".

    3. L'ensemble des sept arts qui formaient cet enseignement préparatoire comprenait le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, musique).

    Cette Faculté des Arts est à l'origine des facultés modernes des lettres et des sciences.

    Muni du diplôme de "maître es Arts", l'étudiant pouvait alors s'inscrire à l'une des trois autres facultés : la faculté de théologie, de droit ou de médecine. Les études étaient longues : ainsi, le doctorat en théologie ne s'obtenait qu'à l'âge de 35 ans.

    IV. Finalités des facultés universitaires

    1. Les universités possédaient rarement les quatre facultés et préféraient se spécialiser pour éviter la concurrence. C'est ainsi que les universités d'Espagne brillaient pour les mathématiques et les sciences naturelles ; celles d'Italie et en particulier celle de Bologne, reconnue pour l'étude du droit romain, était fréquentée par 12 000 étudiants !

    L'Université d'Orléans avait acquis sa réputation pour l'étude du droit civil. Le droit canon s'étudiait essentiellement à Oxford. Les Universités de Montpellier en France et de Salerne en Italie brillaient pour la médecine ; celle de Paris pour la théologie scolastique et la philosophie.

    2. Aux 14ème et 15ème siècles, l'enseignement de la théologie donne de signes incontestables de déclin. Dès le 14ème siècle, des doctrines nouvelles apparurent au niveau des facultés de théologie. Deux franciscains anglais enseignaient à Oxford et à Paris : Guillaume d'Orcam et Jean Duns Scot. C'est surtout à travers les sarcasmes d'Erasme et les plaisanteries de Rabelais qu'ils sont passés dans l'histoire.

    Les facultés de théologie continuaient cependant à remplir leur fonction de gardienne de l'orthodoxie à l'égard de leurs propres membres et des juridictions ecclésiastiques : officialités, tribunaux d'inquisition, ces juridictions sollicitaient leur avis et celui-ci jouait un rôle déterminant au moment de la décision finale.

    Les juristes étaient utiles à l'Eglise et de ce fait elle manifesta une bienveillance à leur égard. Ils étaient préparés à des tâches d'organisation, de gestion et de conservation.

    A la fin du 15ème siècle, la recherche et l'enseignement théologique à un niveau supérieur reprirent grâce à l'humanisme qui apporta, en Occident, les textes originaux d'Aristote et tout le platonisme.

    3. Si certains théologiens jugeaient que l'astrologie était d'inspiration démoniaque, d'autres avaient une attitude plus nuancée. saint Thomas admettait l'influence des astres sur les individus. Le théologien Pierre d'Ailly, philosophe, érudit et ecclésiastique de talent écrivit des livres d'astrologie.

    Dans sa jeunesse, saint Augustin y croyait également et résista aux premières tentatives faites pour lui faire entendre raison.

    Du fait de son caractère suspect, l'astrologie était en général surtout le domaine des Juifs et des Arabes. Ceux-ci l'avaient héritée des Chaldéens. L'astrologie théologico-médicale, déjà florissante en Mésopotamie, correspondait dans l'univers à une harmonie en quelque sorte mathématique et préétablie. Le monde, partagé en quatre, était en harmonie avec les spet cieux.

    Quand la science arabe se répandit en Europe, l'astrologie réapparut au 11ème siècle, après une éclipse d'environ 500 ans. En effet, sa vogue n'avait pas été négligeable dans l'empire romain et encore moins en Grèce où elle s'était déjà répandue dans toutes les classes de la société.

    L'astrologie, qui avait donc pris une importance considérable au Moyen Age, eut des chaires dans plusieurs universités italiennes ! Et c'est ainsi que même la Faculté de Médecine de Paris s'était donné un titre qui nous paraît bien ridicule aujourd'hui : "Facultas saluberrima medicinae et astrologiae" !

    V. Méthodes 

    1. La découverte de l'Organon complet d'Aristote allait bouleverser les méthodes et la visée de l'enseignement. Que ce soit à la faculté des arts, de théologie, de droit ou de médecine, la façon d'enseigner était toujours semblable.

    Dans toutes les facultés, l'enseignement était dominé par deux types fondamentaux d'exercices : la leçon ordinaire, donnée par les maîtres ; la leçon extraordinaire, donnée par les bacheliers. Le maître lisait un texte, le dictait puis le commentait. La lecture était faite en latin. Ensuite avait lieu la leçon donnée par un bachelier : la dispute ou discussion, échange de vues sur les problèmes de doctrine posés par le texte. C'est donc à proprement parler de la dialectique : suivre le raisonnement de l'auteur du texte ou du livre, ou établir, grâce à une suite de syllogismes, la démonstration d'un thème. 

    2. Grâce à la dialectique, on pouvait dégager de la masse des textes un certain nombre de problèmes philosophiques et scientifiques. La discussion dialectique était de règle ; toutes les audaces étaient tolérées, à condition que les principes logiques du raisonnement juste soient respectées.

    Les connaissances autres que la logique, telles que la morale, les mathématiques, l'histoire naturelle étaient considérées comme accessoires. L'enseignement religieux était totalement absent du programme et ne fut établi qu'après la Réforme.

    Ainsi, l'enseignement dispensé dans les universités du 15ème siècle était purement livresque ; c'était un entraînement à la "dispute" qui n'avait pour but que d'exercer le raisonnement, d'employer les règles logiques avec discernement et non de découvrir la vérité objective.   

    3. L'intellectuel prenait conscience de la spécificité sociale de son travail. Il découvrait que les méthodes et la visée de sa recherche, de son enseignement étaient autonomes. C'est le jeu de cette double prise de conscience que l'on peut suivre en retraçant la naissance des premières universités.

    VI. Multiplication progressive du nombre des universités

    1. Deux raisons présidèrent à la multiplication des universités. Au 14ème et 15ème siècles, certaines universités se sont créées pour des raisons d'éloignement ou démographiques. ce fut le cas pour Prague (1347), Vienne (1365), Erfurt (1379), Heidelberg (1385) et Cologne, mais d'autres universités comme celles de Glasgow (1450), Aberdeen (1495) et Louvain (1425) sont nées pour des raisons politiques.

    2. Progressivement, le pouvoir civil intervint dans la création des universités et leur organisation. Ainsi, à la fin du 15ème siècle, le Roi contrôlait les universités de France.

    On peut constater deux tendances :

    • D'une part, une tendance à la laïcisation des écoles. Les maîtres étaient libres, simplement agréés par le chancelier.
    • D'autre part, l'Eglise ne se résignait à abandonner à aucun niveau son monopole scolaire.

    3. La présence de jeunes gens de toutes les nations dans les universités favorisait l'acquisition de connaissances très variées. les professeurs se déplaçaient, bien souvent suivis de leurs élèves, d'une université à l'autre, lorsqu'ils désiraient "disputer" des questions controversées avec d'autres professeurs et les défier dans leurs propres écoles. ce caractère international des universités facilita la confrontation des idées et des méthodes.

    4. Les voyages à pied permettaient aux nombreux étudiants (30 000 à Paris, 10 000 à Oxford, divisés en nations) de voir beaucoup et bien, de s'instruire moins dans les livres mais plus dans la vie et d'acquérir des connaissances très variées.

    Très florissantes donc dès le 12ème siècle, les universités visaient une culture désintéressée qui n'avait nul souci de changer le monde ambiant.

    L'amélioration des conditions de vie, le retour à la sécurité dans les mœurs, ainsi que l'enrichissement de la bourgeoisie, tout menait sensiblement à l'éclatement du cadre scolastique. C'est de cette lente évolution sociale et pédagogique que surgit la Renaissance.

    5. L'université était donc une corporation qui cherchait à échapper aux contraintes qui pesaient sur le reste de la population urbaine.

    C'était une association de travailleurs intellectuels destinée à la recherche et à l'enseignement désintéressés. Elle était une  institution d'Eglise qui, lorsqu'elle ne se soumettait pas aux autorités religieuses locales, recherchait la protection de la papauté.

    Le recrutement social et géographique ne présentait aucune unité. Les moyens d'existence des enseignants étaient un gros problème.

    VII. Les autres écoles

    Au 15ème siècle, le système scolaire du Moyen Age était définitivement en place. Il comprenait :

    • les écoles monastiques, installées dans les monastères ;
    • les écoles presbytérales, organisées par les prêtres dans les presbytères ;
    • les écoles municipales organisées par les communes elles-mêmes ;
    • quelques rares écoles "de charité" fréquentées par des orphelins ; 
    • les écoles cathédrales et épiscopales établies dans les centres non-universitaires étaient semblables à des séminaires. On y formait les aspirants au sacerdoce.
    • Enfin, les écoles collégiales ou canoniales ou capitulaires étaient entretenues par les chapitres.
    • Le pouvoir communal intervenait de plus en plus dans l'organisation de certaines écoles. Il existait également une sorte d'enseignement plus sauvage qui voulait échapper au clergé. On le désigne bien souvent par "écoles buissonnières". L'enseignement livresque laissait peu ou pas de place à l'exercice physique.

    Chapitre II : L'enseignement moyen - Les collèges

    I. Origine des collèges

    1. Les élèves des facultés devaient subvenir à leur vie matérielle. Une vie d'étudiant coûtait fort cher : il fallait payer les honoraires aux maîtres, acheter des livres, et encore dépenser pour obtenir les grades.

    2. Nombreux étaient les étudiants pauvres qui devaient trouver une occupation pour gagner de l'argent. Parmi les solutions les plus honnêtes pour vivre, l'étudiant pouvait choisir de se faire copiste. Ce fut le cas de Cervantes. Il pouvait aussi composer des poésies bachiques et licencieuses ! Certains étudiants trouvaient des ressources en devenant jongleurs ! D'autres faisaient appel à la générosité de leurs parents. enfin, une dernière catégorie mendiait ou volait pour subsister.

    3. Les étudiants vivaient dans des quartiers mal famés dont les logements scandaleux étaient mal aérés et non éclairés. Comme on peut le constater dans l'oeuvre de François Villon, tout cela faisait que la réputation des étudiants était loin d'être bonne et qu'il y eut de nombreux heurts entre bourgeois et étudiants.

    4. Pour pallier à cette situation, certains étudiants en arrivèrent à louer un local, à y vivre en commun, souvent en compagnie de leurs professeurs. Ce local portait le nom d' "hospitum".

    5. A la suite de donations, des "hospitia" furent ouverts, dirigés par le proviseur ou principal, maître de l'université. Ces "hospitia" prirent ensuite le nom de collèges.

    II. Développement des collèges

    1. Pour mettre un terme aux débordements des écoliers, cette institution prit peu à peu un développement considérable. Ainsi les collèges se transformèrent en internats intégraux.

    2. Dans ces internats, les élèves étaient non seulement hébergés mais également instruits par les professeurs de la Faculté des Arts. Soumis à un régime souvent sévère, les étudiants y recevaient une nourriture peu abondante.

    3. Ces simples institutions de charité à l'origine devinrent, du jour où l'enseignement y fut donné, des annexes de l'université. Les collèges finirent par englober toute la vie de la Faculté des Arts.

    III. L'enseignement moyen

    L'enseignement moyen avait été confié jadis aux écoles cathédrales. peu à peu, les collèges se transformèrent en écoles de préparation aux études supérieures. On y étudiait toujours le trivium et le quadrivium. De ces branches toutes abstraites, la musique et le latin, indispensables au service divin, absorbaient le plus de temps et , dans  le latin, langue à la fois ecclésiastique et internationale, la dialectique était l'étude principale tandis que la grammaire, l'art d'écrire, était relégué au dernier plan.

    Chapitre III : L'enseignement élémentaire

    I. Les écoles communales et municipales

    1. Pour répondre aux exigences des populations, les villes dont l'industrie et le commerce se développaient, avaient dû multiplier les écoles élémentaires.

    2. Suite au Concile de Latran (1215) et à diverses ordonnances pontificales, beaucoup d'écoles dites "écoles d'écriture" furent rétablies par le clergé qui y enseigna en outre la lecture et la connaissance de la foi et de la morale chrétienne. Ces écoles demeuraient insuffisantes.

    3. Les autorités civiles créèrent alors des écoles communales ou municipales qui reçurent le nom d'écoles de grammaire ou de "petites écoles" car l'étude du latin y était moins approfondie. Il y eut également des écoles de charité ouvertes aux enfants pauvres.

    4. Tenues soit par les moines Dominicains et Franciscains, soit par des prêtres séculiers, dans toutes ces écoles, riches et pauvres, libres et serfs recevaient gratuitement l'instruction.

    5. Selon le pouvoir qui les avait fondées, évêque, seigneur, échevins, l'autorité qui en avait la haute direction était religieuse ou laïque ; les seigneurs avaient souvent cédé leur privilège au clergé, mais les échevins, gardiens des droits du peuple, conservèrent l'administration et la nomination des maîtres.

    II. Les maîtres - L'écolâtre

    1. Généralement, toutes les écoles d'une ville se trouvaient sous la conduite d'un chef nommé écolâtre. Seuls les maîtres exerçant sous les ordres des curés, dans les écoles de charité échappaient à la juridiction de l'écolâtre.

    2. L'écolâtre, souvent prêtre, parfois laïque, avait le droit d'institution et de destitution. Quelques villes importantes avaient deux écolâtres, l'un prêtre, l'autre laïque, unissant ainsi les deux autorités.

    3. En fait, l'institution des écolâtres remonte aux premiers temps du christianisme. Pendant le Moyen Age, ils enseignaient parfois, mais le plus souvent leur mission consistait à diriger l'enseignement élémentaire. Leur autorité, souvent combattue au temps des communes, redevint prépondérante quand, par crainte du protestantisme, le choix des maîtres leur fut entièrement abandonné.

    4. Quand les campagnes ouvrirent des écoles, les "Bacchants" s'offrirent pour suppléer les prêtres et les religieux qui ne pouvaient suffire. Malgré leur profonde ignorance, ils parvenaient souvent à tromper le peuple et à obtenir la direction des écoles. Allant de village en village, menant une vie vagabonde et parfois peu édifiante, ces "maîtres d'enfants" ne pouvaient exercer aucune influence salutaire.

    5. La situation des maîtres était entièrement dépendante des élèves. A Bologne, par exemple, les étudiants se réservaient le droit d'assister gratuitement à deux leçons pour choisir le maître qu'ils préféraient. Les maîtres ne pouvaient donner congé sans la permission des élèves. Ils pouvaient même être frappés d'amende s'ils passaient un passage du livre. Mais cette situation s'est améliorée lorsque les professeurs ont été rémunérés par l'état.

    III. Les méthodes et les procédés d'enseignement

    1. Le maître lisait ou dictait son cours. Le cours consistait en un commentaire d'un livre déterminé. le maître en exposait les idées principales ou engageait une discussion au sujet d'un thème choisi. C'est donc de la dialectique.

    2. Partout, les maîtres lisaient ou récitaient des livres dont les auteurs faisaient autorité. La science n'était pas enseignée directement. Chaque année, le travail des élèves consistait à copier, à étudier de mémoire, à disputer les propositions données, d'abord avec les condisciples puis avec les aînés. Il n'y avait jamais d'exercices écrits. Rien n'était fait pour la connaissance de la littérature ni la préparation du style.

    IV. La discipline

    1. La législation et les mœurs de l'époque étaient rudes. L'éducation devait s'en ressentir. L'esprit d'ascétisme portait à punir la chair, même avec rigueur. On ne connaissait que la contrainte pour vaincre la légèreté de l'enfant et éloigner les occasions de faillir.

    2. La méthode et l'attrait manquant à l'enseignement, c'était au jeûne, au cachot, au bâton et au fouet jusqu'à l'âge de 13 ans que les maîtres recouraient habituellement pour obtenir le travail.

    3. Personne ne songeait à se plaindre et l'immunité était garantie aux maîtres. Les professeurs auraient dû modifier leur mode de punition en réfléchissant à son insuccès. Même les conseils de saint Anselme (1033 - 1109), archevêque de Cantorbéry, d'employer la douceur, de recourir à la bonté et à l'indulgence plutôt qu'à la crainte, ne furent pas entendus et les fouets ne firent que s'allonger !

    4. A part les jours de réjouissances où nul frein n'arrêtait les élèves, la vie scolaire était sombre. La crainte seule présidait à la discipline. Si les verges pouvaient dompter momentanément le corps, on oubliait qu'elles ne pouvaient inspirer l'obéissance et encore moins améliorer l'âme.

    5. Après l'âge de 13 ans, l'excommunication et l'amende remplaçaient le bâton et le martinet. Le fouet ne fut introduit dans les collèges qu'au 16ème siècle. Il n'y avait donc aucune récompense. Seul un ordre de mérite était établi pour aller chercher la licence auprès du chancelier. ce n'est qu'à la renaissance que les distributions de prix furent introduites.

    Chapitre IV : Les écrivains pédagogiques du 13ème au 15ème siècle

    I. Vincent de Beauvais

     * Titre IV - Les institutions éducatives au début du 15ème siècle1. Parmi les écrivains pédagogiques du 13ème siècle, il nous a paru intéressant de mentionner le dominicain Vincent de Beauvais. Vincent de Beauvais est un frère dominicain français, auteur, entre autres, d'une célèbre encyclopédie constituant un panorama des connaissances du Moyen Âge. Lecteur de saint Louis (Louis IX), il fut aussi précepteur de ses enfants. Son livre, intitulé "L'éducation des enfants royaux" traitait en 51 chapitres les points principaux de l'instruction et de l'éducation des garçons et des filles.

    2. Les idées de Vincent de Beauvais sont à mettre en relation avec les pratiques de l'époque en ce qui concerne la discipline. Il mettait l'obéissance de l'élève à la base de l'influence du maître. Il la définissait comme étant le renoncement volontaire de sa propre volonté. L'obéissance doit être joyeuse, rapide, humble, absolue et continuelle. Issue de cet ouvrage, l'idée d'obéissance s'impose aux fils des rois comme aux autres. S'ils oublient, les mêmes punitions doivent les atteindre.

    3. Vincent de Beauvais considérait l'exemple et les habitudes comme les moyens les plus favorables au succès de l'éducation. Il demandait que les enfants soient éloignés de la société des méchants, qu'on favorise la fréquentation des bons, que les maîtres soutiennent l'enfant en recourant, selon les individualités, au blâme, à la menace et enfin seulement aux châtiments corporels.

    Vincent de Beauvais n'approuvait pas les actes de violence car une trop grande sévérité aigrit et décourage. Il conseillait à l'éducateur de former la volonté et de bien la diriger. Il considérait l'éducation personnelle comme supérieure à la science acquise.

    II. Roger Bacon

     * Titre IV - Les institutions éducatives au début du 15ème siècle1. Né en 1214, Roger Bacon étudia tout d'abord à Oxford puis à Paris et entra dans l'ordre des Franciscains. Surnommé "le docteur admirable", il avait mérité ce titre pour sa science qui embrassait à la fois la théologie et les sciences naturelles, pour ses vues supérieures et pour ses découvertes.

    2. Il reprochait aux docteurs d'admirer un faux Aristote, défiguré par les traductions successives. Il suggérait un retour aux sources, une lecture du texte original des œuvres d'Aristote qu'il considérait comme un génie.

    3. Roger bacon ne se faisait cependant aucune illusion sur le résultat de ses efforts, reconnaissant que celui qui veut introduire une réforme dans la science est toujours en butte aux contradictions et arrêté par les obstacles. Rien ne pouvait décourager ce travailleur solitaire qui n'aimait à apprendre que pour enseigner.

    4. Exagérées par la voix populaire, ses découvertes le firent accuser de magie ; c'est pourquoi il passa la plus grande partie de sa vie en prison. A sa mort en 1292, on cloua ses écrits sur des planches pour en empêcher la lecture et les laisser pourrir dans la poussière et dans l'humidité.

    5. Mieux que tout autre, Roger Bacon reprocha à la scolastique sa crédulité aveugle pour Aristote et son ignorance de l'antiquité. Il désirait qu'on étudie le grec et l'hébreu dans les écoles, qu'on approfondisse la grammaire afin de comprendre les textes, qu'on envoie les savants en Italie et en Orient pour recueillir les manuscrits.

    6. Roger Bacon n'a pas formulé les lois de l'observation ni de l'induction qu'il appliquait cependant. Il proposa une réforme du calendrier mais elle ne fut appliquée qu'en 1582. Il prépara la vie à Copernic, facilita les travaux de Newton en optique par l'explication qu'il donna du mécanisme de la vision et de la réfraction notamment. Ses conceptions plus encore que ses critiques ont fait considérer Roger Bacon de Vérulam comme l'esprit le plus vaste et le plus hardi du Moyen Age.

    III. Jean Charlier de Gerson

     * Titre IV - Les institutions éducatives au début du 15ème sièclePrêtre et chancelier de l'université de Paris, Gerson est l'auteur présumé d'un ouvrage intitulé "L'Imitation". Dans la "Conduite des petits enfants au Christ", il s'efforça de ramener l'école à des moyens plus conformes à la nature.

    Estimant que les enfants sont plus facilement conduits par les caresses que par la crainte, Gerson recommandait la douceur, la patience et la vigilance. Et pour assurer cette bonté envers les enfants, Gerson souhaitait que les maîtres aiment leurs élèves comme un père aime sa famille, qu'ils leur racontent des choses agréables et évitent toute violence et surtout les châtiments corporels.

    Gerson n'oublia pas les besoins intellectuels du peuple. Dans ce but, il écrivit des livres simples en langue vulgaire. 

     

    Chapitre V : L'éducation des filles

    I. La situation au 13ème siècle

    1. Au cours des siècles précédents, seuls les couvents se sont chargés de l'éducation des jeunes filles. Cette éducation avait évidemment une direction religieuse. Dans les familles seigneuriales, le chapelain exerçait les fonctions de précepteur. La musique, la danse et la lecture des poètes partageaient, avec la religion, le temps que la chasse et les jeux laissaient libre.

    2. L'éducation des filles de la bourgeoisie était assez semblable mais plus pratique. Un fait remarquable mérite d'être signalé ici.

    On sait que la langue romane était devenue vulgaire vers le 10ème siècle. La langue d'oc n'eut qu'une durée éphémère mais la langue d'oil s'éleva et donna naissance au français. Les jeunes filles bourgeoises, abandonnant le latin, se mirent à étudier cette langue. Il faut probablement attribuer ce fait aux poètes qui écrivaient en français et dont les récits, les chansons et les fabliaux servaient de passe-temps.

    L'instruction des filles de condition modeste était fort négligée. Seules les grandes villes avaient des "petites écoles" mixtes ou uniquement ouvertes aux filles où enseignaient des maîtresses soumises à la même juridiction que les maîtres. On retrouve ce cas dans le règlement de Bruxelles de 1320.

    3. Le Moyen Age était resté indifférent à la culture des facultés de la femme. Le chevalier de la Tour Landry écrivit en 1372 un livre pour l'enseignement de ses filles. Il se limitait à donner de sages conseils destinés à leur montrer "le vrai et le droit chemin". Il leur recommandait la piété, la politesse, la modestie dans les manières et dans les habillements. Il ne s'occupait pas de leur instruction.

    II. La situation au 14ème siècle

    Le 14ème siècle est marqué par la renaissance italienne. L'Italie, terre classique des beaux-arts, ne pouvait rester longtemps indifférente à l'affaissement des sciences et des lettres produit par le Moyen Age.

    A la Renaissance, l'Italien qui avait perdu la liberté politique et la liberté individuelle, se retrouva, se mit à penser, à vouloir...

    Aussi, la cause réelle et profonde de la Renaissance italienne fut le réveil de l'âme personnelle, le sentiment que l'individu avait repris de sa valeur propre. C'est également en Italie que s'éleva la première voix en faveur de l'éducation de  la femme.

    Une Italienne, Christine de Pisan, née en 1363, s'attaqua à ceux qui prétendaient qu'il n'était pas bon que les femmes apprennent les lettres. Instruite, possédant l'histoire et la littérature, connaissant le latin et le français, elle prouva par son travail et sa conduite l'heureuse influence de l'instruction qu'elle réclamait pour les femmes et les filles.

    III. La situation au 15ème siècle

    1. La Renaissance italienne fut favorable aux femmes qui participèrent à cette éducation savante mise en honneur aux 14ème et 15ème siècles. La plupart des femmes savaient lire et écrire les deux langues classiques ; plusieurs composaient même avec une certaine élégance.

     * Titre IV - Les institutions éducatives au début du 15ème siècle2. Un auteur se place au premier rang des écrivains pédagogiques du 15ème siècle : c'est Maffeo Vegio (en latin Maphaeus Vegius) (1407 - 1458) qui occupa plusieurs hautes fonctions dans l'Eglise. Cet écrivain humaniste a laissé un ouvrage intitulé "L'Education des Enfants" ("De educatione liberorum et eorum claris moribus") : traité d’éducation en six livres, imprimé en 1491. Les trois premiers livres sont consacrés aux responsabilités des parents et des enseignants dans l’éducation des enfants, les trois autres aux devoirs des enfants, aux bonnes manières, etc. L'auteur affirme clairement la compatibilité entre l’esprit chrétien et l’étude des classiques païens. Dans cet ouvrage, il devance la naissance, montre aux parents combien leur constitution influe sur le corps et l'esprit de leurs enfants. Il y examine en détails la première éducation et les bienfaits de l'allaitement maternel.

    3. Dans cet ouvrage remarquable, Maffeo Vegio formula de bons conseils pour la discipline, préconisa à la fois l'éloge et le blâme, la bonté du maître pour éveiller l'amour chez l'enfant car l'amour seul produit la vertu.

    4. Il recommandait de ne pas changer trop souvent ni d'école ni de maître, car les jeunes esprits sont détruits par des procédés différents, de choisir un maître qui, par sa science, sa vie et ses mœurs ait acquis l'estime publique. Cet écrivain jugeait les exercices du corps comme nécessaires et utiles.

    5. Maffeo Vegio se préoccupa de l'éducation des filles et leur appliqua toutes les prescriptions qu'il avait indiquées pour les garçons. Il considérait même comme plus importants pour elles, les conseils sur l'exemple, les fréquentations et la discipline en raison des conséquences auxquelles les expose leur sensibilité.

    En dehors de l'Italie, l'éducation des filles restait stationnaire : les classes aisées confiaient leurs enfants aux couvents, les classes nécessiteuses aux petites écoles, mais partout la véritable instruction faisait défaut.

    Chapitre VI : La Belgique aux 14ème et 15ème siècles

    I. La Belgique au 14ème siècle

    1. Pendant le 14ème siècle, époque de torpeur, presque de décadence, pendant laquelle le peuple et même la bourgeoisie restèrent étrangers à toute culture intellectuelle, la Belgique ne méritait aucune mention spéciale pour ses écoles.

    2. Çà et là, des heurts opposaient les autorités civiles et religieuses pour la direction des écoles. l'enseignement était loin de profiter de ces différends.

    3. Dans la plupart des villes de Belgique, le programme d'enseignement était copié sur le règlement promulgué en 1381 par Wenceslas et Jeanne pour la Ville de Bruxelles. Ce programme comprenait la grammaire, la musique et les bonnes mœurs. 

    4. Le pays ne participait pas au mouvement que la création des universités avait produit en faveur des études supérieures. C'était à l'étranger, surtout à Paris, que les jeunes gens se rendaient pour étudier. Les écoles liégeoises, si prospères aux siècles précédents, avaient décliné et se voyaient abandonnées par les Liégeois alors que par le passé elles attiraient même les étrangers.

    II. La Belgique au 15ème siècle

    On peut affirmer que le 15ème siècle fut une époque de prospérité pour les écoles belges.

    1. Ce siècle est marqué par la fondation de l'Université de Louvain.

    Il est intéressant de souligner que la Ville de Bruxelles avait refusé l'université que Jean IV voulait établir parce que les magistrats craignaient le danger en admettant la jeunesse turbulente au milieu d'une région populeuse. C'est alors que Louvain la sollicita. L'école fut ouverte en 1426, le 7 septembre pour être précis. Elle donna aux Belges la possibilité de poursuivre des études supérieures complètes. L'Université de Louvain prit un tel développement qu'elle attira même de nombreux étudiants des pays voisins. Considérée comme une des forteresses du catholicisme, l'Université de Louvain acquit rapidement une réputation européenne.

    2. Comme aux siècles précédents, l'enseignement moyen est resté le domaine du clergé et des corporations religieuses. Les écoles latines étaient installées pour la plupart près des chapitres. Par les branches et les méthodes, ces établissements se confondaient avec les classes des universités mais elles ne préparaient pas réellement aux études supérieures. Les matières qui y étaient enseignées sont en fait peu connues. Il faut se référer à l'ouvrage "Didascalica" d'Alcuin pour s'en faire une idée. L'enseignement s'efforçait d'être encyclopédique.

    3. Depuis le 6ème siècle, des écrivains comme Boice, Cassiodore et Isidore de Séville, cherchaient à résumer l'ensemble des connaissances. Leurs ouvrages ont été des livres classiques de tout le Moyen Age. Les connaissances étaient réparties en sept disciplines fondamentales ou sept arts libéraux répartis en deux groupes : le trivium et le quadrivium.

    4. L'enseignement inférieur était en fait plus répandu. Les Jéromites avaient fondé à Liège de nouvelles écoles qui brillèrent pendant un siècle mais sans pour cela atteindre le succès des écoles latines.

    Grâce à la concurrence, le nombre et la qualité des écoles chapitrales et des écoles communales avaient augmenté. En même temps, l'organisation des études et la nomination des maîtres se réglaient, mais, comme on l'a vu au cours des siècles précédents, les maîtres offraient peu de garanties. Les programmes étaient loin de répondre aux besoins des classes populaires.

    5. Bien que le 15ème siècle ne fut pas exempt de luttes intestines occasionnées par l'ambition des ducs de Bourgogne, l'instruction se propageait en général assez rapidement. En favorisant le mouvement intellectuel, elle préparait les artistes et les écrivains qui ont illustré la Belgique à cette époque.    

    6. Les chambres de rhétorique étaient des institutions qui ont beaucoup contribué à répandre le goût de la littérature dans toutes les classes et à conserver les connaissances acquises aux écoles. Au début, ces sociétés littéraires n'étaient composées que des gens d'église, mais au milieu du 15ème siècle, elles ont admis des membres de tout rang et de toute condition.

    Certaines sociétés dites libres étaient reconnues par l'autorité, régies par les lois communes et participaient aux concours. Celles dites non libres n'avaient pas reçu la sanction officielle et ne jouissaient pas de ces avantages. Ces chambres de rhétorique étaient répandues dans tout le pays car leur nombre dépassait la centaine. Elles étaient encouragées par les seigneurs et les souverains. Elles admettaient même des femmes. Ces sociétés organisaient des concours de poésie et de déclamation, soulevaient des questions difficiles et favorisaient les deux langues nationales : le français et le flamand.

    7. L'imprimerie fit, dès 1473, de grands progrès qui contribuèrent à favoriser les lettres. Grâce à la multiplication des livres et surtout aux bonnes éditions classiques qu'il fut possible de mettre à la potée de tous, la Renaissance du 16ème siècle y trouva un sol préparé.

    Lien URL avec le Titre V : "La Renaissance et l'idéal éducatif aux 15ème et 16ème siècles" 

     

    Bibliographie partielle du Titre IV

    Bayen M. - Histoire des universités - Que sais-je ? n° 391, Paris, P.U.F., 1973

    Durkheim Emile - L'évolution pédagogique en France - Paris, P.U.F., 1969

    Lamy V. - Les grandes écoles de Bruxelles depuis les origines jusqu'à l'établissement des Jésuites et des Augustins

    Revue de l'Université de Bruxelles, 33ème année, 1924 - 1925, pages 48 - 64

    Paul Jacques - Histoire intellectuelle de l'Occident médiéval - Paris, Armand Collin, Collection U, 1973

    Renardy C. - Le monde des maîtres universitaires du diocèse de Liège (1140 - 1350) - Paris, Les Belles Lettres, 1981

    Verger Jacques - Les universités au Moyen Age - Paris, P.U.F., Collection S.V.P., 1973

     


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  • Titre III - L'éducation en Gaule

    des invasions barbares au début de la scolastique

    Chapitre I : Importance de la période

    Si cette période peut être considérée comme importante, c'est qu'elle voit se former le germe de notre système éducatif actuel.

    I. Généralités

    Il est très difficile de délimiter le Moyen Age. En effet, la civilisation antique ne disparaît pas avec la chute de l'empire romain en 476 et la fin du Moyen Age ne correspond pas avec la chute de Byzance en 1453. Ces dates sont peut-être commodes mais trop précises.

    Du seul point de vue de l'histoire de l'éducation, nous pouvons considérer trois périodes :

    a) celle qui s'étend du 1er au 7ème siècle et que l'on appelle généralement l'Antiquité chrétienne, voit la chute des écoles romaines et la naissance de l'enseignement de l'Eglise ;

    b) celle qui s'étend du 8ème au 10ème siècle, la renaissance carolingienne ;

    c) et enfin, du 11ème au 15ème siècle, la période scolastique qui verra naître les premières universités et les communes.

    II. L'Antiquité chrétienne (du 1er au 7ème siècle)

    1. Ce que nous avons rappelé au sujet de l'éducation en Grèce et à Rome a permis de déterminer le but que se proposait d'atteindre la société païenne. L'idée qu'elle se faisait de la Divinité et de l'homme avait pour conséquence de limiter les aspirations à la vie terrestre, d'élever très peu les regards et de ne guère dépasser l'existence matérielle.

    2. L'avènement du christianisme révolutionna les conceptions éducatives, jusque-là en honneur dans l'Antiquité. Le christianisme primitif est absolument révolutionnaire. Il proclame la liberté morale et religieuse de l'homme face au despotisme de l'Etat, l'égalité des hommes devant Dieu qui récompensera uniquement selon les mérites.

    Accueilli d'abord par les humbles, le christianisme gagna ensuite toutes les classes de la société saturées de plaisirs, doutant des religions officielles et ayant déjà cherché des consolations dans des religions orientales.

    L'attitude des chrétiens vis-à-vis de l'enseignement oscillait du mépris de la culture intellectuelle antique à la recherche, dans cette culture, d'éléments utiles à la formation religieuse.

    3. Aux premiers temps du christianisme, l'éducation chrétienne se fixa pour objectif la formation religieuse de l'enfant. La famille seule pouvait et devait assurer cette éducation. Des prêtres s'étant spécialisés dans cette mission ont ensuite donné aux catéchumènes les connaissances sacrées. Pendant longtemps certes, les prêtres de l'Eglise ayant été nourris des humanités classiques, accepteront la fréquentation des écoles païennes comme indispensable.

    Adversaires de la culture générale répandue par ces écoles, les chrétiens n'attendent d'elles qu'une formation élémentaire. Les matières enseignées étaient la lecture, l'écriture et le comput, évaluation qui servait à régler les temps pour les usages ecclésiastiques.

    III. La morale chrétienne

    1. C'est une morale pure, élevée, faite d'amour envers le prochain et de générosité. C'est une morale humanitaire avec ses idées de filiation divine de tous les hommes et par conséquent de fraternité universelle. La morale chrétienne se caractérise enfin par une croyance en une vie future où les mauvais seront punis et les justes récompensés.

    2. Grâce à ces idées, la religion nouvelle fit de nombreux adeptes parmi les classes populaires des villes et les esclaves d'abord, toute une classe qui avait été profondément humiliée pendant des siècles et qui était particulièrement sensible aux croyances d'espoir et de consolations.

    3. La religion chrétienne, en plaçant la patrie céleste au-dessus de la patrie terrestre heurta la société gréco-romaine avec son idéal du citoyen dévoué à la cité. Cet antagonisme explique les persécutions contre les chrétiens dont les convictions étaient dangereuses pour l'ordre social. L'échec de ces persécutions fut suivi d'un rapport entre l'Etat et la foi chrétienne. Dès lors, le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel firent alliance. L'édifice de l'Eglise s'éleva sur les débris de l'empire qui s'effondrait. L'unité de la foi se substitua à l'unité politique. 

    4. Chaque individu a une âme qu'il a le devoir de perfectionner. Il est responsable de ses actes devant Dieu. Le corps apparaît rapidement comme l'ennemi de l'âme. Il est dès lors nécessaire de le mater. C'est pourquoi apparaissent les châtiments corporels et les privations ascétiques. C'est donc à la fois en réaction contre l'importance accordée à l'éducation physique dans le monde gréco-romain mais aussi à cause de la croyance en la vie future que l'éducation physique fut abandonnée. La vie contemplative l'emporta chez les mystiques.

    IV. Les Pères de l'Eglise et l'éducation

    1. Chez les premiers chrétiens dont les écrits font règle en matière de foi se posait le problème d'accorder les nécessités de l'instruction à celles de la foi, d'accorder la culture païenne et antique à la religion nouvelle. Il fallait savoir ce qu'il faut croire pour mériter son salut.

    Qu'ils acceptent en partie l'héritage gréco-latin ou qu'ils le repoussent, le grand souci des Pères de l'Eglise, c'était de donner des règles à l'éducation chrétienne naissante.

    2.Les Pères de l'Eglise avaient été brillants sujets des écoles romaines : saint Augustin, saint Basile, saint Jérôme... Reconnaissants des études qu'ils ont pu y faire et de la culture reçue, ils conseillent aux jeunes gens les études païennes.

    En devenant chrétien, saint Jérôme déclarait "ne point vouloir cesser d'être cicéronien". Saint Augustin, dont les "Confessions" et le "Traité de la Doctrine chrétienne" contiennent des remarques portant sur l'éducation, fut le premier à s'écarter des idées larges de saint Basile et de saint Jérôme.

    L'Eglise comprit très vite la nécessité d'ouvrir des écoles où elle pût enseigner ses vérités et former des individus à la vocation ecclésiastique.

    La culture classique fut conservée mais tout ce qui ne cadrait pas avec la foi nouvelle fut cependant éliminé. Hormis la révolution morale qu'ils préconisaient, on ne rencontre dans les œuvres des Pères de l'Eglise aucune innovation pédagogique notable. 

    V. Tertulien

    Dans les trois premiers siècles, les Pères de l'Eglise dirigeaient donc l'éducation, mais ils ne donnaient que des conseils puisés dans l'Ecriture sainte, relatifs à la première enfance et aux devoirs des parents. Il était peu question d'instruction. Toutefois, Tertulien encourageait la culture littéraire. Il engageait la jeunesse chrétienne à se rendre aux écoles de grammaire païennes, suivant l'exemple des évêques qui voulaient profiter des maîtres de rhétorique pour apprendre à combattre le paganisme par ses propres armes.

    VI. Saint Basile

    Élève du rhéteur Libanus à Athènes, saint Basile (329 - 379) fut lui-même professeur de rhétorique à Césarée. Tout en reconnaissant que la littérature ancienne présentait au point de vue des mœurs de la religion des passages qu'il était préférable de passer sous silence, il estimait que les jeunes pouvaient en retirer grand profit. L'avantage de ces lectures attentives, c'était de former et de mûrir l'esprit. Le jeune homme ainsi préparé pouvait s'élever à la connaissance des vertus chrétiennes et aborder l'examen des grandes vérités de la religion. Mais ce n'est pas seulement comme moyen de développement qu'l conseilla l'étude des anciens, c'est aussi pour son enseignement propre. Certaines leçons de morale, comparées à celles de l'Ecriture sainte certes inférieures, étaient dignes d'attirer toute l'attention. Saint Basile ne voulait pas qu'on lise sans discernement : il fallait lire en vue d'un bien et éviter ce qui pourrait amener un résultat contraire.

    VII. Saint Jérôme

    1. Dans les premiers temps du christianisme, l'existence de la jeune fille était assez austère ; les Pères de l'Eglise recommandaient de fuir le monde et de vivre dans la retraite, partageant le temps entre la prière, l'étude du grec et de l'hébreu pour lire des livres saints, et le travail domestique.

    Saint Jérôme (347 - 420) éprouvait aussi cette défiance de la société en déclarant que la jeune fille ne devait pas connaître le siècle. Il considérait le cloître comme plus sûr que la famille pour cette préparation.

    2. Il préconisait d'une part une éducation rigide à l'égard de ce que la jeune fille devait considérer comme accessoire ou éviter parce que c'était dangereux, et d'autre part, une éducation douce pour ce qui concerne la vertu et ce qu'elle pouvait aimer. Il tombe cependant dans un ascétisme inutile pour atteindre son but et blâmable parce qu'il assombrit la vie. Ainsi, pour combattre la sensibilité et l'imagination de la jeune fille, il lui ordonne "de ne jamais entendre d'instruments de musique" !

    VIII. Saint Chrysostome

    Cet évêque de Constantinople (347 - 407) rappelait aux parents leurs devoirs envers leurs enfants, devoirs qui consistaient surtout à les élever pieusement. la première éducation ayant une grande influence sur la vie entière, elle devait être l'objet de tous leurs soins. Si les parents ne pouvaient s'y consacrer entièrement, saint Jean Chrysostome recommandait aux parents de confier cette première éducation aux maître des monastères dont il fit l'éloge.

    IX. Saint Augustin

    1. Personnage complexe et passionnant, saint Augustin (354 - 430) fut le témoin de l'avènement du premier empereur romain chrétien et de la chute de l'Empire sous la pression des Barbares. Profondément imprégné de la culture de l'Antiquité classique, essentiellement littéraire et avant tout latine, il marqua à son tour l'évolution de la pensée. Son érudition toute livresque le fera considérer par ses contemporains comme un grand savant.

    Homme d'église, théologien, penseur, moraliste, saint Augustin n'était pas un pédagogue. Cependant, témoin de son temps, il formula quelques remarques concernant l'éducation dans deux de ses très nombreuses œuvres : "Les Confessions" et le "Traité de la Doctrine chrétienne". Il élabora surtout une théorie de la connaissance.

    2. Saint Augustin soutient que la connaissance s'opérait au dedans de l'élève. Le rôle du maître se limitait à inviter son élève à rentrer en lui-même pour consulter la vérité intérieure. Se référant au platonisme, saint Augustin rejeta l'innéisme qui présuppose une préexistence de l'âme par rapport au corps mais admet que l'homme découvre la vérité et ne la produit pas. Pour lui, seul Dieu, maître intérieur, peut être à l'origine de la vérité et de l'accord des esprits. La vérité est toujours à notre portée grâce au maître intérieur qui nous l'enseigne pourvu que nous fassions preuve de bonne volonté.

    3. Saint Augustin a posé les bases de la tradition de la culture occidentale. Jusqu'au début du 13ème siècle, la pensée augustinienne régna dans tous les domaines de la pensée.

    X. Conclusion

    Les Pères de l'Eglise unis aux écrivains chrétiens se sont efforcés de remplacer progressivement les auteurs anciens par une littérature religieuse. Celle-ci devait favoriser l'esprit sans compromettre la foi et les mœurs. 

    Dans le même temps, la nouvelle croyance suscitait des discussions théologiques profondes. Tous ces ouvrages étaient remarquables par l'élévation des pensées et des sentiments, par la pureté de la morale.

    Si la forme ne parvenait pas à égaler celle des chefs-d'oeuvre de l'antiquité, elle était cependant parfois admirable et l'Eglise est toujours fière des productions de ces premiers siècles.

    La foi, plus que la culture générale, profitait directement de ces écrits qui, en réalité, étaient le partage d'un nombre relativement restreint de favorisés. La masse du peuple y demeurait étrangère mais grâce aux écoles, à la famille, elle participait à l'élévation morale, et si les mœurs étaient restées rudes, elles devenaient plus pures.

    On retiendra donc que l'avènement du christianisme révolutionnera les conceptions éducatives, jusque-là en honneur dans l'Antiquité. L'Eglise imposa à ses adeptes de donner aux enfants une éducation chrétienne portant uniquement sur la formation religieuse.

    Chapitre II : Des grandes invasions au milieu du 8ème siècle

    I. Les Barbares

    Après quatre cents ans de romanisation, nos régions se voient envahies en 406 par des peuples barbares : Francs, Visigoths, Ostrogoths... qui parlent une autre langue. Une nouvelle frontière linguistique se forme progressivement pour se fixer plus ou moins au 9ème siècle.

    Trèves, Cologne et Maastricht resteront longtemps des villes latines alors que presque partout la civilisation romaine est en net recul.

    Dans leur domination, ces peuples "barbares" sont souvent minoritaires dans les pays conquis. Ils constituent une classe dirigeante, une aristocratie progressivement assimilée, même linguistiquement, dans beaucoup de régions.

    La civilisation de droit coutumier et oral qu'ils apportent ne nécessite pas l'usage de l'écriture. C'est pourquoi on assiste à une décadence de la culture. De même, par leur tolérance relative, il sera possible pour la culture gallo-romaine de se maintenir dans certaines régions.

    En 476, à la fin de l'Empire romain d'Occident, on assiste à l'effondrement de l'organisation territoriale, de l'administration et des écoles, c'est-à-dire le cadre civil de l'Empire.

    II. Les souvenirs de l'Empire

    1. L'Empereur romain Constantin qui régna de 306 à 337 avait reconnu le culte catholique. L'Edit de Milan en 313 proclamait la liberté de religion. Plus tard, le catholicisme devint religion d'Etat.

    2. Rome fut choisie pour siège de la papauté.

    3. Le latin, rapidement dégénéré, variait d'une région à l'autre. A l'origine des langues romanes, le latin était aussi la langue commune de l'Eglise d'Occident. Un latin littéraire assez correct s'est cependant maintenu comme langue liturgique et comme langue de culture.

    4. L'organisation ecclésiastique s'inspirait des subdivisions administratives de l'Empire.

    III. La culture

    La culture latine et chrétienne survit dans les familles gallo-romaines fortunées, et ce encore au 6ème siècle. L'éducation est assurée par les parents ou des précepteurs. Cette situation est particulièrement vraie en Italie et en Espagne, mais on constate néanmoins une décadence de la langue.

    La culture antique est utilisée à des fins théologiques. Quelques foyers culturels privilégiés subsistent ou se développent dans les abbayes et les sièges d'évêchés des zones protégées comme l'Irlande et l'Angleterre, mais aussi dans des zones où a romanisation fut plus marquée, en Italie et en Espagne.

    IV. Les écoles

    1. Les catéchèses

    Aux premiers temps du christianisme, la famille assurait donc seule la formation religieuse des enfants. Des prêtres spécialisés donnèrent ensuite les connaissances sacrées aux catéchumènes. On organisait le catéchuménat. Les plus anciennes écoles de l'Eglise sont les catéchèses créées dans les grands centres populeux. On y enseignait les devoirs religieux aux adultes puis aux enfants.

    L'Eglise comprit rapidement la nécessité d'ouvrir des écoles où elle put préparer les fidèles à recevoir le baptême en les initiant aux vérités de la foi. Si les débuts de ces catéchèses furent modestes, leurs progrès furent rapides.

    2. Les écoles monastiques ou claustrales

    2.1. Comme les écoles ne pouvaient guère se fonder que dans les centres assez populeux et que les besoins existaient partout, saint Chrysostome chargea les moines d'en ouvrir auprès des monastères et d'y donner aux enfants une éducation chrétienne.

    2.2. En fait l'école monastique est née en Orient au 4ème siècle. On y entreprit d'abord que l'instruction des moines et des enfants qui se destinaient aux ordres. Par la suite on y admit des laïcs, élèves étrangers au monastère. les uns et les autres étaient séparés de manière à ce que la discipline ecclésiastique ne souffrit pas de cette organisation. Lorsque cette institution passe en Occident, elle connut rapidement un développement important.

    2.3. Installées obligatoirement dans l'enceinte des monastères, les écoles monastiques étaient placées sous la direction des abbés. Les moines y accueillaient des enfants de 6 à 7 ans qui y recevaient une éducation chrétienne en même temps qu'ils apprenaient à lire et à écrire au moyen de tablettes de cire et d'un stylet. Les plus instruits lisaient dans les manuscrits.

    2.4. Dès le 4ème siècle, pour satisfaire aux exigences relatives au personnel, l'Eglise ouvrit des séminaires destinés exclusivement à la formation des maîtres et des prêtres.

    3. Les écoles épiscopales ou cathédrales

    3.1. Pour compléter l'instruction des jeunes chrétiens, l'Eglise érigea des écoles épiscopales, établies dans les villes où résidait un évêque. Au début, ces écoles n'étaient pas très distinctes des écoles monastiques car beaucoup d'évêques avaient créé à leur siège épiscopal une communauté monastique.

    3.2. Egalement appelées écoles cathédrales, on y enseignait la littérature, indépendamment de la religion. Elles préparaient à la prêtrise mais recevaient aussi des laïcs. Lorsque l'évêque n'y enseignait pas lui-même, il désignait un membre de son chapitre. Ce délégué s'appelait écolâtre ou chantre et devenait directeur des études.

    3.3. Quelques chrétiens illustres, comme saint Augustin, fondirent des écoles de culture intellectuelle et s'efforcèrent de concilier l'éducation chrétienne avec ce qu'il y a de valable aux yeux de la foi dans l'humanisme païen.

    3.4. Maîtres de l'Occident, guerriers illettrés, les Barbares méprisaient la culture. Petit à petit, les écoles païennes disparurent et, au 5ème siècle, les écoles épiscopales furent les seules à subsister.

    3.5. Au 6ème siècle, la conquête de la Gaule par les Francs aggrave encore cette situation. Devant la nécessité de former le clergé, l'Eglise est devenue la seule dispensatrice des formes d'instruction encore existantes.

    3.6. A la fin de la période mérovingienne, il existait dans les cloîtres comme dans les évêchés, des écoles qui recevaient des écoliers externes se préparant aux fonctions les plus diverses.

    4. Les écoles presbytérales ou paroissiales

    4.1. Au 6ème siècle, les paroisses rurales se constituent peu à peu. L'évangélisation des masses et le besoin des prêtres firent naître une nouvelle catégorie d'institutions scolaires dont l'objectif était double : former le clergé rural et catéchiser. Ce furent les écoles presbytérales dans les quelles l'instruction élémentaire gratuite était dispensée par les curés, sous l'autorité de l'évêque et de l'écolâtre.

    4.2. La lecture était considérée comme une branche importante. Les enfants apprenaient à lire par une méthode plus ou moins globale en ce sens que les textes sacrés étaient lus et appris par cœur. L'apprentissage des lettres suivait. La discipline était stricte. A partir de cette époque, les fonctions de curé de village et de maître d'école devinrent souvent identiques.

    V. Conclusion

    1. C'est au moment où le christianisme se met à conquérir et transformer la société antique que des peuples barbares envahissent les provinces de l'Empire romain, du 5ème au 8ème siècle. 

    2. Alors que partout s'effondrent les institutions de tous ordres, l'Eglise demeure debout sur ses assises solides, recueille la culture de l'Antiquité, la conserve et la propage.

    3. Par ses écoles, l'Eglise s'imposa aux peuples barbares en choisissant parmi eux quelques convertis qu'elle instruisit pour en faire des dignitaires.

    4. Les monastères furent les derniers refuges de culture et de civilisation. C'est de là que sont issus les seuls travaux de l'époque : travaux de compilation, chroniques, biographies d'hommes religieux.

    Boèce, Cassiodore, Isidore de Séville, Dède le Vénérable, grands hommes de l'époque, possédaient tous une érudition encyclopédique et appartenaient aux ordres monastiques.

    5. Ces institutions connurent les agitations qui ébranlèrent l'Europe du 3ème au 9ème siècle.

    Des foyers de culture persistèrent en Italie, en Espagne et surtout en Ecosse et en Irlande. c'est là que deux pré-renaissances vont prendre leurs inspirations :

    • a) la renaissance caroline ou carolingienne au 9ème siècle
    • b) la scolastique aux 12ème et 13ème siècles.

    Chapitre III : La Renaissance carolingienne - Charlemagne et l'école du palais

    I. La décadence du 6ème et du 7ème siècles

    1. Les 6ème et 7ème siècles de décadence intellectuelle, furent marqués parla ruine des écoles. Les Barbares étaient en effet les maîtres de l'Occident et le christianisme était devenu le foyer unique de toute culture et les écoles païennes étaient détruites.

    L'absence de toute sécurité, la désorganisation sociale, la profonde misère où végétait une population souffrante peuvent expliquer cette décadence intellectuelle caractérisée par l'indifférence générale et le dédain pour l'instruction.

    2. L'ordonnance de Childéric prescrivant à tous les enfants d'apprendre à lire, de même que les décisions du Concile de Vaison, tout échoua devant l'anéantissement des écoles causé par les luttes sanglantes entre les fils de Clovis.

    3. Certains barbares convertis au christianisme devinrent des évêques. Les guerriers illettrés méprisaient l'instruction qui n'était plus  dispensée que par de rares monastères.

    4. Au 8ème siècle, le niveau des études était très faible en Gaule mais deux centres de culture s'étaient maintenus et développés en Italie et en Irlande.

    5. En Italie, l'ordre des Bénédictins fut amené à faire place aux études pour éviter l'oisiveté des moines.

    6. En Irlande, le christianisme avait été importé à une époque primitive et était donc d'origine orientale. Les chrétiens d'Irlande apportaient avec eux des éléments de culture grecque que le reste de l'Occident ignorait presque complètement. Dans les monastères irlandais, l'éducation intellectuelle occupait une place considérable et l'étude du grec s'ajoutait à celle du latin.

    7. Or, le moine du Moyen Age était essentiellement voyageur et c'est ainsi que les Irlandais et les Bénédictins furent mis en contact. Une lutte de prestige s'engagea. Les Bénédictins vainqueurs durent faire de multiples concessions et notamment relever le niveau de la culture qu'ils offraient à la population.

    8. Les écrivains de l'école monastique se bornèrent à compléter, à préciser les œuvres des Pères de l'Eglise en matière d'éducation. Parmi ces penseurs appartenant aux ordres monastiques, il faut citer Boèce (470 - 524), saint Benoit (480 - 543), Cassiodore (468 - 562), saint Grégoire le Grand (540 - 604). Ce dernier s'est surtout attaché à réformer le chant liturgique. Il créa une école de plain-chant. Possédant tous une érudition encyclopédique, saint Boniface (675 - 755), saint Colomban (543 - 615), saint Isidore de Séville (570 - 636) et Bède (673 - 735) se sont peu préoccupés d'écrire des traités de pédagogie. Ils ont traduit des ouvrages anciens et mis les doctrines philosophiques et scientifiques à la portée des étudiants. Malgré l'essaimage des écoles tant irlandaises que bénédictines, il manquait en Europe un organe central. Cette concentration des énergies intellectuelles fut l'oeuvre de Charlemagne.

    II. Charlemagne (768 - 814)

    On sait que les derniers rois Mérovingiens avaient abandonné leurs prérogatives aux maires du Palais. L'un d'eux, Pépin le Bref, détrôna son souverain. Le Pape le sacra roi. Le fils de Pépin le Bref, Charlemagne eut l'intelligence de s'entourer d'esprits éclairés tels Alcuin et Eginhard, biographe de l'empereur.

    III. La "Renaissance caroline ou carolingienne"

    1. En raffermissant le pouvoir central, en faisant respecter son autorité et celle de ses représentants, en fortifiant l'Eglise et en assurant à tous ses Etats un certain calme, Charlemagne permit à l'activité intellectuelle de reparaître.

    2. On parle donc de "renaissance carolingienne" parce qu'elle est due à la volonté de l'empereur et en rapport avec la formation et le développement de l'empire. Elle se caractérise par une tentative de coup d'arrêt à la décadence et par l'importance accordée à la pureté de la langue pour améliorer la compréhension commune.

    3. Charlemagne prit directement en mains la cause des lettres et, grâce à diverses mesures, produisit une véritable renaissance. Ayant subi le charme qui attire tous les esprits supérieurs vers la science, Charlemagne aimait l'instruction pour lui et pour les autres. Ses lettres circulaires et ses capitulaires contenaient de nombreuses recommandations en matière d'enseignement. Charlemagne lui-même se mit à étudier le grec. Ainsi, sous son impulsion et avec l'aide de quelques évêques, l'empire de Charlemagne se couvrit d'écoles cathédrales, monastiques et presbytérales. L'école du Palais fut le centre culturel de l'empire. Cette école, qui fit de la cour une société instruite, reçut également le nom d'Académie palatine.

    4. C'est avec l'aide du bénédictin anglais Alcuin (735 - 804) dont la culture était encyclopédique, que l'empereur réorganisa d'une part l'enseignement de la grammaire, de la dialectique et de la rhétorique qui constituent le trivium, et d'autre part celui de l'arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l'astronomie qui constituent le quadrivium. Alcuin écrivit des ouvrages d'éducation sous forme de dialogues que les étudiants devaient mémoriser. On qualifie cette forme de catéchétique. Cette forme d'éducation est donc toute formelle avec son caractère verbal et mémoratif.

    5. Le travail des moines consistait à copier les ouvrages rares. Le plus grand service qu'Alcuin rendit aux lettres, c'est d'avoir corrigé les manuscrits. En effet, les copistes ignorants ou négligents des 7ème et 8ème siècles avaient tout à fait dénaturé les textes sacrés et profanes. Alcuin s'efforça de les rétablir dans leur pureté primitive et les fit recopier avec soin. Tout en multipliant les ouvrages, il les ramena à leur forme correcte. Il releva la grammaire et l'orthographe menacées de corruption. Grâce à lui encore, l'écriture caroline remplaça l'ancienne écriture capitale romaine en pleine dégénérescence. Ainsi les arts renaissaient, mais ce renouveau ne se prolongea guère au-delà de la mort de l'empereur. 

    Chapitre IV : De la fin du 9ème siècle à la fin du 12ème siècle

    I. Nouvelle décadence, nouvelle renaissance

    La période qui va de la mort de Charlemagne à la fin du 12ème siècle peut en fait se scinder en deux parties.

    1. Une première période, qui s'étend de la fin du 9ème siècle jusqu'à la première moitié du 10ème siècle, est une période de décadence qui se justifie par l'éclatement de l'Empire carolingien en 843 d'une part, et par les invasions normandes et hongroises, d'autre part. La mort de Charlemagne survenue en 814 et la période de trouble qui la suivit furent funestes aux sciences et aux lettres. Si la dissolution de l'empire détruisait brusquement l'oeuvre des cinquante ans d'efforts de l'empereur, il n'en fut pas de même de la renaissance qu'il avait provoquée.

    2. Une deuxième période, qui s'étend de la deuxième moitié du 10ème siècle jusqu'à la fin du 12ème siècle, est caractérisée par une nouvelle renaissance qui voit le développement de foyers culturels comme Chartres, Reims, Paris et Laon.

    3. Le 12ème siècle se caractérise par une véritable fermentation intellectuelle qui s'explique par les Croisades et les grands voyages par la route des épices. C'est à ce moment-là que l'on redécouvrit Aristote à travers les écrivains arabes et que l'Occident découvrit la science arabe, la mathématique et la géographie. Cette renaissance est aussi à mettre en rapport avec l'essor démographique, le développement des villes et le renouveau commercial et économique.

    4. Le développement progressif des marchands, des commerçants, des armateurs a aussi favorisé à ce moment un regain d'intérêt pour une civilisation de l'écriture : comptes, contrats, droit écrit.

    II. La décadence des écoles

    Le fils de Charlemagne, Louis, occupé par des difficultés politiques et les réformes des monastères, négligea l'instruction du peuple.

    L'école du palais, privée de la protection qui lui était indispensable, cessa de briller, mais l'ombre ne fut que momentanée car, un peu plus tard, Charles le Chauve y attira des savants étrangers et lui rendit son prestige.

    Ce recul momentané de la culture s'explique par l'état d'insécurité permanent, les guerres intestines, le brigandage, l'effondrement de l'empire, ainsi que les dernières invasions sarrasines et normandes.

    C'est dans les monastères que l'on rencontre la culture. On y trouve de riches bibliothèques et de vastes salles de travail où des calligraphes habiles transcrivent des manuscrits, ainsi que des écoles ouvertes à ceux qui avaient soif de science.

    Les écoles paroissiales assuraient un enseignement élémentaire à de rares enfants. L'éducation du grand nombre n'existait pratiquement pas et le peuple des campagnes était illettré.

    Les 9ème et 10ème siècles sont donc des périodes de profonde ignorance et le 10ème siècle passe pour avoir été le plus pauvre au point de vue du nombre des écoles et de leur enseignement.

    III. Naissance du monde féodal

    L'oeuvre de Charlemagne disparut donc sous les invasions nordiques des 9ème et 10ème siècles. Elle permit cependant de constituer un chaînon de la civilisation.

    Les incursions qui s'abattirent sur la Lombardie, la Bavière et la Lotharingie notamment furent les dernières invasions importantes avant l'arrivée des Turcs.  L'autorité défaillante des Carolingiens fut ruinée à jamais.

    Les grands propriétaires organisèrent dès lors la défense de la population : comtes, abbés et évêques élevèrent des murailles et des enceintes autour des refuges et des cités épiscopales.

    Les chefs locaux en profitèrent pour substituer leur autorité à celle du roi. La souveraineté se morcela entre tous les grands féodaux et c'est ainsi qu'un nouveau monde est né : le monde féodal.

    IV. Le régime féodal et l'éducation seigneuriale

    1. Le régime féodal s'établit donc sur les ruines de l'empire de Charlemagne. Il se caractérise par un état d'insécurité permanent, le brigandage et les guerres intestines.

    2. La force, seule considérée, remit en honneur l'éducation physique et les exercices propres à la favoriser. Auparavant, le corps, objet de mépris, était négligé. Mais pendant ces siècles chevaleresques, comme à Sparte, les courses, les sauts, les luttes, le maniement des armes, les exercices à cheval, les tournois occupaient les loisirs, mais l'esprit restait inculte.

    3. Les seigneurs et leurs conseillers ne savaient ni lire ni écrire. Les fils des seigneurs recevaient une éducation à caractère militaire portant sur le maniement des armes, de l'arc et de la lance, l'équitation et les exercices physiques violents.

    V. Les étapes de l'éducation seigneuriale

    D'abord au service des dames, le fils du seigneur est page puis damoiseau. A 15 ans, il devient écuyer au service d'un chevalier, ami de son père. A 20 ans, il est sacré chevalier au cours d'une cérémonie brutale : l'adoubement. Après avoir reçu son armement complet, le jeune homme était frappé d'un coup de poing au bas du crâne, ce qui s'appelle aussi recevoir la collée.

    VI. L'évolution culturelle das les cours seigneuriales

    Une ébauche de civilisation vit le jour dans les cours seigneuriales où les récits épiques, les chants et la tradition orale venaient distraire les habitants du château de leurs préoccupations guerrières. Peu à peu, la société féodale laisse une place à la politesse des manières et à la culture esthétique. Le damoiseau devait savoir parler avec respect au seigneur, avec galanterie aux dames. Il devait aussi exceller au jeu d'échecs, savoir chanter et jouer de la harpe. Il s'agit de l'idéal courtois de la chevalerie. Cependant, il n'est pas question de lire ou d'écrire.

    VII. L'éducation des filles

    Les jeunes filles recevaient une éducation plus délicate.Elles apprenaient souvent à lire et à écrire. Elles apprenaient les légendes, les chants. On rendait hommage à leurs connaissances.

    VIII. La famille

    Nous avons vu quelle était l'importance de la famille à Rome au point de vue du fait éducatif. Qu'en est-il au 10ème siècle ?

    Il serait injuste de refuser à cette époque tout progrès. En effet, la famille, cet important élément d'éducation, parait avoir profité des troubles et du manque de sécurité.

    Si la vie extérieure était agitée, la vie intérieure voyait se resserrer les liens de ceux que les mêmes dangers menaçaient. La mère de famille, tout à ses enfants, les élevait ainsi que les mœurs de l'époque le réclamaient, c'est-à-dire dans une grande sévérité. Elle éveillait dans ses fils les sentiments d'honneur et dans ses filles la piété. Elle veillait surtout à entretenir l'idée d'union familiale. D'un point de vue méthodologique, elle usait plus d'exemples que de préceptes.

    Chapitre V : La scolastique

    I. Les origines de la scolastique

    1. Au 11ème siècle, les controverses théologiques avaient ranimé les religieux. Quelques hommes remarquables se mirent à étudier la philosophie. C'est ainsi que les lettres et les sciences sortirent du sommeil où elles avaient été plongées les siècles précédents.

    2. Dès l'an 1000, quelques écoles cathédrales et monastiques furent rétablies, mais étant donné l'ignorance des langues et de la littérature classiques il fallait bien se limiter à quelques textes faisant autorité.

    3. Les maîtres de l'époque négligeaient le plus souvent l'examen des faits eux-mêmes, ne s'attachant qu'à en montrer la vérité par des syllogismes et oubliant que la véritable étude littéraire et scientifique se base sur l'examen, la discussion et l'appréciation. C'est à cette manière d'étudier la philosophie et la théologie que l'on a donné le nom de scolastique, mot dérivé du latin "schola", l'école.

    4. Selon certains auteurs, la scolastique serait née à l'époque de Charlemagne, du peu d'instruction de ceux qui prétendaient expliquer les textes, sans pouvoir s'attacher au fond. prenant pour base des vérités échappant à toute contestation, la scolastique déduisait d'autres vérités religieuses ou morales, à l'aide de syllogismes.

    5. En théorie, la scolastique rapportait tout au texte sacré commenté et expliqué dans les siècles précédents. En philosophie, elle rapportait tout aux écrits de Platon et d'Aristote. C'est en effet dans la seconde moitié du 12ème siècle que les ouvrages d'Aristote ont été ramenés de Constantinople et d'Espagne.

    6. Les maîtres n'expliquaient ni les faits ni les arguments invoqués. Ils les reliaient par un raisonnement qui ne permettait aucune critique. Bien que la dialectique était serrée et que la suite des propositions était inattaquable, cette exactitude n'empêchait pas les prémisses d'être parfois complètement fausses quand ce n'était pas tout le raisonnement.

    II. La scolastique

    Nous avons vu que l'Eglise n'avait jamais cessé de former ses futurs ministres en son sein. C'est la science de ses écoles qui constituait la scolastique. Elle correspondait à l'enseignement philosophique tel qu'il était pratiqué au Moyen Age. Sa principal caractéristique est la subordination de la philosophie et de la dialectique de la théologie. Le dogme étant immuable, il est donc rigoureusement impossible de discuter le fond des idées qui doivent toutes être empruntées de l'autorité de l'Eglise. Par contre, toute liberté est laissée à la forme de l'exposé, forme qui prend dès lors une valeur en soi : chaque exposé comprend des questions, des objections, des arguments et la solution.

    III. L'enseignement au 12ème siècle

    Au 12ème siècle, l'enseignement reste toujours essentiellement clérical. Les types d'écoles sont toujours semblables. Les écoles épiscopales atteignent parfois un niveau supérieur. C'est le cas de Chartres, généralement considérée comme un foyer intellectuel. Les écoles de Saint-germain des Prés, de Sainte-Geneviève et de Saint-Victor de Paris, entre autres, sont des écoles monastiques. Mais à côté de ces écoles typiques existait parfois un enseignement "sauvage" auquel se rattache le nom d'Abélard.

    IV. Abélard

    Élève de Guillaume de Champeaux, écolâtre à l'école épiscopale de Paris, Pierre Abélard fut l'illustre promoteur de la scolastique, cette méthode de dialectique promise à un beau succès. Dans son ouvrage fondamental "Sic et non", Abélard mit au point une dialectique par arguments pour et contre. C'est une juxtaposition de textes faisant autorité mais affirmant des vérités antinomiques. Cette façon de soutenir le pour et le contre inquiéta les théologiens de l'époque qui virent en elle le germe de futurs scepticismes. Condamné, Abélard finit par se soumettre.

    Son enseignement recueillit un énorme succès. A 24 ans, il ouvrit une école. Son éloquence et sa force de dialectique attirèrent jusqu'à cinq mille auditeurs. Il brilla à la fois comme grammairien, orateur, poète, musicien, philosophe et plus spécialement comme théologien. Le rassemblement de tant d'étudiants suscita l'ouverture de nombreuses écoles non seulement à Paris mais aussi dans sa banlieue.

    V. La civilisation musulmane et son influence

    1. En 622, la retraite de Mahomet à Médine, la ville du prophète, fut l'origine de l'Hégire (= séparation). A la mort du prophète, dix ans plus tard, les diverses tribus arabes avaient adopté l'islam et l'Arabie était unifiée.

    2. Le monde de l'islam (= résignation) s'étendit au 7ème siècle : la Syrie devint musulmane après la prise de Damas (635) et de Jérusalem (638) ; l'Egypte passa en mains arabes après le siège d'Alexandrie (642) dont la fameuse bibliothèque des Ptolémées disparut alors dans les flammes ; la prise de la Tripolitaine (643) ouvrit la route de la Mauritanie.

    3. Les Sarrasins, musulmans (= soumis à la volonté de Dieu) fanatiques et pillards, se répandirent en France. Charles Martel (685 - 741) triomphe des Arabes à Poitiers (732), ce qui permit à la civilisation chrétienne de se maintenir jusqu'à nos jours en Europe occidentale. Les Arabes, commandés par Abed al-Rahmen refluèrent vers l'Espagne où l'empreinte de leur civilisation est encore visible (Séville).

    4. En un siècle, l'Empire arabe s'est étendu de l'Arabie à l'Inde et aux confins de l'Asie centrale chinoise d'un côté, et à l'Espagne de l'autre. Souffrant de rivalités dynastiques et religieuses, l'Empire arabe se désagrégea en trois états à la fin du 8ème siècle : le califat de Bagdad, le califat du Caire et le califat de Cordoue.

    5. Le peuple arabe se pénétra des connaissances des empires vaincus et son mérite, c'est de les avoir communiqués aux peuples qu'il domina. En conséquence, sa langue eut la valeur d'une langue universelle.

    6. La civilisation musulmane atteignit son plein développement aux 9ème et 10ème siècles. Elle emprunta aux peuples soumis de nombreux éléments de leurs connaissances techniques, scientifiques et artistiques. A Bagdad, les connaissances scientifiques de l'Inde pénétrèrent avec les produits orientaux.

    7. Aux 11ème et 12ème siècles, la chrétienté occidentale partit en croisade contre l'islam. le bénéfice que l'Europe retira de sa victoire ne fut pas seulement d'ordre matériel. Alors que jusqu'ici l'Europe n'avait guère vécu que sur les vieux fonds des idées héritées soit directement de saint Augustin, soit indirectement de Platon par les néo-platoniciens, elle retrouva soudain Aristote grâce à l'oeuvre considérable des commentateurs arabes.

    8. Grâce aux traducteurs syriaques, les Arabes connurent les œuvres des Grecs Euclide, Galien, Aristote et Platon notamment. Les Arabes n'ont guère laissé que des commentaires des œuvres grecques. C'est Ibn Rochd, lettré arabe mieux connu sous le nom d'Averroès, qui fit une traduction de l'oeuvre d'Aristote. Aussitôt la scolastique s'en empara.

    9. C'est donc par leurs traductions que les Occidentaux connurent la philosophie d'Aristote mais aussi la géométrie d'Euclide, la géographie de Ptolémée et la médecine d'Hippocrate. Ainsi nous furent transmis par l'intermédiaire des Croisades, de nombreux textes anciens dont l'original a aujourd'hui disparu.    

    10. Les théories arabes en ce qui concerne l'algèbre, la physique, l'astronomie, développées en Espagne par les célèbres écoles de Cordoue, se propagèrent dans les universités du Moyen Age chrétien. Leurs connaissances géographiques, basées sur les voyages se répandirent en Europe au 12ème siècle.

    C'est donc grâce aux peuples arabes qu'une part importante de l'apport antique fut sauvée. Cet apport, ils le développèrent dans les écoles qu'ils établirent auprès de chaque mosquée et surtout dans les institutions d'enseignement supérieur qui se créèrent dans les grandes villes où leur libéralisme permettait d'enseigner aussi bien à des juifs ou à des chrétiens qu'à des professeurs musulmans.

    En Espagne fleurirent les écoles célèbres de Tolède, Séville, Valence, mais surtout celle de Cordoue où enseigna Averroès qui exerça une très grande influence sur la philosophie médiévale. Les étudiants itinérants d'Europe vinrent y découvrir Aristote dont nous savons l'influence sur la théologie chrétienne. Des traductions latines des livres arabes ont été réalisées et ainsi, d'Espagne, le savoir gréco-arabe se répandit peu à peu en Europe.

    11. Les Arabes, ayant mis l'Occident en contact avec l'Orient, nous apportèrent le papier et la boussole que connaissaient déjà les Chinois, ainsi que l'usage du zéro des Hindous, qui permet la numération de position. Dès lors, les chiffres dits "arabes" facilitèrent nos calculs.

    Dans le domaine intellectuel, l'avance des Arabes sur l'Occident s'est maintenue jusqu'au 14ème siècle.

    VI. La vie intellectuelle des musulmans au Moyen Age

    1. Au 10ème siècle, il y a de grands changements dans le domaine de l'enseignement. Jusqu'alors, l'Orient médiéval n'avait eu comme école que les leçons de catéchisme données aux enfants. Antérieurement au 10ème siècle, il n'y avait pas d'enseignement public organisé. Tout le monde se contentait d'apprendre le dogme, la pratique de la religion. Quelques rudiments de calcul et d'écriture étaient enseignés. les souverains, les théologiens connus étudiaient seuls la philosophie et les sciences.

    2. La shi'ah, parti démocratique et populaire de l'opposition, fut la première à organiser l'instruction publique. Ce parti préconisa l'émancipation du peuple et était contre les sacro-saintes autorités de l'orthodoxie. Pour pouvoir critiquer les dogmes et les principes d'autorité, il fallait s'adonner à l'étude des sciences exactes et de la philosophie. Ces opposants créèrent peu à peu un système de dialectique politico-religieuse appelé le kalâm ou le discours. Ils furent ainsi amenés à élaborer un enseignement encyclopédique. l'étude de chaque science permit d'accéder à l'étude de la "vraie science" ou théologie et droit shi'ites. Ce travail encyclopédique nous est parvenu sous le nom de "Discours des Frères sincères". Il fut largement diffusé. En dehors de cette encyclopédie, il existe un grand nombre de traités sur diverses matières : sciences mathématiques et astronomiques, sciences chimiques et physiques.

    3. C'est à partir de la shi'ah que furent organisées les premières écoles. Déjà à cette époque, les enseignants se rendaient compte que la "science" ne pourrait être assimilée également par tous ; ils établirent plusieurs degrés d'instruction à la façon des manichéens imitateurs des Chinois.

    Environ 75 ans plus tard, les califes et les sultans orthodoxes créèrent à leur tour le système d'instruction publique mais dans un esprit opposé à la shi'ah et avec des visées réactionnaires ou shafi'ites.

    4. Les écoles primaires eurent un programme quotidien bien établi. Il comportait deux parties :

    • a) l'étude du catéchisme, l'enseignement du Coran, la lecture, l'écriture  ;
    • b) l'histoire de l'islam et du pré-islam, la poésie, la grammaire, l'éloquence, le vocabulaire, la dictée, la calligraphie, l'arithmétique. 

    Cette deuxième partie était facultative.

    Certaines réformes ont été proposées, telles que l'enseignement de la culture physique, la natation, le tir à l'arc, le saut à la corde, mais elles ne furent pas intégralement appliquées.

    5. Dès l'âge de 7 ans, les enfants se rendaient à l'école. Les études primaires duraient 5 ans. Les instituteurs étaient soigneusement sélectionnés. Ils devaient avoir une connaissance de la psychologie de l'enfant, posséder une instruction leur permettant d'enseigner ; ils devaient être mariés et faire preuve d'autorité. Les écoles n'étaient pas mixtes. Elles étaient en général payantes bien que l'on en signale des gratuites dans les Etats andalou, ayyabide, en Syrie et en Egypte.

    Le matin, l'instituteur faisait d'abord lire jusqu'à 10 heures. De 10 à 12 heures, il enseignait l'écriture. Des versets du Coran étaient épelés, puis chantés et recopiés. Puis venait la récréation. L'instituteur apprenait à réciter la prière.

    A la maison, les enfants devaient toujours répondre "j'entends et j'obéis" : il leur fallait respecter leurs parents.

    Le jour de congé hebdomadaire était le vendredi. Il y avait des vacances plus ou moins longues à l'occasion des fêtes religieuses.

    Les connaissances techniques étaient apprises dans les ateliers, les corporations, sur les chantiers, dans les casernes, les laboratoires où avaient lieu des expériences sur les métaux, les sels, les acides.

    6. L'enseignement secondaire se donnait dans des "collèges". On en signale en Iran, à Nishapur à la fin du 10ème siècle ; en Egypte.

    L'enseignement secondaire était gratuit ; chaque élève recevait de l'argent destiné à payer sa nourriture, son éclairage, son logement.

    Le vizir Nizam Al-Mulk fonda à Bagdad en 1065 un collège de grande renommée.

    Le corps enseignant de même que les élèves devaient appartenir à la secte shafi'ite exclusivement. Tous les professeurs étaient des imams. Les matières enseignées concernaient les sciences coraniques, la jurisprudence shafi'ite, les traditions prophétiques, le droit shafi'ite, la philologie de la langue arabe, la littérature, l'histoire, la géographie, l'archéologie, l'ethnographie, les mathématiques, la chimie, le dessin géométrique, la musique. Des écoles de ce genre furent multipliées dans les principales villes.

    7. A Bagdad, vers 1227, le calife créa un centre interislamique des lettres, des arts, du droit, de la science appelé "la Mustahsiriyya". Celui-ci comportait quatre iwâns ou grandes salles de conférences pour l'étude du Coran et de la tradition prophétique. Il y avait une grande bibliothèque et plusieurs départements : médecine, sciences naturelles, pharmacie. ce centre interculturel fut imité par l'Occident. l'Université de Paris au Moyen Age réunissait aussi quatre nations de la chrétienté occidentale. L'aspect international de ce type d'organisation peut être comparé à l'Unesco.

    Les élèves accédaient à ces centres par voie de concours. Après avoir réussi leurs études, ils avaient accès aux plus brillants postes : diplomates, professeurs, magistrats.

    8. En guise de conclusion, nous pouvons estimer que du 10ème au 13ème siècle, l'instruction publique était bien répandue au Moyen-Orient et aussi en Indoustan, en Egypte, en Afrique du Nord et en Espagne. la moitié des gens savaient lire et écrire. Dix pour cent de la population avaient de bonnes connaissances générales.

    Dans l'islam, il n'y a pas de différence entre la science et la foi. Tout dans la nature étant signe de la présence divine, la connaissance de la nature devient, comme le travail, une forme de prière, un accès à la proximité de Dieu. Tout peut être envisagé comme relevant du sacré.

    Le monde occidental n'est pas seulement l'héritier de la civilisation gréco-romaine et judéo-chrétienne : il est aussi l'héritier de la civilisation arabo-islamique.

    VII. L'aristotélisme

    La scolastique s'était donc emparée de la traduction de l'oeuvre d'Aristote. Malgré l'interdiction des théologiens du 12ème siècle, l'aristotélisme triompha au siècle suivant dans les écoles religieuses. La scolastique entama alors sa deuxième époque, la plus brillante par la valeur de ses penseurs.

    Les écoles se multiplièrent dans des proportions qui rappellent celles de la renaissance carolingienne.

    Le syllogisme aristotélicien qui fut à la base de grands maîtres comme Roger Bacon, saint Thomas d'Aquin et Raymond Lulle, prit à son tour une valeur en soi, à partir du 14ème siècle.

    Puisque la forme comptait plus que le fond, la scolastique sombra dans le verbalisme.

    VIII. Inconvénients, avantages et influence de la scolastique

    1. On se rend bien compte que cette méthode n'était guère favorable aux progrès, aux découvertes ni à l'activité intellectuelle.

    Obligeant d'admettre comme vrais des textes qui pouvaient être inexacts, faux ou mal compris, la scolastique entraînait même dans des erreurs qui, fortes de leur ancienneté, ne sont déracinées qu'avec peine. Ainsi, la circulation du sang décrite par Harvey, le mouvement de la terre dépeint par Galilée, contraires aux dires d'Aristote, durent attendre des temps meilleurs pour être reconnus et admis.

    2. Il est donc permis de reprocher à la scolastique de n'avoir rien fait pour l'avancement des sciences. Elle les a subordonnées à des règles monotones et formalistes qui les enveloppaient dans un cercle impossible à franchir. Elle dessécha des grandes intelligences en les arrêtant à des discussions de mots, mais elle eut cependant une influence salutaire.

    3. En exigeant la rectitude de la forme, la scolastique fixait le sens des termes, obligeait à raisonner juste et habituait à parler. l'esprit, forcément excité par la controverse gagnait en souplesse. Les disputes entre professeurs et élèves ou entre condisciples étaient orales et avaient du bon pour le développement entier de ceux qui y prenaient part.

    4. Le Moyen Age n'a donc pas entravé la liberté de penser car, si la liberté devait respecter certaines croyances, elle pouvait s'exercer librement sur d'autres points reconnus sans danger pour la foi et les mœurs. L'esprit jouissait d'une indépendance favorable à lui-même et aux sciences.

    5. Ce furent les exagérations de la scolastique, les erreurs qu'elle engendra et les critiques d'écrivains comme Rabelais et Montaigne qui la tuèrent.

    6. Si, au début, la scolastique méritait l'attention parce qu'elle était un progrès, dans la suite elle devint si exclusive et tyrannique qu'on peut se demander si elle n'aurait pas arrêté la renaissance au 16ème siècle si elle l'avait emporté.

    7. Lasse d'opposer l'autorité de l'Eglise et celle d'Aristote dans les veines querelles de mots, la philosophie se sépara peu à peu de la théologie et prit un nouvel essor dès la Renaissance.

    8. Les écrivains de la Renaissance ont trop souvent jugé l'époque de la scolastique par des critiques acerbes, se souvenant sans doute de sa phase décadente, le plus proche d'eux.

    9. L'influence de la scolastique semble tout aussi importante sur le plan pédagogique : sa logique rigoureuse a été un instrument qui a hâté le progrès des recherches ultérieures. Elle a rendu possible la Renaissance par l'échec même de ses prétentions philosophiques. S'efforçant de rendre la foi rationnelle, elle a préparé, sans le désirer, une voie nouvelle à l'esprit critique.

    10. Les œuvres de Platon et Aristote ayant connu au Moyen Age un tel succès que, intégrées de nouveau à la haute culture, on peut les considérer comme le germe de l'humanisme du 16ème siècle. En multipliant les écoles, en préparant le développement des universités, la scolastique a construit le cadre solide de l'humanisme renaissant.

    Chapitre VI : La Belgique pendant le Moyen Age

    1. L'introduction du christianisme en Belgique a amené la fondation de diverses écoles. Celles établies près des monastères fondés par saint Amand et saint Eloi comprenaient deux classes :

    • l'intérieure pour les clercs ;
    • l'extérieure pour les enfants de toutes conditions. On y voyait même des serfs !

    2. A la suite des ordonnances de Charlemagne, des écoles chapitrales et claustrales furent élevées. Les plus renommées se trouvaient annexées aux monastères de Lobbes et de Gembloux.

    3. Il en fut de même pour les écoles dépendant des églises de Liège, fondées vers l'an 800 par Gerbalde, évêque de Tongres. Ces dernières écoles furent favorisées par tous les évêques dont Notger, mais surtout par Francon, élève de l'école du palais de Charlemagne, dont le succès comme rhéteur, poète et musicien, attira les jeunes de toute l'Europe. Ces écoles ont formé bon nombre d'hommes illustres. Jusqu'au 11ème siècle, leur réputation fut grande à l'étranger.

    4. Pendant les 9ème, 10ème et 11ème siècles, une période de décadence pesa sur presque toute l'Europe. Si notre pays en souffrit beaucoup, il fut l'un des premiers à se relever et à montrer les divers pouvoirs en lutte pour s'assurer la direction de l'enseignement.

    5. La différence d'origine amena de ville en ville une grande diversité dans la législation scolaire. Les luttes des communes avec leurs princes vont y apporter également des modifications selon le parti vainqueur. Ainsi à Gand, comme les écoles étaient situées dans le bourg, elles se trouvaient depuis bien longtemps sous l'autorité exclusive du comte qui remettait ce droit aux chanoines de Sainte-Pharaïlde. A Ypres, toutes les écoles, sauf les écoles supérieures fondées et dirigées par les chanoines de Saint-Martin, étaient libres.

    6. Le règlement de Bruxelles, daté du 28 novembre 1320, interdisait à toute personne de donner l'instruction dans sa ville ou dans sa franchise sans y avoir été autorisée par l'écolâtre ou le recteur des écoles supérieures. Les écoles devaient être réparties par quartiers de manière qu'elles se trouvent à une distance convenable les unes des autres.

    7. L'écolâtre avait le droit d'examiner les aspirants aux fonctions de maître ou de maîtresse d'école, de les destituer et d'inspecter les classes.

    8. Le programme dans les écoles inférieures était strictement limité aux connaissances élémentaires.

    9. Dans les écoles supérieures, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, l'enseignement comprenait la morale, la grammaire et la musique.

    10. Au fur et à mesure que les communes se sont fortifiées vis-à-vis des princes ou des évêques, la bourgeoisie, qui était représentée par les échevins, prit une part de plus en plus importante et active à la construction, à l'administration et à la surveillance des écoles.

    11. Si la plupart des maîtres étaient des "clercs-chantres" ou des sacristains de paroisses, il y eut aussi des laïques. Ainsi à la fin du 15ème siècle, les écolâtres d'Anvers étaient laïques. C'étaient d'anciens échevins et tous formaient une gilde ou confrérie rangée parmi celle des artisans.

    12. Dès le 13ème siècle, des corporations religieuses enseignaient les travaux manuels. En 1290, les Bogards apprenaient à tisser la laine et fondèrent une école où 150 jeunes gens s'exerçaient à différentes professions.

    13. Au 13ème siècle, alors que nos pays voisins organisaient les hautes écoles qui devaient être un stimulant puissant pour l'élévation générale des esprits, la Belgique, par contre, resta en arrière, car aucune université n'y fut fondée, ce qui obligea les jeunes gens à se rendre à l'étranger.

    Lien URL avec le Titre IV : "Les institutions éducatives au début du 15ème siècle"

    Bibliographie partielle du Titre III

    Aly Iazaheri - La vie quotidienne des musulmans au Moyen Age - Paris, Hachette, 1951

    Bennani Boubker Jalal - L'islamisme et les droits de l'homme - Lausanne, Editions de l'Aire, 1984

    Compayré Gabriel - Histoire critique des doctrines de l'éducation en France - Tome I, Paris, Hachette, 1885

    Dassetto Felice - L'islam transplanté - Anvers, Editions Expo, 1984

    Durkheim Emile - L'évolution pédagogique en France - Paris, P.U.F., 1969

    Faral Edmond - La vie quotidienne au temps de Saint Louis - Paris, Hachette, 1942

    Garaudy Roger -  Promesses de l'islam - Paris, Editions du Seuil, 1981

    Gardet Louis - Connaître l'islam - Paris, Fayard, 1958

    Paul Jacques - Histoire intellectuelle de l'Occident médiéval - Paris, Armand Collin, 1973

    Riche P. - Education et culture de l'Occident barbare - Paris, Editions du Seuil, 1962

    Riche P. - De l'éducation antique à l'éducation chevaleresque - Paris, Flammarion, 1968


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